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Billet de blog 19 février 2025

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Les Juifves sont ils TOUS racistes et antisémites?

C'est ce que prétend une tribune « Les juifs antisionistes sont-ils encore des juifs ? Mise au point sur la campagne antisémite qui nous vise » parue dans le Media TV et l'Humanité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Les militants de Tsedek se disent victimes d’une campagne antisémite de la part… de l’ensemble des autres juifs. Ils sont quelques dizaines et dénoncent  l’ensemble des organisations juives françaises "de Golem à l’extrême droite" qui se seraient ligués contre eux. C’est précisément cette attitude qu’Hannah Arendt nomme « les Juifs d’exception ». Persuadés de détenir la vérité contre le reste des juifs, elle les définit comme ceux qui sont « devenus incapables de distinguer leurs amis de leurs ennemis, ou de faire la différence entre un compliment et une insulte, et de se sentir flattés lorsqu’un antisémite leur affirme qu’il ne les englobe pas dans son antisémitisme, qu’ils sont des Juifs exceptionnels » (La tradition cachée, 1946). Nous ne nions pas leur judéité, nous pensons avec Arendt que « le Juif d’exception est davantage un Juif qu’une exception ». Ce que nous constatons simplement, et que cette tribune vient confirmer encore, c’est la posture d’exceptionnalité adoptée par Tsedek et l’UJFP.

Il nous semble que la méthode honnête pour critiquer un propos démarre par le fait de prendre connaissance du propos. Si un seul militant de Tsedek avait réellement ouvert notre Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme, il ou elle aurait constaté que deux chapitres critiquent la thèse du nouvel antisémitisme, que nous qualifions de « lecture partisane et raciste » (p. 388). La partie sur l’antisémitisme contemporain s’ouvre sur le chapitre « Débusquer l’antisémitisme à droite et à l’extrême droite » où nous analysons les faits et les discours politiques qui concourent à la mise en concurrence des communautés juives et musulmanes en France, ainsi qu’à l’instrumentalisation de l’antisémitisme par l’extrême droite. Dans le chapitre « Armer les gauches et le mouvement social contre l’antisémitisme », nous observons les mécanismes mis en œuvre par une partie des gauches pour nier l’antisémitisme. Aucun militant de Tsedek ne l’a lu puisque nous n’y critiquons ni le « mouvement pro-palestinien » ni « la gauche » dans son ensemble.

Maxime Benatouil dit dans une conférence au Havre « il faut qu’on assume de temps en temps d’être les feujs de service »1. La réalité des faits tranche avec l’imposture de l’attitude victimaire dans le MédiaTV. Nous aimerions que Tsedek et l’UJFP assument leurs paroles et leurs actes que nous rappelons de manière sourcée dans notre Petit manuel de lutte contre l'antisémitisme : servir de bouclier pour les antisémites, raconter des alter-verités, partager des thèses et des propos antisémites, harceler des militants antiracistes, participer à des conférences avec des complotistes notoires. Tout le paragraphe à ce propos est disponible ici : https://k-larevue.com/tsedek-ujfp-exception/ Nous comprenons qu’il est douloureux de voir ces faits rappelés. Il est néanmoins malhonnête de les faire passer pour des critiques racistes ou anti palestiniennes. Nous rappelons par exemple que l’analyse de Tsedek consiste à attribuer les actes antijuifs aux « masses arabo-musulmanes » (sic)2. Au chapitre « Analyser l’antisémitisme » de notre livre nous récusons cette lecture raciste et culturaliste et invitons à considérer plutôt l’idéologie et les faits.

Cette idée frauduleuse, que les « masses arabo-musulmanes » (sic) seraient responsables des violences antijuives est autant partagée par les partisans de la thèse du "nouvel antisémitisme", que les adeptes du « "philosémitisme d’État". Les premiers font des musulmans les responsables de l’antisémitisme contemporain, les seconds prétendent que les « indigènes » attaqueraient les Juifs à cause des Juifs eux-mêmes. C’est ce que prétend un communiqué rédigé par l’UJFP six jours après la tuerie de l’Hypercasher. On y lit que « le porteur de kippa » soutiendrait nécessairement « l’armée israélienne et ses massacres à Gaza »3. Cela revient à dire que les Juifs mériteraient la violence s’ils portent une kippa ou fréquentent des lieux juifs.

Contrairement à ce que Tsedek affirme, ce ne sont pas les juifs antisionistes que nous critiquons mais Tsedek et l’UJFP « qui se positionnent comme l’exception, une minorité éclairée dans la minorité corrompue ». En effet « Nous considérons qu’il y a une disjonction effective entre antisémitisme et soutien ou rejet d’Israël et qu’il n’y a ni correspondance exacte ni frontière étanche entre ressentiment antijuif et refus d’existence d’un État à majorité juive » (p. 336).

