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Billet de blog 21 avril 2020

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SEMI-LIBERTÉ

La tentation est grande de venir convoquer les cliniques de l’enfermement afin de comprendre le moment que nous vivons.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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La tentation est grande de venir convoquer les cliniques de l’enfermement afin de comprendre le moment que nous vivons.

Oui, nous sommes d’indécrottables productivistes.

Notre agitation sociale permanente nous amène, avec frénésie, à faire.

Tout le temps, partout.

Dans le meilleur des cas nous avons réfléchi avant de faire.

Mais, hélas, je crains que nous ne soyons dans le commentaire a posteriori de l’acte commis.

Un commentaire qui se farde de l’analyse, de la contribution au sens commun, alors que, nous pouvons nous le dire, nous sommes entre-nous, ce commentaire est avant tout destiné à légitimer et à pérenniser la place du commentateur.

Alors, pensez-vous, que les hautes autorités viennent, en sortant toute l’argenterie de l’urgence et de la survie de la nation, stopper la machine et offrir ce que ses pires ennemis appelaient de leurs luttes, il y a de quoi étourdir un monde.

C’est bien là que l’agilité de notre système, détaillé par Max WEBER puis Luc BOLTANSKI et EVE CHIAPELLO est fascinante de réactivité.

Oui, je préfère éviter l’emploi du mot capitalisme parce que je connais son effet repoussoir.
Écrire capitalisme ça veut forcément dire qu’on est anti-capitaliste.
Qu’on est pas d’accord avec ça.
Qu’on estime que ce système n’est pas équitable, pas juste, qu’il produit des inégalités, qu’il attise les divisions, les conflits.
Alors que bon on ne peut rien y changer, c’est comme ça, penser l’inverse c’est de l’utopie, c’est pour se donner bonne conscience.
Que tout ça est compliqué
Et puis, quoi, on va écrire que la guerre c’est mal, que la paix c’est bien.
De la démagogie con-con, cul-cul.
Et hop, tout argument est décrédibilisé.

Ah mince, je l’ai écrit.

Reprenons.
Le système est agile et rapide.
Il a la capacité d’absorber tout mécanisme critique en prenant les apparats mais en ne reniant rien sur le fond.
On pourrait évoquer le verdissement des énergies fossiles, l’encouragement de la conversion du gigantisme agricole conventionnel vers un gigantisme d’agriculture biologique.
On prend le costume et on on piétine l’esprit.
Basique.

L’outil préférentiel à une telle capacité d’instrumentalisation demeure l’influence de la masse, de l’opinion publique.
Médias, réseaux d’administration et de pouvoir sont des bras avec l’envergure suffisante pour ratisser large.
Un râteau qui nous a permis d’arriver vers le 17 Mars 2020 sans craindre le chaos qui nous est promis lors de chaque contestation sociale et autres propositions de contre-modèles de vie commune.
Nous étions rassurés par le fait que nous allions vivre une pause.

Mais la machine ne s’arrête pas.
Elle ne peut pas.
Alors, fleurirent très vite des initiatives commerciales de solidarité où l’on s’est mis à nous offrir.

Moi qui avait toujours cru que dans le business, rien n’était gratuit, j’ai été surpris.
On m’a offert des brouettes de cadeaux, des accès gratuits à des sites où je n’allais jamais, trois fois les mêmes titres de presse, des idées d’activité, de sport…
Nous faisons tous le constat de la multitude, de l’agitation, de l’étourderie.
Du trop.

Réflexe collectif de crainte d’une oisiveté « mère de tous les vices »?
Stratégie commerciale habile de recherche de nouveaux prospects attirés par le chant de la gratuité?
Désarticulation pathétique d’acteurs dédiés aux biens de consommation et qui vendront, toujours, à perte, jusqu’à la mort?

La pêche est ouverte

L’offre explose, le commentaire suit.
Centré sur nos vies.
Sur ce que l’on vit.
Il nous faut vivre ce que l’on comprend et comprendre ce que l’on vit.
Centrés sur nous.

La responsabilité individuelle en intraveineuse.
Le désir individuel en illusion.
Le maquillage de la contrepartie.
Les besoins artificiels
Le mal est profond.
Nous le savions.

