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Billet de blog 8 juillet 2021

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LE SOL SE FISSURE, LE VENT SE LÈVE ET LE BATEAU TANGUE

Le sol se fissure, le vent se lève et le bateau tangue. Les spectres entrent en gare. S’effondrent, épuisés, les préposés au tintement de la cloche, à l’annonce du fracas.

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Le sol se fissure, le vent se lève et le bateau tangue.
Les spectres entrent en gare.
S’effondrent, épuisés, les préposés au tintement de la cloche, à l’annonce du fracas.
Les cohortes débarquent, les colonnes s’organisent.
La légère brûlure produite par l’air frais s’engouffrant dans les narines de ces aspirants à la conquête des esprits devient adrénaline.
Des bataillons s’agglomèrent, des murmures s’épaississent.
Ce petit monde est organisé, préparé.
Le pincement des cordes glisse de la mélancolie à la furie.
Voici venue la confrontation de nos récits avec la véracité de leurs implications intimes.

Je suis né dans les années 80’s, dans un contexte, un milieu ne mesurant pas la prégnance et l’oeuvre de l’érosion des liens.
L’on m’a donc laissé mariner, évoluer, me confronter aux instances externes de socialisation, me biberonnant à de drôles d’artefacts.
Petit ressortissant d’un bastion socialiste ministériel, j’ai bien connu à l’école la rédaction de courriers énamourés à la ministre afin de l’encourager et de la remercier de ses fabuleuses initiatives.

Y voir un problème révèlerait votre mauvais esprit.

Il en était ainsi de ma vie scolaire de petit garçon.
Je subissais les préceptes républicains et déjà pré-écologistes, assénés avec une vigueur quasi religieuse.
Je constatais les tentatives de sensibilisation par l’école de milieux familiaux dont elle ignore tout et avec lesquels elle ne dialogue pas.
Tout ceci se mâtinait d’une indifférence parentale ambigüe, mélange d’héritage encore latent de la figure d’autorité de l’instituteur et appropriation du début de l’impact de l’autonomie pédagogique et de son nécessaire respect.
Et, pour densifier mon terreau propice à l’exploration individuelle et enfermée de notre modèle de société, je n’avais pas besoin d’aide.
Je remplissais les standards.
L’on m’arrosait, je me nourrissais des ressources et des injonctions.

Fort heureusement, je vivais aussi chez moi.
Nous étions quatre plus tous les autres.
Eux, ce sont ces défilements de personnages, d’images, de représentations de l’agitation de notre société surgissant du flux ininterrompu du contenu télévisuel, radiophonique et des romans et livres engloutis.
Je me suis alors dirigé vers ma confrontation autonome charpenté par ces innombrables récits, résonnant en moi de leur charge symbolique.


Mon début d’aventure critique connut peu de remous tant les jambes de force de ces récits consolidaient l’ensemble qui suit.
Notre monde connait la crise.
Économique.
Celle-ci, chez nous en France, trouve son origine, certes dans un modèle énergético-fossilo-dépendant mais surtout du fait de l’affectation inefficiente de la ressource publique dans un système de protection sociale qui, avouons-le nous, ne servirait que les moins méritants.
Jambe de bois imputrescible, le ciment méritocratique ne peut tolérer la moindre fissure.
Copine avec ses vestiges culturello-cultuels, l’oeuvre méritocratique s’accouple avec l’acte d’effort voire de souffrance.
Union imparable, surefficace, elle permet de neutraliser les interrogations et les rapports de domination au regard de l’état de fait et la culpabilisation-dévalorisation implicite.
Si le professeur, le directeur, le chef, le juge, l’artisan, le commerçant, l’élu sont en position d’avoir du pouvoir sur vous, cela ne tient qu’à leurs efforts propres - tellement grands ces efforts - leurs réussites propres, ceux-là même que vous, sur qui le pouvoir s’exerce n’avez pas réussi à accomplir.

