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Billet de blog 3 mai 2020

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ILS ANNONCENT DE LA PLUIE

Je suis sensible à la tendresse des étreintes. Elles viennent, le plus souvent, apaiser nos tourments et restaurer nos sentiments de confiance. En nous.

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Je suis sensible à la tendresse des étreintes.

Elles viennent, le plus souvent, apaiser nos tourments et restaurer nos sentiments de confiance.

En nous.

Notre monde est coriace.

Gigantesque, il nous met à distance dès lors que nous essayons de nous le représenter.

Comment pourrions-nous concevoir, mentaliser une immensité dont l’exploration épuiserait l’œuvre de plusieurs vies?

Comment pourrions-nous appréhender l’irréalité d’une humanité se définissant par des milliards que nous ne pourrons jamais enlacer?

Notre ensemble nous dépasse et n’avons d’autres choix que d’intellectualiser nos conditions d’identification à celui-ci.

Flotte en nous cette sensation diffuse que nous avons besoin de nourrir, de consolider.

Je peux me préoccuper de l’existence et du sort de mon frère polynésien, malgache ou costaricain mais je vais avoir besoin de confirmer, auprès de quelqu’un qui me ressemble, mon appartenance à notre espèce et à notre civilisation.

Je regarde l’autre, où que je sois et attends de lui, dans la réponse aux sollicitations que je lui adresse, la confirmation de mon visage humain.
Nous nous reconnaissons.

Me voilà donc rassuré, consolidé et disponible afin d’affronter les différents rôles sociaux qu’il m’est demandé d’endosser.

Je peux déambuler, arpenter, slalomer, sprinter entre les exigences affectives, professionnelles, amicales, sociales, économiques qui structurent mon quotidien.

Par magie, nous avons tous une boussole.

Le centre de ces cercles concentriques, c’est moi!

Je dois devenir un jeune enfant autonome, apprendre le métier d’élève, m’intégrer professionnellement, socialement, être en bonne santé, le plus beau possible, avec un corps affûté.
Je dois m’affirmer jeune adulte responsable, capable de se lier, s’unir à un conjoint et donner vie à une famille, toute aussi responsable, conforme à ce que nous comprenons qu’il est attendu qu’elle soit.
Une instance, qui rassure, protège et prépare à la grande aventure de la réalisation individuelle.

Ce qui est pratique, c’est qu’au sein de ces instances où je redouble d’efforts, l’invitation au confort est très présente.
Par des procédés habiles et subtiles, il m’est enseigné, signifié que cet objectif de réalisation individuelle concourt à mon sentiment de liberté.
Que je deviens ce que j’ai librement choisi de devenir.
Au gré de mes efforts, de mon travail.
Que j’obtiens, par ces efforts, la juste récompense de mon travail.

Je suis ce que j’ai choisi.
J’obtiens ce que j’ai mérité.
Je m’astreins à des règles afin d’obtenir le respect de ma liberté.

Le confort qui m’est proposé vise à considérer ces états de faits comme avérés.
Il m’invite à sous-peser les éventuels sentiments d’injustice pouvant naître de mon expérience quotidienne et à toujours les mettre en perspective avec ce qui me permet d’être reconnu, d’exister.
Suis-je vraiment prêt à perdre tout ce que j’ai pour une petite vexation de mon patron, une petite taloche de l’institutrice à mon enfant, un comportement raciste sur la voie publique face auquel personne ne proteste?

Voici l’instant câlin.

Pour apaiser cette survenue imprévue de la déconvenue du malentendu, j’accepte le câlin.
Je me rassure du sort qui est le mien, m’y accroche par peur de l’abandon, du rejet, de l’exclusion.
Je me persuade que si l’autre est ainsi, c’est bien qu’il l’a choisi.
Qu’il l’a mérité.
Et si malgré tout subsiste un doute sur la légitimité du sentiment d’injustice, je peux compter sur un second instant câlin.
Un gros câlin.
Celui qui enveloppe du manteau d’une complexité face à laquelle nous ne serions pas armés.

Tout est trop « compliqué ».
Crise migratoire.
Violences économiques.
Appauvrissement, asservissement, répressions.
Cruautés barbares.
Reproduction sociale.

Le repas est riche car le plat de « trop compliqué » s’arrose d’un filet « d’absence de légitimité ».
Il vaut mieux, selon toute assurance, compter sur ceux qui savent, les experts de la chose.
Cela nous permet de servir à chacun une part du délicieux gâteau de la fatalité.
C’est ainsi, et en plus on n’y peut rien.

Convaincus de la distance d’avec tous les circuits, chemins d’élaboration de la pensée et d’exercice de la décision, alertés des sanctions encourues si nous délaissions le rang, nous nous abandonnons, avec docilité à notre exercice nombriliste du lien.

Nous sommes individualisés.
Nous usons de l’autre afin d’être rassuré sur notre seule intégrité.
Nous nous soumettons à une collectivité dont nous n’examinons pas les réalisations.
Nous ne réclamons rien qui ne dépasse notre relation exclusive à un monde virtualisé.
Nous nous convainquons que nous pouvons consommer la chose publique, l’instance politique.
Qu’« ils » n’ont qu’à bien se tenir parce que sinon, la prochaine fois, on ne votera plus pour « eux ».
On se laisse même aller à râler de bon cœur, « ils » nous mentent, « ils » sont nuls, « ils » défendent leurs seuls intérêts.

« Ils » sont partout, mais qui sont-«ils »?
Casey dit d’ « eux » qu’ils sont nos ennemis.
Je le pense aussi.
Parce qu’« ils » sont tous ceux que nous avons renoncé à être.

Ils contrôlent même la météo.
Hier, j’évoquais dans la rue, avec un compagnon d’ouvrage, les conditions de réalisation d’un projet.
Il m’informait de son report, puisqu’« ils » annonçaient de la pluie.

Et si.
Si nous n’avions d’autres choix que d’accepter cette usage de la distance afin de continuer à taire nos démissions communes.
Si délestés des sujets dont « ils » sont les héros, des discussions de bon sens centrées sur la météo ou la pauvre voisine qui a un fils homo, nous devions accepter de considérer l’altérité et la fraternité comme nos meilleurs alliés.

Et si la source à câlins se tarissait.

Et si son vide nous poussait sur le chemin de l’action commune et collective.

Les verrait-on réapparaître, celles et ceux qui compteront sur la pluie afin qu’elle se remplisse?

Curieux, je viens de regarder la météo.

Ils annoncent de la pluie.

JH

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