Johann Elbory (avatar)

Johann Elbory

Abonné·e de Mediapart

15 Billets

0 Édition

Billet de blog 31 mars 2015

Johann Elbory (avatar)

Johann Elbory

Abonné·e de Mediapart

Le vote obligatoire, une aberration démocratique

Johann Elbory (avatar)

Johann Elbory

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Même si les chiffres de l'abstention lors des Élections départementales ont été moins importants que les sondages ne le laissaient croire, ces échéances électorales ont tout de même été marquées par le désintérêt de nos concitoyens pour le vote, et pour la politique en général. C'est

un fait désormais constatable à chaque élection : les français se déplacent de moins en moins aux urnes et, quand ils y vont, c'est très souvent pour exprimer un ras le bol, en votant notamment pour le Front national, parti au programme

inconsistant et dont les pratiques démocratiques n'ont pourtant rien à envier à ce qui se fait de pire chez ses amis libéraux de l'UMP et du PS.

Une grande partie de la campagne, particulièrement dans les médias, a été axée sur cette question de l'abstention et sur les solutions pour en enrayer le phénomène. Si l'appel au vote utile et les leçons de morale aux électeurs préférant la pêche à l'exercice de leur droit de vote semblent les seules réponses apportées par les responsables de la mise en place des politiques actuelles, et donc du ras le bol évoqué plus haut, certains imaginent d'autres réponses possibles afin de ramener les français vers le vote. Bon, évidemment, la première d'entre elles serait d’arrêter de les prendre systématiquement pour des billes en s'asseyant sur les programmes

pour lesquels on est élu ou en ne respectant pas leurs choix... lors des référendum par exemple. Mais pour d'autres il faudrait envisager des trucs plus radicaux comme l'obligation pour tous d'aller voter. Sous peine d'amende !

Et c'est là qu'on arrive au bout de l'absurdité d'une situation. Parce que oui, l'idée du droit de vote obligatoire est absurde. Non seulement cette obligation n'aurait que peu d'utilité et pourrait même avoir des conséquences catastrophiques, mais elle serait même une négation du principe fondamental du droit de vote tel que pensé dans notre système républicain. Petite explication...

Le vote obligatoire, une solution à l'abstention ?

C'est

vrai que pour les gens qui sont attachés au vote, qui votent, et même qui se présentent à des élections, l'idée que les abstentionnistes votent tous, ça fait un peu rêver. Parce qu'on en croise régulièrement dans la rue, au boulot, en soirée, en repas de famille, des gens qui passent leur temps à râler sur tout, et qui, pourtant, ne se déplacent jamais quand ils ont la possibilité de faire un peu changer les choses. Et c'est vrai que c'est gonflant. Plein

de fois je me suis dis que s'il y avait une solution pour qu'ils y aillent tous, ce serait parfait.

Sur le papier, le vote obligatoire, c'est le truc en or. Car le fait que tout le monde vote n'est pas simplement une source de satisfaction pour les démocrates, mais aussi un gage de meilleur fonctionnement de la démocratie, tout court. Plus une part importante de la population se déplace pour délivrer un message, plus ce message est, en effet, représentatif, et donc légitime. Ça, c'est pas compliqué à comprendre, donc on ne va pas s'attarder sur ce point.

Mais est-ce qu'obliger les gens à voter permettrait d'avoir une représentativité plus précise de l'avis réel des populations ? Bah, en fait, pas forcement. C'est même pas sûr du tout.

Rendre le vote obligatoire, c'est à dire sanctionner d'un PV ceux qui n'y vont pas, serait un bouleversement total de notre vision du vote en y intégrant la contrainte comme axe central. Et dans le contexte actuel, ça risquerait de donner quelques catastrophes. Imaginez : dans un pays où les politiciens au pouvoir font n'importe quoi et sont détestés par une part importante de la population, les gens exaspérés ont tendance à se diviser entre ceux qui ne votent plus, et ceux qui votent pour un parti de menteurs et de manipulateurs d’extrême droite, que les médias présentent sans cesse comme une alternative. Le droit de ne pas voter est supprimé par les politiciens détestés. Il reste quoi comme choix pour les gens exaspérés ? Bah, de vraies solutions démocratiques à la Syriza ou Podemos me direz vous. Et vous avez raison, si tout se passait toujours très bien, c'est ce qui se produirait. En vrai, ça pourrait être plus problématique. Et le pire, c'est que si des abstentionnistes votent FN dans ce cas, ce serait encore plus irraisonné que pour ceux qui le font actuellement

. Ils le feraient juste pour gueuler contre la décision du vote obligatoire. Génial.

En tous cas, ce serait réellement irresponsable qu'une organisation démocratique et progressiste soutienne une proposition dont le seul résultat serait d'augmenter la foule des mécontents et les pousser à voter pour n'importe quel guignol. Ce serait clairement se ranger du point de vue de ces milliers de gens, dans le camp de ceux qui veulent que leur petit système de caste continue

de fonctionner, même péniblement, et faire les choux gras des menteurs qui, eux, ne manqueront pas de se saisir d'une telle affaire pour se vautrer un peu plus dans la démagogie. Et ils auraient tord de se gêner, les bougres !

La démocratie doit-elle être une contrainte ?

Mais le truc le plus condamnable dans l'idée de vote obligatoire est indépendant de toute considération sur l'efficacité d'une telle mesure. Obliger les gens à voter et les sanctionner s'ils ne le font pas serait une total dénaturation de ce qu'est le vote en France, et le mettrait en danger bien plus que ne le fera jamais l'abstention. Car le vote a toujours été imaginé comme un droit, et non comme un devoir. Tout citoyen a ainsi le droit de vote, c'est à dire qu'il peut, s'il le souhaite, aller glisser régulièrement un bulletin dans une urne afin de déterminer, notamment, qui le représente. Il s'agit bien d'une option, non d'une obligation.

