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Billet de blog 10 janv. 2023

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Adolfo Kaminsky, un faussaire contre les fossoyeurs

Adolfo Kaminsky, Juif argentin, déporté survivant, résistant faussaire, militant anticolonialiste, artiste photographe, nous a quitté ce lundi 9 janvier 2023. Adolfo Kaminsky, vous rendre hommage c’est aussi rendre hommage à la vie. 

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Juif argentin né de parents Russes ayant fui les pogroms tsaristes, Adolfo Kaminsky et sa famille connaissent la condition fantomatique de ceux qui ne possèdent pas les papiers marqués du drapeau de la bonne couleur.

Soupçonnés de communisme après la révolution de 1917, les époux Kaminsky sont expulsés de France, s’installent en Argentine, tentent de revenir en France, sont ré-expulsés et passent par la Turquie avant de réussir à s’établir à Marseille en 1932. A 15 ans, Adolfo Kaminski travaille dans une blanchisserie-teinturerie du Calvados et se passionne pour la chimie.

En parallèle du traitement des taches sur les vêtements, il travaille dans une laiterie. Il insère du bleu de méthylène dans les échantillons de crème pour mesurer la quantité de matière grasse du beurre et observe que ce composé chimique se dissout au contact de l’acide lactique. Cette information technique déterminera son destin.

Illustration 1
Adolfo Kaminsky

Le décès de sa mère en 1940 – dans des circonstances qui permettent de suspecter un assassinat antisémite, sa déportation à Drancy en 1941 – dont il survit ainsi que sa famille grâce à l’intervention du consulat argentin – et plus généralement les persécutions faites aux Juifs par le régime de Vichy, le poussent à se rapprocher de la Résistance qu’il rejoindra en tant que faussaire en 1944.

Il surprend une discussion à propos d’un problème de dissolution de l’encre de stylo Waterman (composé de bleu de méthylène) et préconise à ses futurs camarades de laboratoire l’utilisation de l’acide lactique. Il passe le restant de la guerre à fabriquer des faux papiers afin de soustraire des milliers de vies Juives au destin des chambres à gaz.

« Rester éveillé. Le plus longtemps possible. Lutter contre le sommeil. Le calcul est simple. En une heure, je fabrique trente faux papiers. Si je dors une heure, trente personnes mourront. »

Adolfo Kaminsky, une vie de faussaire de Sarah Kaminsky

Alors âgé de 18 ans, Adolfo Kaminsky se transforme en sauveur anonyme. Il passe ses journées et ses nuits à découper, imprimer, sérigraphier, photographier, décalquer, coller, graver les faux papiers qui permettront aux Juifs de ne pas être déportés. Il ne peut s’arrêter que lorsque ses mains perdent la dextérité nécessaire pour apposer un tampon à l’exact emplacement, à cheval entre le coin de la photo et le papier cartonné, lorsque ses yeux ne lui permettent plus d’imiter parfaitement la signature qui pourrait susciter la méfiance du policier vichyste ou de l’agent de la gestapo et ainsi risquer de faire arrêter toute la chaîne des résistants qui s’activent avec lui.

Il travaille avec les résistants de tout bord, notamment la Sixième des Éclaireurs Israélites et le Mouvement de Libération National. Concentré sur sa mission, il tait son identité Juive lorsqu’il entend les remarques antisémites de certains de ses « camarades ».

À la fin de la guerre, il est connu dans le milieu comme un des plus fins faussaires. Il est approché par les services secrets français, qu’il rejoint un temps, mais les abandonne rapidement en raison des activités coloniales en Indochine. Il fabrique encore des passeports pour la Haganah et les Juifs qui reviennent des camps de concentration afin de soutenir leur émigration illégale en Palestine.

Adolfo Kaminsky choisit toujours les organisations pour lesquelles il travaille et refuse d’être payé pour conserver son indépendance politique. En parallèle d’un travail de photographe, il s’engage dans les mouvements de décolonisation de l’Algérie et soutient le FLN. Il soutient les mouvements de libération du Brésil, d’Argentine, du Venezuela, du Salvador, du Nicaragua, de la Colombie, du Pérou, de l’Uruguay, du Chili, du Mexique, de la Guinée-Bissau, de l’Angola et l’Afrique du Sud pendant l’Apartheid. Il soutient ceux qui fuient Salazar au Portugal et ceux qui fuient Franco en Espagne. Il soutient les antifascistes grecs pendant la dictature militaire et les déserteurs états-uniens qui ne veulent pas partir au Viêt Nam.

Obsédé par l’anonymat, Adolfo Kaminsky déménage sans cesse. Il modifie quotidiennement l’itinéraire de son chemin entre son domicile et son laboratoire. Dans la biographie qu’écrit Sarah Kaminsky à partir d’un entretien avec son ex-faussaire de père, sa modestie et son honnêteté impressionnent.

Il nous raconte qu’il n’a avoué ses activités clandestines à personne, pas même à ses compagnes qui le quitteront successivement pour fuir l’insécurité inhérente à sa culture du secret. Secret entretenu à raison puisque l’OAS tentera de l’assassiner, ce qui le poussera à déménager en Algérie où il deviendra professeur de photographie et mettra fin à son activité de faussaire.

Illustration 2
Adolfo posant avec ses Rolleiflex, Paris, 1997, photo prise par sa femme Leïla

La disparition d’Adolfo Kaminsky suscite une angoisse : qui sera à la hauteur pour prendre le relai ? Il était un témoin du siècle et nous a livré ses mémoires sur le tard de sa vie. Réfugié, exilé, déporté, résistant, militant politique, clandestin, artiste, sa vie semble en contenir plusieurs et force le respect.

Par son courage et sa détermination, évidemment, mais surtout par la précision de ses engagements. Il semble, tout au long de son parcours, se tenir rigoureusement à une ligne éthique qu’il avait tracé pour soutenir ceux qui ont œuvré, comme lui, contre l’injustice, contre la mort des innocent·es, dans une pulsion de vie qui ne peut que nous inspirer.

Adolfo Kaminsky, vous rendre hommage c’est aussi rendre hommage à la vie. Lehaim

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