Je regardais ces cantates à l’effort de souffrance pré-réussite sociale, sans enthousiasme mais avec considération.
Je ne doutais pas de la véracité de ce serment, paré d’extraordinaire par la puissance supposée démesurée des chemins de souffrance accompagnant la réussite et la reconnaissance sociale.
Chaussette de laine sur notre jambe de bois, c’est bien le mythe de la France héroïque qui se raconte ainsi.
Celle de Clovis, de Charlemagne, de François 1er, de Louis XIV, de Napoléon.
Mais surtout, celle de la reconstruction post 39-45 qui maquille nos défaites, nos collaborations, nos silences complices et coupables par l’odyssée gaullienne, ses acolytes préfets et les réseaux de résistance vaillants, courageux et aussi crapuleux.
La France qui m’a socialisée m’a fait ingérer ce mélange d’humilité-contrition face à notre débâcle tout en décuplant ma confiance en l’avenir puisque un/des hommes providentiels seraient à la hauteur de notre survie.
Et, qui sait, peut-être ferais-je partie de ces valeureux élus si je survivais aux rites sacrificiels des chemins d’accès à l’élite.

Si vous aviez néanmoins encore froid, vous pourriez vous emmitoufler dans l’écharpe de la sécurité et de la protection sociale.
Et oui, mon dédain des cols hors-catégorie de la réussite sociale afin de m’adonner à l’expérience autonome et authentique de la rencontre reposait, inconsciemment, sur notre autre mythe fondateur, il y aurait bien quelqu’un qui me ramasserait et l’État, malgré tous ses défauts, veillerait bien sur moi, a minima.
Le marchand de sable républicain a bien pris soin de disséminer au fond de nos yeux des étoiles brillantes de la beauté d’un système d’organisation sociale protecteur, une prodigiosité n’ayant d’égale que celle de ses créateurs historiques de 1945.
Le rêve français s’écrivait ainsi, en barrières visibles saupoudrées de la poussière magique d’un tout-possible à qui le mériterait et matelassées de divers droits rendant les dites-barrières acceptables.
Mais surtout, en concédant à l’État un statut de troisième parent, nous lui avons ouvert la possibilité de s’inviter jusqu’au creux de notre oreiller.

Il y a dans cette sérénade potentielle la marque d’une subtilité consacrant l’un des noyaux de notre identité, notre hyper-réceptivité à un message d’autorité savamment intériorisé.
Nous, personnes de France, acceptons chaque jour de déléguer l’organisation de la collectivité à un état administré en nous donnant le sentiment d’une absence totale de rétrocession sur nos intimités.
Mais oui, la preuve, si nous le souhaitons, si nous le décidons, nous pouvons aller manifester, nous opposer physiquement, dans la rue à telle ou telle initiative gouvernementale ou administrative.
Si l’État administré tire un peu trop sur la laisse de nos libertés individuelles, nous avons la capacité et le réflexe de l’opposition.
Mais, sortons la loupe.
Comment nous, personnes de France, considérons-nous nos libertés individuelles?
Notre voyant d’alerte-intrusion aux libertés individuelles s’allume dès lors l’organisation sociale apparaissant comme rognant, reprenant de façon réelle ou éprouvée nos droits, nos minima, notre protection sociale, notre matelas.
Plutôt que de nous caricaturer en un peuple éteint et réfractaire il apparaîtrait plus opportun de reconnaître si ce n’est notre intelligence, tout du moins notre acuité collective quant à la sensation de cotisation.
Nous, personnes de France, nous défendons nos libertés individuelles dès lors la balance  avantage réel ou perçu déficitaire au regard de la cotisation concédée, elle-aussi réelle ou éprouvée.

