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Billet de blog 21 septembre 2014

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Code du travail : faut-il dégraisser le mammouth ?

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La scène aura marquée les téléspectateurs du dernier numéro de Des paroles et des Actes sur France 2, et beaucoup fait jaser sur les réseaux sociaux. L’image de François Bayrou balançant nonchalamment le Code du Travail français, qu’il juge apparemment trop volumineux, après l’avoir comparé au livre de poche qui sert de Code du Travail en Suisse aura, en effet, été un des passages marquants de cette émission.

Ce n’est pas pour les arbres que M. Bayrou s’inquiète, mais pour ce qui est une vieille marotte, ressassée depuis le début de l’écriture de ce code : plus le travail serait encadré par des lois, plus les possibilités de développement de notre économie seraient bridées.

 Alors, faut-il réellement alléger le code du travail ? Protégeons-nous trop les travailleurs en France ?

Le Code du Travail, qu’est ce que c’est ?

Commençons par le commencement. Le Code du Travail, c’est quoi au juste ? C’est la compilation de l’ensemble des lois qui régissent, dans notre pays, la manière dont le travail doit s’organiser, et les droits et devoirs des travailleurs et de leurs patrons. L’ensemble de ces lois permet de garantir la protection de tous les travailleurs et des droits jugés aujourd’hui comme fondamentaux tels que les congés payés, la sécurité au travail, les droits syndicaux, la distribution de primes, les horaires légales de travail, ou encore les conditions d’embauche, de licenciement et d’accès au chômage.

Alors oui, le Code du Travail français est très volumineux. Environ 3000 pages. C’est que nos lois de protection sont nombreuses et garantissent, même si beaucoup d’améliorations sont encore à faire, une vie au travail bien plus sécurisée et, sur de nombreux points, bien plus agréable que chez nos voisins européens. Lorsque Bayrou nous montre le Code du Travail suisse, il nous montre un code qui offre des garanties salariales a minima, avec des droits au chômage réduits, des règles de licenciement désavantageuses pour les salariés, des possibilités de défense quasi-nulles et des obligations patronales en terme de sécurité déplorables… C’est ça le modèle économique et social de  M. Bayrou ? Soyons sérieux…

Un pays ne souffre jamais d’un excès de protection des travailleurs. Au contraire. Le Code du Travail fixe des règles en matière de production, d’écologie, de concurrence, de démocratie dans l’entreprise, etc… En réalité, c’est lui qui permet de lier l’entreprise à l’Etat et à son cadre républicain. Supprimer le Code du Travail, c’est s’attaquer aux droits des salariés, et transformer le marché du travail de notre pays en espèce de foire d’empoigne dans laquelle tout le monde pourrait produire dans les conditions qu’il fixe lui-même, sans regard de la collectivité. Cela va totalement à l’encontre des principes d’égalité et de justice de notre pays. Ce serait un système dommageable à l’ensemble des salariés, mais également à toutes les petites entreprises…

Oui mais, en Suisse, ils n’ont que 4% de chômage…

Oui. Mais la Suisse a également beaucoup de montagnes, des pendules rigolotes et des fromages à trous. Et ça n’a aucun rapport avec son taux de chômage…

Cette d’idée d’un lien entre le taux de chômage d’un état et la complexité de sa législation sociale est à balayer d’un revers de main. D’ailleurs, ceux qui l’exposent sur tous les plateaux de télé et de radio, Bayrou en tête, savent très bien que cette idée est une aberration.

Prenons le problème dans l’autre sens. Cette explication pourrait avoir un soupçon de crédibilité si notre pays s’appauvrissait. Or nous assistons à l’inverse : la France n’a jamais été aussi riche de toute son histoire. Nos productions et nos services rapportent aujourd’hui plus qu’auparavant. Alors, où est le problème actuel ? Il est dans la redistribution des richesses produites. Le grand patronat et ses actionnaires ne se sont jamais autant enrichis qu’à l’heure actuelle, au détriment des salaires, de l’Etat et de l’investissement, c'est-à-dire de l’emploi. La solution n’est donc pas dans l’allègement du Code du Travail mais dans la mise en place d’une fiscalité plus juste et d’une redistribution plus avantageuse pour les salariés. Donc, dans plus de législation ou, du moins, dans une amélioration des législations en vigueur.

Quant à la comparaison avec d’autres pays, elle est, elle aussi, profondément fallacieuse et démagogique. Où Bayrou a-t-il vu que l’économie et la démographie de la Suisse étaient comparables à celles de la France ? La France, pays à la population jeune, n’est même pas comparable à l’Allemagne, pays où, néanmoins, on peut remarquer que la casse de toutes les législations sociales a fait augmenter la pauvreté et la précarité, en même temps qu’elle enrichissait une minorité d’ultras-riches…

Mais alors, si c’est idiot, pourquoi Bayrou prône-t-il la casse du Code du Travail ?

Les législations coutent cher en réalité. Mais dire ça, c’est ne rien dire. Il faudrait en réalité déterminer à qui elles coutent. Elles rapportent à l’Etat, aux salariés, à l’emploi, mais coutent cher aux actionnaires et au grand patronat. En effet, pouvoir exploiter sans règles, sans avoir à offrir de garanties de salaire, de sécurité, de stabilité, ce serait très avantageux pour la minorité de personnes qui s’engraisse déjà sur le dos de la majorité. Ca leur permettrait de s’enrichir encore plus.

Le modèle libéral, que prône notamment Bayrou, c’est ça. La liberté pour certains de déréguler l’ensemble du marché pour s’engraisser sur les autres, ceux qui produisent les richesses. Le libéralisme c’est l’inverse de la solidarité, de l’égalité, de la justice et, en définitive, de la République et des intérêts du plus grand nombre. Il reste donc à savoir si c’est le modèle économique que nous voulons pour nous et pour les générations futures, ou si, au contraire, la réflexion collective autour d’un projet politique et économique garantissant les droits de chacun ne serait pas plus intéressant pour sortir notre pays, et l’ensemble du monde, du marasme économique, social, écologique, dans lequel les apprentis sorciers de l’égoïsme nous plonge un peu plus chaque jour. Le débat est ouvert…

Johann Elbory

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