Dans le chapitre que Tsedek prétend critiquer, nous expliquons : « ni le sionisme ni l’antisionisme ne sont les positions « naturelles » de l’être juif » (p. 279). « Les stratégies juives face à l’antisémitisme et les vues sur Israël sont des options politiques qui ont évolué au sein des mondes juifs selon les évènements de l’histoire et ont toujours connu une pluralité de réponse […] la prétention à incarner une norme ou une contre-norme participe d’une assignation identitaire qui ne fait qu’augmenter la suspicion à l’égard des juifs sans rien apporter aux Palestiniens » (p. 280). Nous appelons nos camarades antisionistes à ne laisser aucune prise aux formes d’antisionisme conspirationniste et rappelons qu’« une critique conséquente et progressiste du sionisme et du fait national israélien ne peut faire l’économie de penser une alternative crédible qui garantisse aux Juifs et aux Juives non seulement la sécurité face aux persécutions antisémites, mais également la possibilité de vivre pleinement leur religion et leur culture sans craindre la persécution ou la marginalisation ». Pour nous, « un antisionisme progressiste et conséquent doit donc nécessairement se traduire par une lutte vigoureuse contre l’antisémitisme, d’où qu’il vienne. Les persécutions des Juifs et des Juives en diaspora, perpétrées parfois au nom de la « solidarité avec les Palestiniens », loin de faire avancer la lutte palestinienne, renforcent l’adhésion au sionisme en affaiblissant la perspective d’une sécurité juive en situation de minorité. Celles et ceux qui, se réclamant de la gauche, prétendent s’opposer au sionisme tout en rendant la vie invivable pour les Juifs et Juives en diaspora, adoptent donc une attitude en totale contradiction avec leurs objectifs affichés » (p. 352).

Contrairement à ce que prétendent les auteurs de la tribune, le mouvement Golem est né de la confrontation physique avec le Rassemblement National. Tandis que la police tapait sur les manifestants qui tentaient de virer des antisémites de la marche contre l’antisémitisme en criant « Le Pen, casse-toi, les Juifs ne veulent pas de toi » face à des nervis de Le Pen qui répondaient « Sales juifs ! », Tsedek et UJFP diffusaient des rumeurs et des contre-vérités sur une prétendue collusion entre Golem et la droite et l’extrême droite. Nous luttons au quotidien de manière concrète Contre l’antisémitisme et ses instrumentalisations. Le livre du même nom, initié par Tsedek, ne traite ni de l’antisémitisme, ni de l’instrumentalisation de l’antisémitisme, mais est une élucubration autour de la passion triste de Tsedek et UJFP : les « sionistes de gauche »4.

Le mot « sioniste » appliqué sans définition et de manière extensive à tous leurs contradicteurs comme dans cette tribune qui inclut dans « l’arc sioniste » des organisations ou personnes qui ne s’en sont jamais revendiquées, leur sert à instiller une suspicion : les juifs inquiets par l’antisémitisme auraient une intention cachée, un projet secret et dissimulé. Celui de disloquer la gauche, ou de soutenir les massacres à Gaza. Nous rappelons que cette suspicion est le moteur de l’antisémitisme contemporain.

Depuis 2000, les Juifs français sont attaqués car accusés d’être complices des politiques coloniales et meurtrières en Israël. De Merah à Coulibaly, du papy qui se fait casser la gueule devant la synagogue à l’enfant violée à Courbevoie en passant par l’incendie de la synagogue de Rouen, les agresseurs prétendent agir au nom de la Palestine. Ils prétendent qu’en s’en prenant à des Juifs français ils « aideraient les Palestiniens ». Notre hypothèse est que ces actes n’ont rien à voir avec la solidarité internationale mais plutôt avec le racisme. Les actes antisémites et islamophobes suivent la même dynamique : la culture de la suspicion, le déni d’humanité. Il est temps de bâtir des récits communs et d’arrêter la mise en opposition des antiracismes. Avec notre livre et les pratiques que les nouvelles organisations de lutte contre l’antisémitisme déploient dans le tournant des années 2020, nous tentons de réconcilier lutte contre l’antisémitisme et lutte contre les autres formes de racisme, ce qui semble insupportable à Tsedek comme le montre cette tribune.

Jonas Pardo et Samuel Delor

1 Le Havre des Luttes, Maxime Benatouil – L’extrême droite est-elle devenue une actrice de la lutte contre l’antisémitisme ?, https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=M9tdZR3eW1E, [37:30].

2 Tsedek !, « L’antisémitisme doit être combattu, son instrumentalisation aussi », site web de Tsedek !, 03/11/2023, [en ligne].

3 Bureau National de l’UJFP, « Le piège tendu aux Juifs de France », site web de l’UJFP, 15/01/2015 [en ligne].

4 Alexandre Journo, « Ceci n’est pas un livre sur l’antisémitisme », revue Daï, novembre 2024, [en ligne].

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