Pas la peine de revenir sur l'étymologie du mot travail, tout le monde a entendu parler du Tripalium (latin médiéval qui désigne un objet de torture). Il est néanmoins intéressant de regarder ce qui se passe dans les autres langues. De toute évidence cette activité n'a pas très bonne presse. L'arbeit allemand désignerait au moyen-âge "un enfant maltraité ou orphelin". Le labor italien est une peine et le työ finlandais donne une idée autoritaire : "agir selon les ordres impartis". Le terme qui désigne le travail en hébreu ancien, עבודה, renvoie aussi à l'esclavage.
Il semble que l'anglais ait une idée plus positive, avec son work qui renvoie plus à l'idée d'oeuvre ou de réalisation qu'à celle de l'effort.
Ensuite, il y a plusieurs langues qui ont deux mots pour désigner le travail, selon qu'il soit une activité imposée par le patron ou une activité communautaire. Le quechua parle de Ch'ama pour le labeur compris comme une peine et de Mink'a pour une oeuvre communautaire. Ces deux mots sont parfaitement intégrés dans l'espagnol courant utilisé par les jeunes à Quito (Equateur), qui disent avoir une "chama" lorsqu'ils doivent aller pointer, et une minka quand ils vont monter une oeuvre de théâtre ou jouer de la musique dans un groupe -le flou règne lorsque ces deux activités se rejoignent, avec la professionnalisation de la seconde.
Le kinyarwanda, langue du Rwanda, a aussi deux termes. Je n'ai pas retrouvé celui de travail pour un patron, mais celui de travail communautaire est umuganda, un effort collectif pour le bien commun. La radio Mille Colline en 1994 appelait les Hutus à "bien terminer le travail", en utilisant tout un champ sémantique qui renvoyait au labeur agricole, par exemple "arracher les mauvaises herbes" désignait spécifiquement les enfants et les femmes enceintes à massacrer. Le génocide était conçu comme un umunganda spécial.
Je m'interroge évidemment aussi sur l'Arbeit Macht Frei à l'entrée des camps d'extermination nazi. Etait-ce vraiment une plaisanterie dans le goût du Troisième Reich ? Ou bien Teodor Eicke, l'officier allemand qui a eut cette idée, se concevait lui-même comme un bon travailleur et exprimait ainsi une profession de foi ?
Suite à une petite intervention publique sur ce thème, j'espère écrire bientôt un article plus complet. Si vous avez d'autres exemples, en particulier sur le japonais et le chinois, merci de me les transmettre. Bonnes vacances (ou non-travail) à tous !
Billet de blog 18 juillet 2010
Travail, étymologie et génocide
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