(fable de la colline d’Autremont, différente de la fable de Pierre le tailleur de pierres de la colline d’Apremont : http://blogs.mediapart.fr/blog/cest-nabum/280413/le-tailleur-de-pierre-d-apremont-sur-allier )
Dans un autre village, à Autremont, Pierrette était son nom.
Petit garçon à qui une ondine donna ce nom. Pas seulement pour lui, car le nom est surtout utilisé par les autres. Voir au-delà du nom, peut-être un cadeau de l'ondine pour ces autres.
Pierrette était un petit garçon, issu de générations. Tout de la Tradition au-dessus du berceau, et pour faire ses premiers pas, et voir ses premières images, créer le début de sa mémoire. A peine né, portant encore ses premiers outils de façon malhabile, il faisait déjà partie de cette destination, sans même savoir que c’était une destination.
Né parmi ses ancêtres en son château, l'œuvre d'art fut pour lui normalité. Pas d'améliorations erratiques, mais corrections simplistes. Œuvre d'art faite par d'autres, pas de rêve de gloire ni d'élévation impies, nul besoin, il profitait déjà du son du diapason. Mais gloire quand même, gloire humaine, pour lui et pour les autres ! Car très gâté dans sa pauvreté, à raison il pensait juste que c'était la normalité, pour lui, comme pour les autres.
Enfance paisible, mais issue de générations. Histoires de familles, une même guerre sur des générations. Entre images de joies et images de douleurs, la fable choisit là de ne parler que de la joie, que d’un camp de la bataille. Un camp ? Le mot n’était pas net, et la fable retint celui-ci. Pierrette, qui connaissait et voyait les différents camps, pensait même pouvoir percevoir l’ultime réconciliation. Mais d’abord importe la « bonne direction ». Les chemins, chemins de préservation et de destruction, sont eux incompatibles. Mais pour certains humains, il y a toujours une solution.
Certains découvrent en enfant une nouvelle fleur dont ils cherchent alors la graine qu’ils essaient d’atteindre. D’autres naissent en étant déjà la fleur de la graine, et vierges de toute hérédité. Pierrette ressemblait à ces derniers, mais possédait l’expérience de ses générations. Pierrette était un fruit, une suite, prolongement de découvertes de longues dates. Il aurait dû être finalement l’un des objectifs de ce que d’autres visaient. Mais par jalousie, erreur, trahison ou usurpation, ayant supprimé la voix de leurs pères, que Pierrette leur rappelait, certains cherchaient à remplacer et redéfinir autrement la voix de leurs pères.
Jeune encore, Pierrette mit les mains dans le cambouis, et un plein pied dans la réalité, préparé qu’il fut alors à poursuivre la voie de son éducation. Traversée rapide et douloureuse du soleil noir de la mélancolie, et de la lune noire de l’effroi et des beautés.
Et la fable fit ici une aparté :
Détruire tout cela, toute cette mémoire, acquis et tradition, bien malgré les tentatives de l’ondine alors minoritaire, ainsi sera l’issue de l’histoire, issue annoncée ici pour ne pas être dans l’Epilogue, par simple goût du happy end.
Retour à la fable :
En âge de se réaliser dans son métier, de construire où se loger, y avoir femme et enfants, il alla sur un chantier. Sur la colline de Follemont.
A son entrée, l’ondine lui donna les images de ce que serait l’avenir. Belles images, belle terre d’ondine, mais sans plus beaucoup de monde pour voir l’ondine. Images d’un porteur de parole dans des villages vides. Et ce fut ce qui advint, l’ondine était belle, et sa terre aussi, quelques beaux ouvriers, mais en petit nombre ceux-là, il n’y avait plus grand monde pour suivre l’ondine. Plus grand monde ? L’ondine, dans sa bienveillance, ne lui avait montré que ce qu’il restait de beau. Le temps qui passe jusqu’à cet avenir lui avait par contre montré les étapes, les échelons humains au-delà de l’humain, comment les suiveurs de l’ondine durent s’éparpiller en quittant la terre de l’ondine, pour rester proche de l’ondine. Après la bienveillance, il avait vu la désespérance.
L'ondine dans un message énigmatique lui avait dit un jour : profite et ris, il n'y a pas que le grand sentier dans mon jardin, quand on a trouvé mon jardin. Une erreur de l’ondine ? Dire cela à lui, dont la jeunesse cherchait à le démarquer ? 'Se démarquer' devint alors forcément 'rester sur le sentier'. Et puis, le sentier, il l'aimait bien. Besoin de solitude peut-être, car sur le sentier peu de monde. Solitude et goût des autres, car du sentier bien vide, bon angle de vue sur d’autres égarés, ne faisant que rêver du jardin, ne voyant pas le sentier. Un jour il réalisa ce qu'il voyait déjà : tout simplement, peu de monde sur le sentier. Message ou guide, l’ondine avait bien parlé d’un sentier. Sentier que certains cherchaient à effacer.