Jouons ce jeu, osons!
Que vivons-nous individuellement?
Une confrontation aux effets de l’enfermement.
On a de la chance, on goûte plusieurs parfums en même temps.

Il y a le physique, chez soi.
Il y a le spatial, sur une zone donnée, au quotidien censée ne pas dépasser le kilomètre carré.
Il y a le familial, concentrés sur nos instances primaires.
Il y a l’économique, la sécurité financière en lien.
Il y a le psychique, celui des structures qui préviennent ou non chaque jour nos effondrements.
Il y a le social, dévitalisé, encadré par nos dérogations mais bien planté dans la division sociale de notre collectivité.
Crasse ou volupté, plus moyen désormais d’y échapper, les deux pieds dedans.

Et que se passe t’il?
On s’adapte en fonction de notre capacité à mobiliser nos ressources face à nos contraintes.
Si la balance est déficitaire, le stress grimpe en flèche.

Chez nous, bourgeois, l’on nous invite à méditer sur nous-même, à profiter de ce temps passé en famille, à faire de nouvelles activités et à patienter à l’aise de nos conforts.
Chez les autres, on les invite à faire de même, mais comme l’objectif est inaccessible, on les somme de patienter, en fermant leurs gueules et en se démerdant pour assurer leur survie.
Classique.

Enfermés, délestés d’une partie de nos statuts sociaux et marqueurs d’identité, nous recherchons, nous construisons, de nouveaux repères.
Nous nous structurons, nous ritualisons, dans ce nouvel environnement qui s’il ne nous est pas inconnu n’avait jamais eu autant vocation à accueillir l’intégralité de nos rôles sociaux.
Et nous nous habillons de ce nouveau statut.
Le temps aidant, ce nouvel habit révèle ses inconforts.
S’ils sont moindres, il nous réconforte et commence à nous faire redouter la perspective de la sortie.
Du retour à la vie collective.
Qui va de nouveau nous confronter à un effort d’adaptation et mettre fin à la méditation bourgeoise du développement personnel.
Si les inconforts sont légions, l’habit pique et gratte et stimule avec force et urgence l’envie de la vie d’avant.
Au plus vite.

Certains ont fait la comparaison avec la détention.
Pour avoir traîné mes guêtres quelque temps dans cet environnement, je pense que l’on peut avoir une plus grande précision.
Ce que nous vivons ressemble le plus à un régime de semi-liberté.

Nous sommes privés de notre liberté de circuler, hormis des cadres précis et encadrés où l’on nous permet de regoûter à l’exercice libre de nos responsabilités.
Nous nous confrontons à ceux chargés de contrôler le respect de nos obligations.

Nous goûtons au zèle du gendarme contrôlant la nature de nos provisions, au contrôle citoyen du voisin prompt à nous signifier avec innocence que nous ne respectons pas les règles.

Comme les détenus, qui eux composent avec le surveillant peu socialisé, l’infirmière adepte de la sédation ou le médecin qui fait du chantage à la substitution pour accomplir son acte médical.

Puis nous revenons dans le lieu de l’enfermement où nous poursuivons notre rééducation et nous acclimatons.
Nous pouvons nous convaincre que l’étreinte de la nasse dépend de notre capacité à nous y soumettre individuellement.
Alors, nous pouvons jouer ce jeu là.

La grande oubliée de ces appréhensions, c’est la considération de notre bien commun.
L’étape que nous vivons a appuyé sur le bouton « pause » de nos libertés.
De réunion.
D’association.
De circulation.
Et prépare l’érosion du respect de nos vies privées, du choix éclairé, de la libre opinion.

Match de défaites.
Pressés ou effrayés de goûter à notre libération, nous entendons notre premier ministre nous indiquer que « le retour à la normale se fera dans longtemps ».
La proposition présidentielle de « se réinventer » aura fait long feu.
L’objectif est au retour à la normalité.
L’interrogation du sens aura été vite enterrée.
Et durant ce temps long, engoncés dans nos nouveaux statuts d’individus libérés, nous craindrons la récidive et un nouvel enfermement.
Nous accepterons cette nouvelle institutionnalisation.
Nous serons.

Semi-libres.

JH

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