Le geyser gazeux est ici, nous montrons les muscles, en pleine conscience d’une limitation de l’utilisation de notre solde non-cotisé, vestige patrimonial par lequel nous voguons vers le mirage de la réalisation.
Mais, au-delà de nos urticaires d’utilisation autonome de nos deniers, nous sombrons dans un curieux silence dès lors l’État administré se glissant sous la couette, s’autorisant à interroger libre-arbitre et jouissance de notre intimité.
La masse au mieux s’essaie à chuchoter ses doutes, marginalisant les vociférants de la défense des libertés intimes.
Nouvelle invitée au banquet de nos récits, tendez l’oreille afin de percevoir la majorité silencieuse.

La tentation de la caractérisation de son silence comme une absence totale d’expression s’apparenterait ici à un raccourci malheureux et paresseux.
Durant la Deuxième Guerre Mondiale cette expression discrète a pris la forme de l’attente et de délicats courriers aux autorités qu’elles soient françaises ou occupantes.
La dénonciation à l’ennemi d’un voisin, d’une connaissance, d’un ami nourrissait l’illusion d’éloigner le danger et trahissait l’évaporation de la fraternité et de l’évidence de la cohésion de notre ensemble.
La relation d’autorité s’est alors mise à s’exercer, exclusive et intériorisée, sur notre intimité.
Emblème de la nature totalitaire du régime nazi dans lequel se prélassaient, indécents, les tenanciers de l’État administré, la possibilité de la solidarité, de l’altérité avait été tronçonnée, brûlée, écartelée.
Marqueur de rédemption morale, virile et paternaliste, la tonte des femmes accusées de collaboration horizontale exorcisa, par la punition sadique et malfaisante ces lâchetés apparentes et lava plus blanc que blanc un pays reconquis et appelé à devenir reconstruit.

Las, malgré les échelles, les fondations des murs cloisonnant nos capacités d’altérité n’ont jamais été abattues.
Les rituels collectifs de punition des collabos, des délateurs traitèrent la représentation publique de la victoire du bien contre le mal, permettant l’émergence du récit du pays vaincu, résistant en silence ou activement, malgré les miliciens, les collabos et les délateurs.
Dédouanés de tout examen coupable du silence majoritaire, les sillons exclusifs du contrôle autoritaire de l’exercice intime et éthique se sont élargis.
Ont accueilli des graines, qui ont germé.
Ils se sont normalisés.
Est devenue noyau identitaire notre passion de l’organisation collective, communautaire, militante, corporatiste.
La défense de l’organisation sociale s’est imposée comme loyauté, comme horizon.
Elle peut être contestée par d’autres organisations, floquées, se floquant de l’écusson de la défense des libertés individuelles.
L’horizon avoué sera celui de l’émancipation, l’organisation devant être toujours plus juste et devant nous permettre d’être toujours plus libres.
Mais derrière le pacte, l’union vers le mieux, le progrès, la restauration de notre grandeur et de notre puissance se sont tapis et tissés les outils d’organisation de la pensée collective et de contrôle des velléités individuelles.

Rapidement contestés par les gains de confort, les carcans moraux traditionnels n’ont eu d’autre choix que d’essaimer dans les sillons de la majorité silencieuse.
L’embourgeoisement moyen est devenu le meilleur allié des sphères héritières, nivelant un pacte de non-agression dans une porosité maîtrisée.
Réseaux, instances, institutions se sont structurés autour de comportements individuels facilement normables.
Préservant a minima leurs récents acquis, verrouillant les portes d’entrée à ce monde pensant dorlotant le peuple dormant, les récits méritocratiques et républicains turbinèrent.

La structure véritable de l’État administré s’ajusta aux variations négligeables des alternances politiques, n’ayant que peu à craindre du rituel de l’isoloir.
Marchepied des ambitions petites et grandes, louables et abandonniques, le vote à bulletin secret, isolé, permet de pérenniser certaines traditions.
La délation peut se réincarner dans le bulletin bas du front, magouilleur ou caviardeux, elle en devient moins risquée.
Comme ne viennent jusqu’à cet étrange rituel que ceux capables de s’identifier au décorum, sans examen citoyen autre que la boiboite à bulletins, les leçons de morales et les publicités pour ce monde blondisé, brushingé, capitalisé au devenir en carton pâte pouvaient continuer à pleuvoir.

