Y a-t-il jamais eu, à la surface des choses où se déploie notre existence, une suite 2806? Un hôtel Sofitel à New York? Un homme prénommé Dominique et nommé Strauss-Kahn? Une femme prénommée Nafissatou et nommée Dialo? Une salle de bain? Un mur souillé de sperme? Un corps meurtri? Un procureur a répondu déjà à ces questions : NON-LIEU.
Non qu’il ne se soit rien passé ici ou là, dans un maintenant réduit à son ombre insistante, mais le lieu où tout cela aurait pu arriver n’existe tout simplement pas.
Le temps s’est arrêté l’espace d’une érection, d’une éjaculation, quelques minutes seulement, qui manquent désormais à la trame des heures, qui détruisent sans réversion possible l’illusion d’un chemin temporel, qui trouent le drame de l’espace d’un innommable oubli, d’une insondable absence, d’une obscène disparition.
Le non-lieu surgit ici comme la métaphore de la condition contemporaine : simultanéité de la présence et de l’absence, de l’existence et de la mort, de la passion et de l’action, confondues dans une même indifférence au silence qui nous entoure.
Après la mort de dieu et celle de l’humain, la maladie du sens perdu s’est répandue dans l’inconscient contemporain non pas comme une source neuve de visions et de désirs, comme un fleuve impétueux de fièvres nouvelles, mais comme un jet sans rémission, un jaillissement comique et vain, pareille à la semence d’un désir aveugle et sans visage projetée sur le mur d’un anonyme hôtel.
Le non-lieu, plus encore, est l’espace du politique. Jadis issu d’un sol, enraciné dans des frontières, serviteur avoué d’une classe ou d’un clan, le politique ancrait ses pas dans un chemin que le mythe et l’histoire nationales avaient tracé devant lui avant même qu’il fût né.
Se déplaçant à la surface d’un mensonge, celui-ci ne lui en offrait pas moins un territoire, un horizon, un temps où se savait la langue appartenir. Décence et indécence avaient alors un sens. Et de ce lieu certain sinon véritable on pouvait se défaire et se départir, comme on pouvait aussi le servir et en perpétuer intacte, c’est-à-dire sanglante, la putride légende.
Nous sommes aujourd’hui dans l’espace du jeu, qui ne connaît ni lieu, ni fin, ni bornes, mais seulement des règles, toujours arbitraires, jamais débattues, qui sont à prendre ou à laisser comme l’instant lui-même où se débat encore, pareil au papillon pris dans la lampe, cet étrange survivant à la catastrophe qui se nomme, je crois, le biologique besoin d’exister.
Si infâme qu’il puisse être parfois dans ses débordements et ses bassesses, il demeure partout, dans le repli d’un temps qui n’a plus cours, au détour d’un monde qui n’a plus ni endroit ni envers, notre seul bien peut-être, et notre seul accès, incident, au sublime.
Non-lieu, non-être : nous y serions enfin.