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Billet de blog 16 septembre 2014

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Pourquoi le tirage au sort est-il profondément antidémocratique ?

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Cela fait quelques temps que l’idée du tirage au sort comme remplacement des formes électorales traditionnelles commence à refaire surface au sein de certains milieux d’intellectuels et d’idéologues, comme un vieux spectre revenu du fin fond de l’histoire de la démocratie. Depuis plusieurs années, des personnages comme Etienne Chouard ou, plus récemment, les dirigeants de Nouvelle Donne lors des dernières élections européennes, tentent de faire passer l’idée que le tirage au sort pourrait être un mode de fonctionnement démocratique qui, en plus d’être original et ludique, permettrait de briser la corruption, la reproduction sociale, et même, s’il était appliqué aux structures économiques, la lutte des classes ! Sur le papier, le projet fait envie et on comprend très bien que, dans une situation de crise économique et politique dans laquelle nos élites brillent à la fois par leur incompétence et leur malhonnêteté, il puisse plaire. Sauf que dans les faits, c’est un peu plus compliqué que ça, et ça pose des problèmes sans doute encore plus énormes que ceux que nous devons actuellement régler…

Le tirage au sort n’éloigne pas les tyrans

Le premier argument des pro-tirage au sort est, évidemment, celui du renouvellement permanent des dirigeants et de la possibilité de chacun de le devenir, tout en excluant les menteurs, les tricheurs, la corruption, le népotisme, les ambitieux, dont la désignation « au hasard » détruirait tous les subterfuges pour s’emparer du pouvoir. Certes, dans un système où tout le monde est tiré au sort, l’ambition est limitée et le relais politique institué est brisé. Mais cela nous éloigne-t-il de la possibilité de nous retrouver avec un tyran au pouvoir ? Non. Au contraire, cela donne la possibilité, au même titre que n’importe qui, à des personnes portant des idées politiques que, dans un cadre de vote, le peuple jugerait déraisonnable, de prendre le pouvoir. Si le sort désigne, pour nous diriger, un gouvernement composé du chef des Patriotes pour la Suprématie des Cranes Rasés, Gurdulus le grand gourou de la communauté de l’Eglise lunaire, et le dirigeant militaire de l’Amicale des Salafistes du Jura, il est probable que vous le regrettiez…

Pour le dire plus sérieusement, le tirage au sort enlève au peuple le pouvoir de juger ce qui est bon ou pas pour la société, c'est-à-dire pour le bien commun, en même temps qu’il met sur un pied d’égalité et de légitimité les idées partagées par un grand nombre, et celles totalement minoritaires. Ce qui est assez problématique en termes de démocratie… De plus, on pourrait se demander en quoi le fait de tirer au sort des gens entre en contradiction avec le fait d’avoir un monde politique corrompu et malhonnête. Dans la mesure où chaque groupe politique aura intérêt à s’attirer le soutien d’un maximum d’individus susceptibles d’être tirés au sort, on ne voit pas vraiment pourquoi les méthodes actuelles changeraient…

Elu par le peuple, désigné par le hasard

Le véritable problème politique lié au tirage au sort est qu’il enlève toute souveraineté politique au peuple. Dans un système démocratique où l’on vote, chacun à le pouvoir d’élire certains de ses concitoyens sur la base d’un projet et de leur et de sa compétence à le porter. C’est donc bien le peuple qui dirige, en dernier ressort. Bien sûr ce système n’est pas parfait. Il existe d’ailleurs de nombreux politologues ayant travaillé sur des formes de votes permettant d’avoir des dirigeants plus représentatifs, mais le vote reste la base de la souveraineté populaire pour laquelle on s’est battu pendant des siècles en France, et partout ailleurs.

Le tirage au sort, c’est le pouvoir de qui ? Du hasard ? De Dieu pour ceux qui y croient ? C’est au minimum le résultat d’une fatalité mathématique qui n’a rien de raisonnable. L’appliquer, ce serait faire passer la politique du débat d’idées, à la tyrannie des chiffres. Intéressant…

Car il s’agit bien de relayer les idées au second plan. Dans un système républicain, dans lequel le peuple est le souverain, les idées sont placées au dessus de tout, notamment au dessus des individus. C’est d’ailleurs pour cela que la « peoplisation » de la vie politique pose problème. C’est pour cela aussi que nous avons encore beaucoup de travail afin de perfectionner notre système politique. Avec le tirage au sort, seul les individus comptent puisque seuls sont désignés des noms, et non plus des idées.

Remettre en cause le système politique est louable. L’histoire de notre pays depuis 200 ans est basée sur une remise en cause permanente de nos outils politiques et une tentative de perfectionnement des formes de désignations de nos dirigeants. A l’heure où la Vème République semble arriver à bout de souffle, il est important de se reposer des questions fondamentales concernant ces éléments. Il ne faut cependant pas faire n’importe quoi. La principale avancée de notre histoire démocratique, c’est l’idée qu’en république, c’est le peuple qui tranche. Et si nous voulons sérieusement relever les nouveaux défis de notre temps, il ne faudra, sous aucun prétexte, revenir sur ce point.

Johann Elbory

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