Il fallut néanmoins essayer de s’ajuster aux persistances et résurgences de la misère et au nombre croissant de stagnants, de non-accédants au rêve français.
L’urgence devint à la préservation des instances de reproduction sociale.
Le problème provient de l’inadaptation sociale, de milieux familiaux, sociaux, carencés, criminogènes si n’est fainéant et un peu étranger.
Il ne peut se nicher dans les instances républicaines au sein desquelles il faut se fondre.
Voyons, il n’y qu’un mètre à sauter afin d’atteindre notre rive depuis la vôtre.
Regardez, tous nos enfants y arrivent, eux.
Alors oui, peut-être, effectivement, le fait que nous les entrainions depuis toujours sur la base de techniques dont, nous sommes les seuls détenteurs peut créer un léger désavantage.
Mais avec des efforts, peut-être y arriverez-vous.
Fondez-vous qu’on vous dit, faites l’effort.

La structure de l’État administré resta magnanime, elle laissa deux voies de secours aux réfractaires-empêchés, la docilité salariale et le prestige entrepreunarial.

Ainsi voguaient nos vies sur ce charivari aveuglant, lourd de l’enclume de nos non-dits et interdits.
Et, comme toute les croyances de cette seconde moitié du Vingtième siècle, la toute-puissance et le déni des structures établies et sous-tendant la main-mise sur l’organisation se sont confrontées au craquèlement d’un vernis qui ne pouvait être éternel.
La meilleure alliée de nos gardiens du temple méritocratique républicain et de nos baillonneurs de l’intime était la conviction de l’état immuable de l’ordre des choses.
Fous, dangereux et orgueilleux les bâtisseurs du monde moderne occidental, riche se sont estimés à l’abri des soubresauts historiques et mondiaux, nous inséminant en ce sens.
Les modèles de société présentés à toute épreuve ont beau avoir réussi à absorber les mécanismes critiques, ils n’ont fait que reculer la fenêtre de visibilité des effets et indicateurs d’un cours existentiel échappant à leurs contrôles.

Les déséquilibres environnementaux ont foré la première brèche.
Les appétits énergétiques, énergivores s’y sont engouffrés, déployant la toile protéiforme de la guerre économique, ici, là-bas, partout.
Occupations illégales de territoires, déstabilisations et renversements de régimes défavorables, instrumentalisation de communautés, choix du chômage de masse ont constitué la nasse qui aurait pu devenir le substrat à l’unification des consciences des populations de nouveau assujetties.
Ce n’est pas tant, chez nous, la densité du maillage qui pourrait justifier notre absence de mobilisation.
Il faut plutôt regarder vers le mirage-amortisseur enrobant la pérennité des rapports de domination d’une supposée capacité de liberté, une liberté s’incarnant dans le prestige du loisir de consommer.
Tenus en laisse et à distance les uns des autres par la conviction immuable du système, le prestige de la liberté, notre emmaillotage se crochetait aux incursions intimes permanentes et intériorisées de l’état administré.
Jusque’à ce que les trains de marchandises pleins à craquer des mensonges auxquels nous acceptons de nous aliéner ne se mettent à circuler sous les nuages gris de la révolte.

Voyez-vous nous sommes fascinants.
Capables de merveilles de modélisations intellectuelles, de prodiges de constructions matérielles et sociales, nous souffrons toujours de l’irruption intempestive de notre mauvaise nature.
Serait-ce par grégarisme, peur de la liberté, incapacité à se transcender par l’altérité fraternelle et sororelle?
Toujours est-il qu’à peine les fondements et mécanismes posés, nous suscitons avec la même frénésie les effets pervers et verrouillons les circuits permettant à « ceux qui ne sont pas » de devenir.
Alors souffle le vent de la révolte.
Parce que ceci n’est pas un jeu et concerne la vie et l’existence.
Déposons notre dogme de l’anamnèse, considérons avec simplicité les constituants passés.
Nos modèles d’organisation sociale et économique échouent de leurs réussites.
Incapables de considérer les natures transitoires de ces processus puisqu’aveugles à notre besoin de ré-élaboration, nous nous leurrons de ce passé-présent immuable.
Les possibilités de déconstruction, de mise en perspective critique sont infimes, sitôt dites, sitôt dévalorisées, stigmatisées, criminalisées, transformées en ennemies de la république.