Près du sentier, sur le chantier, des gens travaillaient. Pierrette ne s’intéressait pas à connaître la reconnaissance de la hiérarchie, mais comme il parlait juste, il était déjà de ceux d’une hiérarchie. D’une hiérarchie alors minoritaire sur ce chantier hautement démocratique, et la plus âgée, mais qu’importe, pour Pierrette c’était la plus belle, celle de l’ondine. Comme Pierrette était jeune, certains ouvriers le crurent docile et non voyant, lui qui pourtant savait voir les deux camps parmi d’autres camps. Ils ne pouvaient pas non plus saisir que pour lui la réalité était une nécessité, ne serait-ce que par simple plaisir du bien plus riche, non négociable contre un conflit local d’intérêt. Alors ils parlèrent, et parlèrent encore. Et pendant que des ouvriers essayaient de donner formes à leurs pierres pour la solidité de l’édifice, Pierrette vit et entendit qu’une hiérarchie s’employait à agencer ces pierres pour fissurer l’édifice.
Pierrette s’étonna de cette fissure qu’on crée, comme un sentier qu’on cherche à effacer, décrit la fissure au maître du chantier. Ceux qui participaient de la fissure durent justifier en même temps que décrier cette fissure. Outrage à la fissure. Qui est réveil à la vie de la fissure. Expansion. L’outrage à la fissure amena à Pierrette des outrages à son égard. Pierrette n’était pas seul à voir la fissure. Un autre ouvrier qui dut la voir connut un sort assez rude. Et jusque dans l’assiette des repas bien mérités, chacun pouvait parfois trouver une photo d’une partie de la fissure, photo prise sûrement par d’autres enfants de l’ondine. Nouveaux outrages à la fissure que de montrer son image, et encore plus de mots des défenseurs de la fissure. Ceux qui avaient vu la fissure devaient alors travailler pour la fissure, isolés sur des parcelles séparées. De nombreux autres ne s'intéressaient pas à savoir ce qu'il se passait.
Mais Pierrette ne pouvait travailler pour la fissure, car celle-ci anéantissait la beauté de l’ondine, son premier amour. Il voulu trouver un autre chantier de l’ondine. Mais dans les chemins de ce jardin, la première hiérarchie alors minoritaire n’avait plus de tel chantier accessible pour le retenir. Alors Pierrette décida de partir.
Certains nés de la fissures dirent : « Celui qui s’en va n’était donc pas du royaume de l’ondine. Le royaume de l’ondine se définit par ceux qui restent ». Dans ceux qui restaient étaient également ceux qui vinrent pour détruire le royaume de l’ondine, forcément, porte du royaume grande et ouverte par la fissure. Et de ceux-là ils dirent : « Voyez la beauté de l’ondine. Même ceux qui ne l’aiment pas viennent à elle, ceux-là sont là, ceux-là sont de l’Ondine. Ceux qui nous offrent de l’or pour capturer l’ondine aussi. Les autres qui sont partis pour rester de l’ondine, ceux-là ne nous intéressent pas. Ceux-là qui sont sortis pour mieux combattre l’ondine, c’est regrettable, ils n’ont pas compris qu’en restant ce combat aurait été plus facile». Ainsi parlaient-ils. Et les résidents qui n’étaient pas de la fissure acclamaient alors ceux de la fissure, c’était simple, et ils n’entendaient qu’eux, la voix de la majorité. Nouvelle exode. Et les gens de l’ondine encore plus minoritaires dans le royaume de l’ondine. Tant d’exilés de ce royaume quittèrent alors la colline de Follemont, pour s’en retourner seuls et désœuvrés, éparpillés, vers la colline d’Autremont.
Et ils regardaient, le temps passer, et de nouveaux jeunes ouvriers cherchant un chantier de l’ondine aller comme eux auparavant à Follemont. Parfois eux-mêmes en guidaient là-bas, uniques chantiers accessibles. Alors ils les préparaient d’abord, les mettaient en garde contre la fissure, guettaient.
