La ministre de la Santé Marisol Touraine a lancé ce mardi l'Observatoire national du suicide, alors que la France figure parmi les pays d'Europe dans lesquels on met le plus fin à ses jours. Pour quelles raisons? eléments de réponse
-27 personnes se suicident chaque jour en France.
- 700 / jour tentent de le faire.
- 14,7 pour 100 000 habitants en 2010 ; le taux de suicide dans l'Hexagone figure parmi les plus élevés de l'Union européenne, derrière les pays baltes, la Hongrie et la Belgique. Bien au-dessus de la moyenne des autres Etats de l'UE, qui s'élève à 10,2, selon les données d'Eurostat.
Comment expliquer ces 10 000 suicides annuels?
D'abord, par des lacunes évidentes en matière de prévention. En mai 2012, Libération avait publié l'appel des 44, un manifeste signé par des psychiatres, sociologues, hommes politiques, réclamant la création d'un Observatoire national du suicide.
Objectif: mieux connaître le phénomène pour proposer ensuite des politiques de prévention efficaces. Leur voeu a été exaucé ce mardi. La ministre de la Santé Marisol Touraine a lancé l'observatoire, à l'occasion de la 11e Journée mondiale de prévention du suicide.
Des chiffres à prendre avec précaution
"Il faut demeurer prudent dans les comparaisons internationales", tempère le professeur de médecine légale Michel Debout. "Les systèmes sanitaires diffèrent d'un pays à l'autre et chacun possède ses propres méthodes de recensement. En outre, il peut être difficile de déterminer une cause de décès, un suicide peut par exemple avoir l'aspect d'un accident, et inversement. Cela étant dit, dans les pays de la vieille Europe, les données sont assez fiables et la France est depuis longtemps distancée par la Grande-Bretagne et l'Allemagne. La surmortalité liée au suicide en France est bien une réalité inquiétante".
La France va enfin pouvoir rattraper son retard. Il a fallu attendre 1993 et la présentation de l'étude du psychiatre Michel Debout au Conseil économique et social pour que la question soit considérée en France comme un problème de santé publique. Le Royaume-Uni, lui, s'est penché sur la question dès les années 50. Ce n'est pas un hasard si ce pays se distingue par l'un des taux de suicide les plus bas de l'Union européenne: 6,4 pour 100 000 habitants. Françoise Facy, présidente de l'Union nationale pour la prévention du suicide acquiesce: "Nous n'avons pas une culture de la prévention ni de l'éducation à la santé. Cela se fait sentir dans la population en général mais aussi chez les professionnels: l'organisation des soins, en France, repose sur un système bien plus curatif que préventif".
La crise économique comme facteur de risque
Le manque de prévention ne peut cependant pas suffire à lui seul à expliquer les mauvais chiffres français. Les difficultés professionnelles, la précarité et l'isolement, constituent des facteurs de risque non-négligeables. Or, dans certains pays, où le taux de suicide est bas comme en Espagne (6,3 pour 100 000 habitants en 2009) et en Italie (5,4) la solidarité familiale est plus ancrée dans la culture qu'en France, souligne Michel Debout, président de l'association Bien-être et société. De "bons" chiffres, mais antérieurs à la crise économique.
L'ancien membre du CES prend aussi l'exemple de la Grèce, dont le taux de suicide figurait parmi les plus bas d'Europe. "Avant la crise, la protection familiale pouvait permettre de prévenir l'isolement. Ensuite, la génération des grands-parents a elle aussi été touchée par les problèmes économiques, elle ne pouvait plus porter assistance aux enfants et petits-enfants. La protection a sauté". Et le taux de suicide a bondi de 26% en 2011. Macabre "record": pour l'association grecque Klimaka c'est du jamais-vu depuis le début du recensement des suicides par l'Organisation mondiale de la santé, il y a 50 ans.
Le certificat de décès ne précise pas si la personne qui s'est suicidée était au chômage
Et en France, la crise a-t-elle changé la donne? "On n'en sait rien!", lâche le professeur Debout. Le système actuel ne permet pas d'établir des statistiques précises: "Le certificat de décès ne précise pas si la personne qui s'est suicidée était au chômage". Ni si elle était en rupture familiale ou en situation d'addiction, autre facteur de risque non négligeable.
En terme de consommation d'alcool, les Français se distinguent encore une fois de leurs voisins. Le pays se classe en 4ème position des pays les plus consommateurs d'alcool en Europe. En 2008, près d'un tiers de la population s'inscrivait dans une consommation excessive, souligne un rapport du Haut conseil de la santé publique. Même constat pour le cannabis et le tabac.
Centraliser, exploiter et enrichir les données disponibles
Dans l'avis du CES rendu début 2013 "Suicide: plaidoyer pour une prévention active", le rapporteur Didier Bernus soulignait qu'il n'était pas question de dresser un "portrait-robot" du suicidant. Mais de préconiser la création d'un "Observatoire national du suicide, chargé de centraliser, d'exploiter et d'enrichir les données disponibles afin de mieux identifier les facteurs de risque", "promouvoir les dispositifs d'alerte" et de suivi et "conforter, voire augmenter, les moyens des réseaux de santé impliqués dans leur prise en charge ".
L'exemple des plus jeunes montre que la mise en place d'une réelle politique de prévention ne sera pas vaine. "Il faut arrêter de voir le suicide comme une fatalité mais comme un problème que l'on peut prévenir", martèle Michel Debout. "Grâce à la mobilisation du milieu éducatif, associatif, médical, des parents mais aussi des médias, la France est en train de rattraper son retard". Les progrès sont même considérables. En un quart de siècle, le suicide des adolescents a chuté de moitié.