Le sol se fissure, le vent se lève et le bateau tangue.
Les grondements dévoilent des dents devenues crocs.
Les récits s’éliment de leurs derniers fils.
Les entrelacs apparaissent.
Nous sommes séparés, il s’agit d’un état de fait et non d’un risque à prévenir.
Les instances où devait s’opérer notre cohésion se sont perdues dans leurs jeux d’immobilisme.
Les discours d’intégration oecuménico-républicano-catéchisée se sont révélés à modèle unique, impasses trop étroites pour accueillir les non-conformes, les non-élus, les non-adeptes.
Les maisons craquent de leurs précipices, abîmes de la capacité de différence et d’esprit critique.
Les places ne sont pas accessibles, elles sont verrouillées.
Mais le discours de culpabilisation n’agit plus en introversion.
Il mobilise.
Sans-tout, précaires, oubliés, insérés, employés, ouvriers, salariés, humiliés, assujettis, sensibles ont absorbé l’avancée de la nausée et ont rejeté les cachots intimes du discours se disant républicain.
Des mises au sens s’affranchissent de l’interdiction à penser.
Alors, on pense.

Loin des supercheries intellectuelles, les franges, les tranches, les catégories isolées s’essayent à  se fédérer.
Panique à bord chez les aveugles, les tenanciers et les biens-disants.
Des récits transgressifs viennent rappeler l’indigence du récit collectif et médiatique sur le « pourquoi », la légitimité des règles, des rapports de domination auxquels on nous demande de nous soumettre.
Des passages se transforment en actes et viennent injecter du réel dans ce récit exsangue.
Même d’un ministère, une porte résistera avec difficulté aux assauts d’un chariot élévateur.
Même éduqués et inondés de libertés des voix peuvent réclamer de restaurer l’autorité en appelant le Général de Villiers.
Moqués, dénigrés à la hauteur de la crainte qu’ils inspirent, les forces ultras, nationalistes se rêvant patriotes imposent cette réécriture spectrale de notre ensemble.

Elles nous disent que nous sommes devenus un pays de pleutres et de lâches.
Du fait de la boucherie de la Grande Guerre qui a englouti les plus grands, les plus costauds, les plus courageux.
Les resquilleurs à cet épisode constituent donc le vivier ayant précipité nos naufrages d’entre-deux et post Deuxième Guerre Mondiale.
Du fait d’une condition physique ingrate, d’un ADN de traître et de lâche qui aurait infusé depuis notre société vers un modèle de soumission généralisée.
Pour ces forces, cette soumission est consubstantielle aux forces de gauche.
Sous couvert de progrès social, d’égalitarisme, de libéralisation des moeurs, de recherche de consensus, les courants de gauche trahiraient leur incapacité à user de l’autorité et ne pourraient éviter de se compromettre avec les minorités les plus agissantes, en pensant les acheter mais en se faisant dominer.
Cette soumission dont le point d’orgue aurait été le mitterrandisme est à entendre sur tous les plans.
Politique internationale, naufrage économique, sécurité intérieure, atteintes aux traditions, dérive morale seraient les symptômes de la soumission d’une classe politique accrochée à deux autres mamelles, la soif de pouvoir (entendons corruption) et ses idiots utiles (entendons les boomers).
Pour ces ultras l’urgence est à reprendre le pouvoir aux élites, aux boomers, aux enseignants trop occupés à se partager le gâteau sur le dos des classes populaires, un partage s’accompagnant d’un mépris dégoulinant.
Le constat est donc à la faiblesse et à l’abandon de la part, soit de privilégiés soit de victimes de déni et a le souci de l’opérationnalité.
D’ici provient l’un des souffles de la révolte, par une mobilisation globale s’appropriant la subversion.

