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Billet de blog 9 février 2023

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Du fanatisme néolibéral

Une rapide analyse de l'idée de réforme dans le néolibéralisme et de l'intériorisation toute macroniste du fait que la politique telle que les macronistes la conçoivent ne peut que détériorer les conditions de vie de la majorité des gens.

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La débandade de la communication du camp macroniste à laquelle tout le monde peut assister depuis la présentation de la réforme des retraites permet d’établir une définition très claire de ce qu’est le macronisme : quelques fanatiques à la tête d’un troupeau de médiocres. En temps normal, la parole des fanatiques relayée par les éditorialistes au garde-à-vous suffit à faire le travail : l’extraordinaire information qui a dévoilé les commandes faites par Macron en personne à un banc d'éditorialistes[1], si elle n’est aucunement surprenante, donne tout de même à voir factuellement un degré de connivence entre les médias des milliardaires et le pouvoir politique qui disqualifie instantanément toute prétention à être une véritable démocratie. On ne pourra donc rien reprocher aux braves « journalistes » : ils ont tout donné. Vraiment tout.

Il faut trouver ailleurs les coupables. Quand on doit défendre une réforme dont personne ne veut, il faut commencer à sortir les troupes : autrement dit, il faut donner la parole non plus seulement aux quelques fanatiques et à leurs laquais éditorialistes, mais aussi au troupeau de médiocres. Autant dire tout de suite que le résultat est éclatant. Parmi les innombrables perles qui ont été produites depuis le début de cette vaste campagne de « pédagogie », il y en a tout de même une qui m’est apparue comme particulièrement saisissante, et qui ne peut manquer de faire s’étouffer quiconque a encore l’idée saugrenue de vouloir donner un sens à sa vie. Marc Ferracci, député Renaissance et professeur d’économie à l’université, énième preuve vivante que l’on recrute absolument n’importe qui dans l’université française, a jugé bon d’expliquer ceci : « Il n’y a pas une seule réforme des retraites qui a été populaire dans l’histoire[2] ».

De deux choses l’une : soit on est totalement acquis à la transformation sémantique du mot « réforme » en un synonyme de « destruction de la société au profit du capital », et dès lors la phrase n'est pas totalement absurde (mais alors comment appeler une réforme qui n'entre pas dans cette définition ?), soit on utilise le mot français « réforme » dans son sens véritable, c’est-à-dire celui qui signifie la transformation d’une forme d’organisation collective, et, dans ce cas, on ne peut que tomber de sa chaise.

Mais la retraite à 60 ans n'était-elle pas originellement une réforme des retraites ? Est-il simplement venu à l'esprit du député macroniste que, peut-être, il était possible d’envisager une réforme qui ne soit pas un approfondissement de la destruction des conditions de vie de l’immense majorité des citoyennes et citoyens ? Apparemment non, car, pour un macroniste béat, la politique se résume à l’acceptation de la nécessité « économique » par le peuple, une nécessité qui le tirera et l’a toujours tiré vers le bas. Il n’existe même plus, dans son esprit, une histoire des conquêtes sociales. En Macronie, on sabote tous les acquis sociaux, et on en vient même à effacer de l'histoire tout ce qui les a construits : donc, en matière de retraites, il n'y a jamais eu que des réformes impopulaires.

À ce stade de négation du réel, qui en dit long sur l’état en France de la « science économique », il est difficile d’écarter l’hypothèse de la bêtise, à condition de ne pas oublier que la bêtise est facile à fanatiser. Amendons peut-être notre définition initiale : « quelques fanatiques à la tête d’une horde de médiocres fanatisés » serait plus juste. En effet, pour en arriver à ne pas être capable d’envisager que l’engagement politique puisse être autre chose qu’un travail de fossoyeur, pour croire que le courage politique est d’aller toujours contre l’intérêt du grand nombre, pour bousiller avec une telle constance un pays entier (et, en vérité, le monde dans son ensemble) sans en tirer pour soi-même un intérêt personnel très considérable, comme c’est le cas pour bien des élus macronistes de seconde zone, il faut vraiment avoir été fanatisé.

Qu’on le sache désormais, même le macroniste lambda n’entretient plus l’ambition d’améliorer la société. Pour lui, réformer un système ne peut que vouloir dire l’emmener vers le pire. Il n'a même plus besoin de l’illusion qui consiste à penser que la politique de ses maîtres est bonne. La politique, c'est la réforme, et la réforme, c'est la dégradation systématique des conditions de vie de la majorité, mais c'est nécessaire. Voilà le projet de société néolibéral. Pour un homme qui a osé écrire un livre intitulé Révolution, Emmanuel Macron parle beaucoup de réforme. Tiens, et si on en parlait vraiment de révolution ?

[1] https://www.liberation.fr/checknews/reforme-des-retraites-que-sait-on-du-dejeuner-off-qui-a-reuni-les-principaux-editorialistes-francais-et-macron-20230124_EL3JDK2JQFCIPBA3PBA54322EE/

[2] https://www.sudradio.fr/linvite-politique/retraites-ca-serait-tres-difficile-de-continuer-si-cette-reforme-echouait-assure-marc-ferracci

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