Le concept d'abstention est lié au fait d'avoir le droit de voter. Un citoyen qui ne se retrouverait pas dans le choix du vote, refuserait le mode de scrutin ou, même, le concept d'élection, peut en effet choisir de ne pas utiliser ce droit. Et c'est bien normal. Comment pourrait-on imaginer que l'on ait interdiction de ne pas utiliser un droit ? Surtout celui-là. Vous voyez le truc ? « Vas voter car le vote c'est la liberté de choisir. Euh... par contre... t'es pas libre de ne pas voter. Parce que, être libre, c'est obligatoire, sinon t'es punis. » Ouais... ce serait bizarre, non ?

Bon, on va dire que je caricature. Forcement toujours un peu. Mais rendre obligatoire le droit de vote c'est rendre obligatoire l'utilisation d'un droit acquis donc, de fait, le transformer en devoir. Ça peut paraître peu important, mais il faut bien voir qu'il ne s'agit pas que d'un débat philosophique, voir sémantique. Transformer un droit tel que celui-ci entraînerait une remise en cause profonde de la vision que nous pouvons avoir de notre système démocratique. Ce système ne s'est jamais construit comme une contrainte car, si elle doit se donner les moyens de se faire respecter et de lutter contre ses éventuels ennemis, la République n'est pas un concept qu'on impose de force. Au contraire, elle se diffuse par le débat, se construit par l'échange, et devient effective par la conviction. Et là est tout le sens de la Révolution française : arriver à imposer un système autrement qu'avec des armes et des lois répressives. En le faisant exister par la raison.

Le travail de la République et des républicains c'est donc, avant tout, celui de la conviction. Et en ce qui concerne spécifiquement le vote, c'est tenter de convaincre un maximum de personnes d'aller voter. Rendre le vote obligatoire serait ainsi, dans une période difficile marquée par une fissure entre la République et son peuple, capituler, rendre les armes de la raison, pour faire le choix, pour la première fois, d'un système s'imposant de force. Au delà de l'inefficacité de la mesure, et même de son aspect contre-productif, on voit que celle-ci serait même une attaque contre nos valeurs élémentaires.

Ok... alors on fait quoi du coup ? Parce qu'on a toujours pas réglé le problème de l'abstention avec tout ça.

Arrêtez de prendre les abstentionnistes pour des gosses

Si les gens ne vont plus voter ce n'est certainement pas parce que ce sont des abrutis. Beaucoup de nos concitoyens restent simplement chez eux les dimanches d'élections car ils n'y croient plus et, surtout, ils en ont marre d'être pris pour des faisans à chaque fois. Et comment ne pas les comprendre ? Libéraux de droite et libéraux de « gauche » se succèdent depuis décennies, aucune des politiques des trente dernières années n'a vraiment permit de conquérir de nouvelles avancées sociales, les référendum sont bafoués, des ministres se retrouvent devant la justice, le président ennemi de la finance est en réalité l'ami des patrons voyous, etc... Comment avoir envie de continuer à voter pour ça ? Et comment avoir envie de voter pour ceux que les médias désignent comme l'alternative, qui ont le même programme économique, qui passent devant la justice bientôt tous les jours, qui cumulent et qui mentent ? Et je sais qu'il y a de vrais alternatives, mais comment en vouloir aux gens qui n'y croient pas.

Les abstentionnistes ne sont pas cons. Ils expriment juste un ras le bol. Leur position de rejet du vote est donc l'expression de positions très politiques. Les obliger à voter c'est s’asseoir sur leurs revendications démocratiques. C'est refuser d'entendre le message que presque la moitié de nos concitoyens font passer à la caste de politiciens véreux qui nous gouverne, consciemment ou inconsciemment, en tous cas pacifiquement et à l'aide, d'une certaine manière, des outils en leur possession.

Le grand retour du peuple

Ces gens reviendront au vote. C'est sûr. Parce que c'est le seul moyen de faire vivre une société apaisée, et qu'ils le savent. Mais ils n'y reviendront pas dans les conditions actuelles.

Nous sommes à l'époque où le peuple s'affronte aux élites politiques. En Grèce, ce peuple a élu Syriza, en Espagne il vote de plus en plus massivement pour Podemos. En France, il se met en grève démocratique. Tout ça fait partie d'un tout et, assuremment, comme en Grèce et en Espagne, l'heure du peuple sonnera.

Les abstentionnistes voteront si on leur donne les garanties d'une politique à leur service, au service du bon sens, et non plus à celui des intérêts de la caste. Une politique qui ne ment pas, dans une République qui ne le permet plus. Garantissant le respect des décisions populaires, multipliant les consultations de la population, rendant les élus responsables devant tous. Enfin, ils reviendront quand il sera possible de donner à notre monde de véritables perspectives pour nous sauver des catastrophes qui nous menacent. Quand il sera possible de chasser les incompétents qui nous gouvernent actuellement. Et les magouilles du système, qu'elles s'appellent « vote obligatoire » ou autrement, ne changeront rien. Quand l'heure du peuple sonnera, tous les bricoleurs et les messieurs je-sais-tout seront balayés. Tant mieux ! Pour arriver à cela, il faudra certainement en passer par un renouvellement total de nos pratiques politiques. C'est ce que tente de faire Podemos, avec des résultats encourageants. C'est ce que nous devons commencer à construire rapidemment et efficacement dans les mois et années à venir si nous voulons entrer ensemble dans une nouvelle ère de conquètes démocratiques.

Johann Elbory

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.