Réseaux sociaux, chaînes Youtube transportent un discours à fort potentiel d’adhésion, sachant au-delà du récit d’unité s’appuyer sur le réel et ainsi s’exprimer à ceux auxquels le discours dominant ne sait plus (a t’il déjà su) parler.
Règne cette stratégie d’être l’endroit, la place où se dit, se suggère ce qui est tu, tabou puisqu’étiqueté vrai.
Au-delà des rodomontades deux éléments apparaissent distinguables dans ce discours de recherche d’opérationnalité.

Le premier vise à restaurer notre capacité de protection.
Entraînement à l’autodéfense, encouragement à l’armement via les permis de chasse, exaltation de la production de muscles, de puissance sont les éléments saillants de cette revendication à se protéger, à être en mesure de faire face à ceux qui agressent et qui n’ont pas, eux, de problèmes avec l’usage de la force.
Cette reprise du pouvoir sur les corps poursuit également une dimension symbolique, se différencier des traîtres du système, souvent de gauche et autres mangeurs de graines et de quinoa (gentiment qualifiés d’ailleurs de fils de putes).
Pour ces forces ultras il s’agit d’un ultime aveu de faiblesse, dans la lignée de leur abdication sur les sujets d’autorité, témoignant de la relégation du corps dans le champ de la vulgarité par les forces de gauche, du système, les enseignants et les boomers.
La grille de lecture est imparable.
Puisque les décideurs, ceux qui tiennent les rênes sont les descendants des plus petits, des moins costauds, de ceux qui ont fui le combat, il leur était indispensable de bâtir une organisation sociale reléguant la pratique du corps et de la force.
Bienvenue donc à la dévalorisation de la pratique sportive, des métiers physiques et manuels et à la scission avec la sphère intellectuelle.
Le reprise de pouvoir sur les corps vise à inverser cette hégémonie.

Le second élément concerne les dimensions de rééducation.
Lorsque l’on écoute les « plans » de ces forces ultras, ceux-ci font la part belle à l’arrestation (pour ne pas prononcer le mot rafles) des « traîtres » au petit matin, tout ce petit monde embarquant dans des semi-remorques réquisitionnés à RUNGIS.
Destination?
Des camps de rééducation.
Si nous en doutions encore, c’est bien vers la façon de construire la pensée que s’orientent ces forces opérantes en quête d’inversion du rapport de force dans l’espace et les les esprits publics et intimes.
Mais en quoi cela nous intéresse t’il?
D’après le rapport parlementaire RESSIGUIER-MORENAS de 2019, les effectifs opérationnels de ces groupes ultras seraient de 3000 personnes.
3000 personnes dans un effectif global de 67 millions de personnes apparaît comme un rapport de force défavorable et écrasant.
Pour autant 6000 personnes représentent par exemple l’estimation des effectifs d’ISIS en 2014 en Syrie lorsque se font jour de nombreuses conquêtes territoriales ( RAQQA, ALEP, TAQBA, KOBANÉ, DEIR-EZ-ZOR) sur un peu moins de 100 000 m2 de territoire.
Les effectifs de BOKO HARAM ont été estimés à 7000 personnes en 2016 capable d’occupation territoriale et de guérillas sur un territoire dépassant déjà BORNO et la Forêt de SAMBISA.
Au-delà du nombre, ce sont bien les capacités de détermination, d’armement, d’organisation et d’action qu’il nous faut considérer.

