On veut refermer les frontières. Dresser des murs. Trier l’humanité se pressant sur nos bords et menaçant notre hexagone étroit pour ne pas dire obtus, lâche, borné. Revenir, peut-être, à notre bel Ancien Régime, au Grand Siècle, à César : « La politique de Louis XIV restait fidèle à son principe », écrit le barrésien Bainville, « entourer la France de forteresses et de tranchées, fermer toutes les trouées, barrer les routes d’invasion. »Car l’invasion menace, aboient les scélérats. Partout des multitudes nous assaillent, de toutes parts accourent de féroces migrants – entendez les mugir ! – pour égorger nos fils et violer nos compagnes. Aux armes, Béotiens !Il s’agit donc de refaire frontière. Ce qui signifie, en bon et vieux françois, se ranger en bataille, envoyer les soldats, mobiliser l’armée – frontière désignant, au sens premier et provençal du mot, le front d’une troupe, sa façade casquée. Mais sous ce front hérissé de Tasers, que veut-on protéger ? Le génie sans frontière d’un Proust, d’un Beckett, d’un Rousseau, d’un Dumas, d’un Césaire ? Ou le cadavre bien vivant du bon vieux racisme français, du pétainisme irréductible, de l’ancestrale et provinciale xénophobie d’hier et d’avant-hier ? Bref, de tout le poison fermenté dans le cerveau reptilien de l’électeur de droite et d’extrême droite, aussi à l’aise dans ces remugles des années 1930 que le cancrelat dans la crotte ? Ce cerveau qui, incapable d’évoluer comme de s’adapter à une situation nouvelle, au même stimulus fera toujours la même réponse – « Les métèques ? Dehors ! » –, et dont la mémoire est aussi courte et racornie que les idées. Pavlov en est le saint patron, Laval le muletier, et les mules de tête ont pour surnom d’étable Ménard, Zemmour, Buisson et Hortefeux, aiguillonnées par la mouche du coche, l’histrionique Sarkozy. Mais attention ! Fermer les frontières, d’accord. Mais pas à n’importe quoi. Le capital est libre, lui, de franchir les barrières et d’en quelques secondes faire le tour de la planète, semant au passage la ruine, égrenant la misère, aux quatre coins des rues, multipliant les sans abri, les sans emploi, les sans argent, les sans aveu, qui viendront se presser, morts de rêve et de faim, aux murs d’indignité et d’égoïsme que nous dressons devant nos spas de luxe et nos supermarchés. C’est à l’humain qu’on oppose des murs, vieille histoire, à l’humain moins « humain » que nous, moins « civilisé » que nous, moins « évolué » que nous, moins « développé » que nous, c’est-à-dire au Romanichel, au Palestinien, au Mexicain, au Nord-Africain, au Noir africain, bref, au pauvre de tous les vents, au miséreux de tous les âges, à tous ceux que Fanon, ce grand combattant, appelait, reprenant l’Internationale, les damnés de la terre. A la fraternité humaine, toujours à construire et à reconstruire, toujours à faire et à refaire, contre marées et vents sans relâche à défendre et à proclamer (il paraît même que la fraternité serait une valeur chrétienne), l’usurpateur du mot « libéral » préférera toujours la liberté… du Capital, l’unique valeur qui lui est chère, la puissance idéale sous laquelle à plat ventre il s’incline et s’ébat, le dénominateur commun de ses peurs et de ses rancœurs, le noyau dur de son mercantile humanisme (puisque de l’humanisme il ose aussi se réclamer), l’unique religion, l’ultime conviction de son cœur veule et mercenaire. A l’affront répondons par l’affrontement. Sans frontière.
Billet de blog 8 mai 2011
L'affront de la frontière
On veut refermer les frontières. Dresser des murs. Trier l’humanité se pressant sur nos bords et menaçant notre hexagone étroit pour ne pas dire obtus, lâche, borné. Revenir, peut-être, à notre bel Ancien Régime, au Grand Siècle, à César : « La politique de Louis XIV restait fidèle à son principe », écrit le barrésien Bainville, « entourer la France de forteresses et de tranchées, fermer toutes les trouées, barrer les routes d’invasion. »
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