En face de ces deux collines, Autremont et Follemont, une autre colline chantait, c’était celle d’Apremont. Qui faisait partie du Royaume de Follemont. Et cette colline chantait, chantait le chant de la majorité. Dans un... presque beau et vieux langage… presque, pour le généreux, car dans tous les cas dans un langage un peu boiteux. Pour le généreux car il s’agissait de savoir s’il restait quelque chose à sauver, bien malgré eux. Après tout, ils avaient tant chanté avec Follemont, s’étaient même tant mariés entre collines, Apremont était-il différent de Follemont ?
A Apremont on vivait bien. A Follemont encore mieux, d’une autre façon. A Autremont on vivait mal, forcément, la vie y restait très difficile. Il lui manquait ce qu’au départ ses habitants avaient cherché à Follemont. Et ils voyaient des fissures sans pouvoir rien y corriger, et ils voyaient leurs anciens amis de Follemont les laisser mettre les genoux à terre. Ils subissaient des assauts d’autres hordes, ils ne pouvaient se réorganiser à Autremont car le lieu de rencontre était déjà pris à Follemont, qui avait dispersé les adresses des partants. Autant de radeaux solitaires. Et des morts mourant une deuxième fois, le culte des ancêtres perpétué par une unique filiation sans continuation. La vie y était difficile, plus difficile que si Follemont n’avait pas été là, mais de beaux moments aussi, car même si l’ondine y était faible et presque évanescente, elle y avait gardé sa pleine intégrité. Elle n’y était peut-être presque plus qu’un poème.
A Autremont certains rêvaient, se disaient qu’ils avaient pu ainsi revenir finalement à la plus archaïque culture de la veine de la pierre. Mais ce n’était pas vraiment le cas. A Apremont on avait lancé le marché de la pierre industrialisée travaillée aux micro-éclats, marché difficile bien sûr. La réalité était qu’il n’y avait plus nul part ni édifice ni chantier.
La réalité est toujours ce qu’elle est. Ce fut pour Autremont un très long voyage dans le silence, et la découverte d’autres mondes, d’autres oubliés de l’ondine, oubliés même du temps de son existence. D’autres façons de rêver davantage d’une ultime réconciliation. N’ayant plus qu’elle, ce fut la redécouverte de la voix des pères, de ce dont même les derniers douteurs de Follemont doutaient, que même de simples murmures l’ondine pouvait renaître, mais peut-être pas comme ils pensaient. Que ce que l’ondine avait fait était réellement fait. Et que dans ces terres de repos, même si l’ondine y avait perdu son nom, elle pouvait à nouveau y grandir. Il restait donc malgré tout quelque chose.
Et les époques passèrent. Et Apremont chantait. Et la fissure grandissait. Et Follemont la cultivait. Et les gens oubliés d’Autremont, dans leur long silence imposé, assistaient au spectacle de l’oubli de la plus grande des responsabilités, car à Follemont on occupait la place que cherchaient ceux qui cherchaient l’ondine.
Tant d’époques où la vie de la véritable ondine fut oubliée... que cela avait libéré l’ondine. Puis d’autres époques suivirent, encore, où l’ondine travailla à la fissure de la fissure. L’énigmatique ondine cherchait-elle la complexité ? Non, car surcroît de complexité appela simplicité. Tout pourrait redevenir désormais Royaume de l’ondine. Mais rien n’était encore certain. Le Royaume de Follemont était encore très habité, habité de nombreux êtres passagers. Et encore déshabité aussi. Et peut-être devra-t-il en rester ainsi, après tout, à chacun sa maison, en même temps qu’un chantier qui ne sert plus peut être recomposé – mais là-dessus la fable rien ne dit.
Une fois le Royaume réinvesti, l’ondine se représenta à ses habitants. Certains ne la reconnurent pas, bons ou mauvais ouvriers. Son image était si lointaine il faut dire, et d’avoir confondu un champ de ruine avec de l’art moderne n’avait pas été du meilleur usage pour l’éducation de la perception et l’éveil des sens. D’autres la reconnurent. Bons ou mauvais ouvriers. Tout ceux-là se dirent de l’ondine, à l’unisson. Et désignèrent des autres les bons et les mauvais, à l’endroit ou à l’envers, c’est selon. De multiples combinaisons. Et les meilleurs ouvriers, eux alors effondrés, ne purent que se taire. Et d’autres moins bons se turent à leur tour pour se faire passer pour les précédents. Et ça parlait, et ça se taisait, silence des mots et bruit du silence. L’ondine écoutait, mais c’est ailleurs qu’elle revenait.
Ainsi se termine cette fable, qui conte des voyages de Pierrette de la terre d’Autremont, pour ce premier temps du retour de l’ondine.
Epilogue : par trop énigmatique, rien ne saurait être dit des nouveaux pas de l’ondine, alors on rêve d’un happy end.