Il y a des trucs pour lesquels la gauche radicale a un côté fashion victim. On pourrait trouver ça paradoxal, et, pourtant, c’est quelque chose d’ancien et d’ancré. Et, généralement, ça n’apporte pas que du bon.
Ces dernières années, on a connu des engouements passagers pour tout un tas de modèles plus ou moins révolutionnaires, plus ou moins réussis, même parfois totalement foirés et, à force, ça commence à être vraiment fatigant. Il y a quelques temps encore, il fallait absolument suivre le modèle de Die Linke, véritable source d’inspiration pour toute la gauche européenne. Puis le modèle allemand fut remplacé par la mode vénézuélienne, suivie de la bolivienne et de l’équatorienne. Au mois de janvier, la victoire de Syriza en Grèce a poussé tout le monde à vouloir « imiter les grecs ». Mais tout cela est presque devenu has been depuis quelques semaines. Désormais il faut être Podemos. Pas nécessairement pour des raisons politiques profondes, mais tout simplement parce que ça marche ailleurs, ça fait rêver, bref, c'est tendance.
Je ne sais pas à quel moment ça a commencé ce délire autour des modes étrangères. Peut-être dès la Révolution française avec cette idée saugrenue qu'un modèle politique peut s’exporter tel quel sans poser aucun problème d'adaptation. Au XXème siècle, la mode des modèles clef en main s'est évidemment développée avec l'admiration béate de certains pour l'URSS, poussant ainsi les non-béats, ou les ex-béats, à rechercher en permanence d'autres sources d'admiration. Et c'est comme cela qu'on a commencé à avoir des engouements passagers pour la Chine, la Yougoslavie, Cuba, la République Tchèque, le Viet Nam, le Portugal, le Cambodge (oui, oui...), le Nicaragua, le Chiapas, etc... Comme pour la musique ou les fringues, chaque nouvelle tendance imposait alors ses standards en terme de modes d'action, de stratégie, de communication et d'objectifs, rendant ainsi obsolètes les méthodes en vogue l'année ou les mois précédents, celles-ci ayant d'ailleurs, pour les fashion victim de gauche, atteint toutes leurs limites et, parfois, ayant même trahis leurs buts premiers.
Mais revenons à nos moutons actuels. Aujourd'hui la grande mode c'est Podemos. Personnellement j'ai été emballé dès le début par les mouvements qui se produisent depuis déjà quelques années en Espagne et par les traductions politiques que ceux-ci ont pu prendre. Sans doute quelques restes d'une archaïque mode libertaire... De plus, les renouvellements idéologiques et stratégiques proposés par Podemos dès sa fondation correspondent à une attente que j'ai depuis longtemps. Si Podemos convainc donc en dehors des frontières de la péninsule ibérique, je ne vais pas m'en plaindre, et si cela permet de créer des dynamiques équivalentes ici, je ne peux que m'en réjouir. Mais j'ai des doutes sur le fait que cela se produise. En tous cas de cette manière.
Car, si avoir un modèle étranger ne sert pas à grand-chose, analyser et comprendre une expérience étrangère peut, par contre, en avoir une. Malheureusement, il n'y a pas énormément d'analyse dans tout ce qu'on peut actuellement entendre sur Podemos et sur la soi-disant source d'inspiration qu'il serait. Car Podemos ce n'est pas simplement une force de "gauche" qui marche, c'est surtout une force qui arrive à créer une dynamique parce qu'elle a redéfini totalement le socle de base de ce qui fait un mouvement révolutionnaire. Podemos a ainsi renouvelé les pratiques militantes en termes de démocratie interne, de communication, de stratégie politique, de langage même. Sur la communication par exemple, Podemos a réussi à mettre en place une propagande très structurée et très réfléchie et, en même temps, très moderne et, souvent, très décalée. Mais bizarrement, j'ai l'impression qu'aucun de ceux qui prétendent vouloir créer Podemos en France n'a la moindre prétention de se pencher sur cet ensemble pour voir quoi en tirer pour l'adapter à notre pays.
Non mais même Cécile Duflot a déclaré qu'il fallait créer un Podemos en France ! Qu'est ce qu'elle y comprend Cécile Duflot ? Remarquez, elle y comprend peut être plus de trucs que ceux qui veulent lancer des "cercles Podemos" un peu partout... Ou que ceux qui pensent que Podemos ne sert à rien car la dynamique qu'il représente est déjà incarné ici par une des composante de la gauche française, chacun plaçant sa chapelle dans le rôle du "Podemos de France". Si ça continue on va donc avoir 30 Podemos. Ou zéro...
Déjà, il y a une débilité sémantique à vouloir créer un Podemos en France. Les personnes qui passent leur temps à le répéter le font sans doute honnêtement, mais s'enlisent en réalité dans une grossière confusion. Et tout le problème se situe là. Non, aucun modèle ne peut être directement calqué et, si beaucoup d'éléments présents chez Podemos pourraient être plus ou moins transposables chez nous, il ne faut en aucun cas oublier que Podemos est issu d'un contexte très particulier. Dans l'Espagne d'aujourd'hui, à l'histoire démocratique très récente, où la gauche renait à peine, où les conséquences des politiques d'austérité sont beaucoup plus visibles que chez nous, et où l'état de putréfaction du régime politique actuel est bien plus avancé. Vouloir créer un Podemos en France est donc un raccourci un peu facile. Si les choses en politique étaient aussi simples que cela, nous aurions d'ailleurs depuis longtemps gagné.
Il ne faut pas créer de Podemos en France, il faut créer un Podemos français. La nuance n'est pas que sémantique. Créer un Podemos français, cela veut dire ne pas chercher à calquer quelque chose qui marche ailleurs ici, mais tenter de créer un mouvement d'un genre nouveau qui sache adapter certains des travaux et des expériences de Podemos, et d'autres, chez nous, qui sache les développer, créer des dynamiques nouvelles, avoir de nouvelles idées, faire émerger les conditions d'un grand chambardement de l'échiquier politique français. Ce genre de Podemos français nous sommes nombreux à l'attendre, et ce depuis déjà longtemps. Mais ce n'est ni par des formules incantatoires, ni par les tentatives ridicules d'imitation de quelques-uns (qui bien souvent n'imitent que leurs propres pratiques d'ailleurs) que l'on y arrivera. Il faut désormais créer, faire voler les cadres en éclat, et se battre. Passer du stade de groupies à celui d'acteurs, pour enfin prouver que, oui, c'est possible aussi chez nous.
Johann Elbory