100 personnes de ce bois suffiraient allègrement pour quadriller une ville moyenne, installer des checks-points et produire l’étincelle de la guerre civile comme une libération nationale.
Le commando du 13 Novembre était composé, sur son axe opérationnel de 10 personnes, celui du 7 Janvier de 3 personnes…
100 personnes de ce bois suffisent allègrement pour quadriller une ville moyenne, y installer des checks-points et donner corps à l’étincelle de la guerre civile vécue comme une libération nationale.
Leur meilleure alliée sera l’effet de sidération, elle-aussi largement théorisée par ces forces, nous assignant une incapacité à réagir du fait de notre distance avec le réel, la violence, l’effet du « sans précédent » générant forcément une normalisation de l’anormal afin de nous aider à ne pas nous effondrer.

Réelle, est-ce bien la principale préoccupation nous animant dans cette construction méticuleuse d’une contre-culture opérationnelle.?
Ne serait-ce pas plutôt le dépassement?
À la traîne, empêtrés dans des grilles de lecture du Vingtième Siècle, les semonceurs médiatiques et politiques voudraient nous terrifier avec le Rassemblement National, marquant un blitz apocalyptique s’il remportait des élections nationales.
Le Rassemblement National, dans son virage de normalisation, n’a rien de réellement différent des forces en place si ce n’est une moins bonne maîtrise du langage administratif.
Préférence nationale, sécuritarisme?
Plongeons-nous dans les conditions de délivrance des autorisations de travailler du CESEDA.
Regardons les velléités de remise en cause de l’inconditionnalité de l’accueil en CHRS, les demandes de triage, euh pardon de recensement, en fonction du titre de séjour et vous constaterez que les discriminations, les ruptures d’égalité foisonnent dans l’environnement administratif et réglementaire.
Penchons-nous sur les doctrines de maintien de l’ordre, les évolutions récentes et à venir du Code de Sécurité Intérieure.
Les instruments étant déjà majoritairement présents, il suffira à ce potentiel nouvel exécutif de prendre quelques cours de novlangue administrative en s’appuyant sur les réseaux et mentalités dociles, serviles qui fourmillent dans l’administration afin de ne plus faire peur à qui que ce soit.
Mais le sujet n’est pas au commentaire spectaculaire de la sensation lepéniste mais va plutôt, tel le traitement réalisé par François DURPAIRE ET Farid BOUDJLELLAL dans « La Présidente » , vers les plus opérants.
Dans « La Présidente », le FN arrivé au pouvoir se fait dépasser par une frange plus agitée qui kidnappe Florian PHILIPPOT afin d’obtenir un « vrai » exercice patriote du pouvoir.
Le sujet consiste dans la confrontation de ce récit avec nos implications intimes.

La crise sociale, politique, démocratique et représentative ne se lit pas dans les taux d’abstention.
Elle se vit dans les incapacités de rencontre, les tensions dans l’exercice du désaccord et du dissensus, les vexations, les sentiments d’injustice, la moralisation permanente, la confiscation du sentiment intérieur de la légitimité à construire une pensée, les enfermements spatiaux sociaux, et économiques d’un monde devenu poulet sans tête.
Il en faudrait presque espérer que la dualité RN/surmotivés s’exerce telle que décrite dans « La Présidente ».
L’inverse nous indiquerait  que la crise telle qu’elle s’incarne aujourd’hui aurait muté dans de nouvelles instances, inédites et incontrôlables par l’état administré.
Qui aurait prédit que les ronds-points deviendrait agoras?
Qui peut prédire avec certitude qu’aucune préfecture, qu’aucune mairie, qu’aucune école, qu’aucun supermarché ne seront occupés par la force et le nombre.
L’état administré serait alors piégé.
Qu’il mène l’assaut ou qu’il laisse faire, les forces ultras auront gagné puisque le débat ne dépassera pas la sécurité et l’exercice de l’autorité.

Mais pourquoi ce catastrophisme-fiction?

Quelles réelles craintes faudrait-il avoir face à quelques millions d’abonnés à des chaînes Youtube mélangeant humour( enfin il paraît), production léchée (enfin pas tout le temps) et thèses insurrectionnelles?

