Peu de temps après son élection, l'Elysée a décidé de pratiquement doubler le traitement du président. C'était parfaitement cohérent avec l'idéologie avec laquelle Sarkozy a été élu, qui consiste moins à "gagner plus en travaillant plus" qu'à reconnaître de supposés talents individuels hors pairs. Il y aurait des individus à même de rendre d'incommensurables services à la société, ce qui justifierait des salaires mirobolants.Cet argument n'était, au demeurant, guerre éloigné de celui brandi par Mitterrand lorsqu'il justifiait le salaire de Christine Ockrent qui semblait, lointaine époque, indécent. Depuis, les élites ont pris leurs aises -il est des brèches qui ne font que s'élargir.
Rien de nouveau donc, sauf que l'argument n'avait jamais été mobilisé pour des hommes politiques. Il était admis que l'usufruit des ors de la République suffisait amplement à ses proéminents serviteurs, dont les traitements personnels ne devraient pas s'éloigner démesurément des salaires des simples fonctionnaires. Le doublement du traitement présidentiel était un message claire : Sarkozy le vaut bien. De même que les salaires des PDG des grandes entreprises devraient s'aligner sur les plus hauts au niveau international - pour éviter la "fuite des talents" -, les revenus des hauts fonctionnaires devraient les retenir dans le public. Car il s'agissait avant tout d'un argument venu du privé, dont les valeurs devaient imbiber le secteur public.
Et c'est peut-être là une clé de compréhension de l'Affaire : les élites publiques n'acceptent plus de rester les parents pauvres du gotha. Après tout, ne participent-elles pas tout autant que les hauts-cadres des grandes entreprises à l'enrichissement des propriétaires desdites entreprises ?
Si elles se placent sur le même plan que leurs cousines du privé, les élites publiques ne trouvent rien d'extraordinaire à réclamer les mêmes émoluments. Les cigares et les avions privés sont de justes rétributions et il n'est pas concevable qu'un homme politique puisse vivre en dessous du seuil de grande richesse. Il le vaut bien, nous répète t-il.
Or, en moins de trois ans, tout l'édifice idéologique qui soutenait cette ascension vers des cimes toujours plus élevées, jusqu'à rendre totalement incompréhensible pour le commun des mortels la signification du salaire d'une élite, s'est écroulé.
Dans le privé d'abord, les talentueux golden boys ont provoqué un marasme économique d'une ampleur sans précédent. Il faut bien le dire, le trentenaire en costume anthracite a perdu de sa superbe, il est aujourd'hui un délinquant de droit commun. Tout un chacun aura compris que ses merveilleux algorithmes économiques ont un lien direct avec l'état chancelant des Etats et, subséquemment et au hasard, de sa retraite.
Dans le public ensuite, les excellents fonctionnaires qu'il fallait, à tout prix, retenir n'ont en rien préserver les intérêts publics. Ils semblent n'avoir eu d'autres soucis que de sauver des banques, au prix d'une effroyable dette publique -et sans contreparties.
Mais, loin de prendre acte de ces piteuses performances et de s'appliquer immédiatement la recette maîtresse qu'ils préconisaient ("tu réussis ou tu dégages"), ces hommes et ces femmes sont restés en place. Tout s'est écroulé, sauf leurs trains de vie.
Maintenant, les élites de gouvernement cherchent à nous faire croire que les critiquer provoquera nécessairement une catastrophe. Soit elles brandissent l'argument éculé de l'extrême-droite, dont elles ne se sont pas gênées pour appliquer méticuleusement les recettes populistes. Ou bien elles poursuivent avec le cher argument de la fuite des élites -en particulier dans le privé.
Et bien, qu'elles aillent sous d'autres cieux chercher fortune.