Une des caractéristiques très puissantes de l’antisémitisme est de faire dérailler le logiciel politique de son auteur. Daniel Schneidermann, écrit dans un tweet que ceux qui parlent l’hébreu sont des massacreurs et des barbares, cette partie est assez claire. On ne sait cependant pas exactement ce que désigne « cette langue revenue de l’enfer ». Si par l’enfer il désigne les centres d’extermination nazis, alors la langue qui serait revenue de l’enfer (et qui n’est, dans la réalité, pas revenue) n’est pas l’hébreu mais le yiddish. Ou bien la passion suscitée par ce fait divers lui fait perdre ses connaissances historiques, ou bien l’enfer ne désigne pas la Shoah mais le lieu où les méchantes personnes sont enfermées pour l’éternité après leur mort selon les interprétations religieuses les plus régressives et toxiques. Dans ce dernier cas-là, Schneidermann expliquerait que les personnes qui parlent l’hébreu proviendraient de l’enfer.
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Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans cet avion – si la bande d’adolescents était mal élevée ou non ; si l’attitude de l’animatrice était légitime ou non ; si les consignes de sécurité des travailleurs de la compagnie étaient exprimées de manière correcte ou non. Mon propos ici n’est pas l’affaire en elle-même, je ne sais pas s’il y a eu discrimination et violence policière antisémite, ou bien comportement détestable d’une bande de jeunes réprimé injustement (les deux peuvent également être vrais en même temps). Ce que je sais, c’est que cette phrase « Soutien à Vueling » est très intrigante. Un type qui est perçu comme penseur critique depuis la gauche radicale exprime un soutien à une multinationale qu’il considère comme victime de la médiatisation du fait divers. Que signifie ce soutien ? Schneidermann soutient-il les actionnaires multimillionnaires et leur perte éventuelle de bénéfices à la suite de cette affaire médiatique ?
Il est plus probable que Schneidermann considère que Vueling serait victime d’une opération malveillante où des parents juifs inventeraient de l’antisémitisme afin de discréditer l’entreprise. Vueling serait victime d’une instrumentalisation de l’antisémitisme, tellement violente et destructrice, que l’entreprise aurait besoin qu’on la soutienne. Peut-être est-ce la logique du barrage qui s’opère dans le cerveau de Schneidermann : il faut soutenir Vueling car sinon l’instrumentalisation s’étendra et s’en prendra à d’autres.
Quelle que soit la logique de ce raisonnement, elle implique également un soutien du journaliste à la guardia civil et ses méthodes. Le fait de neutraliser physiquement la directrice en la plaquant à terre et en la menottant indique qu’elle serait un danger physique pour les policiers ou pour d’autres. J’ai du mal à imaginer une directrice de colonie de vacances s’en prendre physiquement à des gendarmes dans un aéroport devant les enfants dont elle est responsable. Je ne crois pas qu’on trouve beaucoup de tags ACAB dans les centres de vacances qui coûtent 2 000 € le séjour de deux semaines. La guardia civil n’est pas connue pour sa subtilité et sa douceur, c’est un lieu commun de la gauche radicale de dire qu’il ne fait pas bon d’avoir affaire à eux. Le fait que Schneidermann « soutient Vueling » implique qu’il n’a rien à redire aux méthodes policières appliquée à cette directrice, méthode qu’il a probablement vu comme tout le monde dans la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux.
Ayant passé près de 10 ans de ma vie à lutter contre la construction d’un aéroport absurde et nuisible, je considère les soutiens des multinationales de l’aviation comme presque autant détestables que les antisémites. Ces derniers se perçoivent comme des rebelles alors qu’ils sont les premiers défenseurs de l’ordre établi. Leurs idées deviennent grotesques, absurdes et cruelles lorsqu’ils s’agitent contre le capitalisme en le désignant comme la victime des Juifs, fustigent la justice tout en expliquant qu’elle est l’institution légitime à dire qui est antisémite ou non, détestent la police mais l’applaudissent lorsqu’elle s’en prend à des jeunes qui chantent en hébreu (quoiqu’il soit arrivé dans cet avion c’est le sens du tweet de Schneidermann : Vueling et la police ont raison parce que les jeunes parlent la langue revenue de l’enfer). L’antisémite se présente comme un militant de la justice sociale et dans le même temps ridiculise la critique marxiste jusqu’à la retourner et participer de la diffusion des idées réactionnaires.