Ne serait-ce pas le constat d’un discours qui porte et, en toute simplicité, qui s’adresse aux oubliés, aux plus aptes à se mobiliser, aux jeunesses et à tous les distants du confort de l’état administré qui confortés, auront plus de probabilités de se projeter dans cette vague sombre et incertaine de la révolte?

Ne serait-ce aussi, le constat de forces de gauche incapables de s’adresser avec autant de justesse et de globalité aux dimensions symboliques et intimes des plus faibles et des sensibles oppressés et prises en tenaille?
L’accompagnement et le soutien des communautés longtemps opprimées, réduites au silence les rend de facto facilement accessible à l’argumentaire antirépublicain puisque procommunataire.
Ce même positionnement les cantonne à un étiquetage urbain, l’intersectionnalité revêtant plutôt une dominante de classe que raciale au fond du Berry, de la Sologne ou du Perche, les combats de genre et de sexualité y souffrant eux d’une omerta traditionnaliste.

La tenaille les broie au contacts de minorités agissantes, telles nos ultras de droite, en mutation constante, protéiforme de leurs logiciels d’action et de lutte.
Trop imprévisibles, trop inédites elles effraient les accointances du discours dominant qui s’éprouve encore de gauche déniant son union totale à l’embourgeoisement.
Effrayées ou ignorantes des débats structurant désormais les contours de la lutte, elles ne peuvent s’unir avec les formes les plus vives des libertaires et expérimentateurs à tout va, hostiles à l’organisation administrée.
Ceux-ci ne pardonneront plus les trahisons passées et actuelles.
L’appareil opérationnel ne pourra s’appuyer sur eux.
Reste alors la tutelle gênante des partis, aveugles et sourds à leurs propres dévoiements, incapables d’imaginer un autrement.
In fine l’approche droite-gauche aurait pu prendre sens dans la mise en perspective des potentialités de déploiements des arcs opérationnels.
Elle demeure vaine et non du fait de la fulgurance disruptivo-startupo-nationmachinchose de l’actuel exécutif.

Le mal est connu, profond et ancien.
Reproduction des inégalités et des immobilismes.
Main-mise des baronnies locales, des exécutifs.
Jeux de pouvoirs partout, tout le temps.
Morcellement, tentative d’annihilation de l’expression intime et critique.
Individualisme et ravage consumériste.
Crise sanitaire, environnementale hors de contrôle, loin de toute capacité d’innovation créative et se vautrant dans l’autoritarisme bien amené par la répression féroce et brutale des opposants et simples usagers de l’espace public.
Carcans moraux et archaïques.
La crise politique, démocratique, sociale et représentative ne pourra se résoudre par des instances qui se sont séparées de nous.
Elles sont incapables de mesurer notre urgence.
Elles ne nous rendront pas les leviers.
Il nous appartient de les prendre.

Le sol se fissure, le vent se lève et bateau tangue.
Les essences sont à l’oeuvre.
Les cohortes débarquent.
Les colonnes s’organisent.
Les fuites violentes s’échappent, par bribes.
J’ose la sarbacane.

Amis taiseux, amis silencieux.
Honorons-nous de nos souffrances, de nos brimades.
Osons nous conter nos étrangetés.
Si cela doit se faire, fourche à la main, prenons le risque.
Je préfèrerais des sarabandes pacifiques et moins piquantes.
Où les néo-païens délaisseraient leur toute puissance sur la nature et s’ouvriraient à la spiritualité.
Où les capables de leurs mains n’auraient plus peur d’être en désaccord avec les habitués de la parole.
Où nous donnerions à l’égalité et à la fraternité l’honneur de croire en une construction totale et entière d’individualités capables de ne plus s’extraire de la collectivité par le mirage de places enviables.
Osons les odes à nos poésies.
Osons les tentatives de création.
Osons le chemin commun, physique et intellectuel.
Abattons les fondations des muselières de nos intimités.
Creusons d’autres sillons sans catéchisme ni incantations.
Essayons d’accueillir les creux chaloupés de la liberté.

JH

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