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Billet de blog 25 mars 2017

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Histoire de demandeurs d'asile

Ça y est, c'est le dernier soir, demain, les 47 réfugiés venus de Calais repartiront. De réfugié, ils n'en auront toujours pas eu le statut d'ailleurs. Ils repartiront en bus, comme ils sont venus. L'angoisse de l'inconnu, des inconnus, d'un nouvel ailleurs, et de leur avenir toujours et encore plus incertain. Voici leur récit...

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Centre d’Accueil et d'Orientation, Les Mathes, le 16/03/2017

Ça y est, c'est le dernier soir, demain, les 47 réfugiés venus de Calais repartiront. De réfugié, ils n'en auront toujours pas eu le statut d'ailleurs. Ils repartiront en bus, comme ils sont venus. L'angoisse de l'inconnu, des inconnus, d'un nouvel ailleurs, et de leur avenir toujours et encore plus incertain.

En Octobre 2016, on a démantelé la jungle de Calais, et on a envoyé ces centaines de jeunes, dans des cars, bien protégés de plastique, dans les provinces françaises. Voici leur récit, écrit sur la base des heures passées à leurs cotés.

Nous nous sommes fait virés de Calais, mais nous avons pu partir entre amis, frères de même nationalité. Nous sommes Pakistanais. Nous étions contents, un peu de stabilité, et heureux de prendre un nouveau départ. Motivés, prêts à s'intégrer. A peine arrivés, nous avons surnommé notre nouveau domaine « la Jungle ». Cette fois, ce n'est pas une jungle d'hommes, mais une forêt.

Nous sommes logés dans les bungalows d'un centre de vacances. On ne comprend pas bien pourquoi et comment ces logements de bonne qualité peuvent être abandonnés ? Pourquoi sommes-nous seuls dans cette forêt ?

Les premières nuits au chaud, les douches sans nous presser, il est temps de nous soigner. Il y a le corps, meurtri, et les blessures apparentes laissées à l'abandon des mois durant. Il y a l'esprit, qu'il faut reposer et essayer de reconstruire.

Certains d'entre nous s'en sortent. Ils sourient, ils rient, ils partagent, ils chantent, ils dansent. Et puis il y a ceux que l'on voient moins, pas ou peu.

Alors qu'on nous craignait, nous avons mis toute notre bonne volonté. Quelques bénévoles se mobilisent et viennent nous rencontrer, nous aider.

La majorité d'entre nous sommes Dublinés. Cela signifie que nous ne pouvons pas déposer notre demande d'asile en France car nous l'avons déjà déposé, de gré ou de force, dans un autre pays européen. Alors, nous attendons le long délai… Parfois 6 mois, parfois 9 mois… Mais pourquoi nous loger, nous aider, et ne pas étudier nos demandes d'asile ? Le monde est absurde, mais nous nous accrochons.

La promesse de Calais, c'était de ne pas appliquer ce règlement européen Dublin, et de permettre à chaque demandeur d'asile de déposer une demande en France. Nous ne subissons effectivement pas de renvois forcés vers un autre pays européen, mais nos dossiers restent bloqués et ne sont pas étudiés. Nous recevons des lettres officielles de l’État français, stipulant que nous ne pouvons pas demander l'asile en France. Pourtant, nous pourrons, à la fin du long délai. C'est chaque fois la panique, des nuits d'insomnie, d'angoisses, de questions, d'incompréhension dans une langue que nous ne maîtrisons pas.

Quelques-uns d'entre nous, en procédure normale, peuvent déposer des demandes d'asile. Bientôt, les premiers passent les entretiens officiels. Nous sommes convoqués à Paris, une épreuve éprouvante où il nous faut tout raconter. On nous questionne: pourquoi sommes-nous là, quelles menaces pèsent sur notre famille, pourquoi sommes-nous seuls… Si seulement nous pouvions tout justifier. Nous nous efforçons de mettre notre pudeur de côté, mais l'on fait tout pour nous déstabiliser et nous discréditer.

C'est alors qu'arrive le premier verdict…
Négatif.

Le deuxième verdict…
Négatif.

Le troisième verdict…
Négatif.
...

Le huitième verdict…
Négatif.

Alors, malgré notre bonne volonté, malgré les sourires qui crèvent les yeux, malgré les thés partagés, malgré le temps passé, malgré les règles respectées, l'anxiété regagne du terrain.

Nous sommes refusés. Notre pays n'est pas en guerre, il nous faut prouver.

Nous sommes chiites, Pakistanais de Parachinar, habitants d'une région tribale à la frontière de l'Afghanistan. Nous sommes minoritaires et subissons l'oppression des Talibans sunnites. Ces extrémistes radicaux, nous considérant impurs, veulent nous exterminer au nom du djihad. Ils détruisent nos villages. Bombent nos marchés. Menacent nos femmes. Nos enfants. Nos frères et nos sœurs. Nos parents. Assiègent notre ville.

Mon nom à lui seul m'identifie comme l'un des « autres », qu'il faut éliminer. Il m'est impossible de voyager dans mon propre pays, trop dangereux, trop de risque de ne pas revenir entier.

Il semblerait qu'on n'entende pas beaucoup parler des attentats Pakistanais.

« (…) attentats qui ont fait plus de 2450 morts dans tout le pays en un peu plus de deux ans »
Le Monde 09/11/09 (lire l'article ici)

«  Au moins 99 morts dans un attentat au Pakistan » 
Nouvel Obs 02/01/10 (lire l'article ici)

« A Parachinar, (…) plusieurs explosions visant la communauté chiite ont fait au moins une quarantaine de morts et une centaine de blessés »
Rfi 27/07/13 (lire l'article ici)

A Peshawar, « les talibans attaquent une école et massacrent 141 personnes »
Francetvinfo 17/12/2014 (lire l'article ici) 

A Parachinar, « 24 morts dans un attentat à la bombe sur un marché »
Le Monde 21/01/17 (lire l'article ici)

Prouver quoi ? Avec quoi ? A-t-on vraiment besoin de plus de preuves ?

Nous avons traversé des dizaines de pays. Payé des milliers d'euros à des passeurs. Qui nous ont tout volé. Nous ont fait traversé sur des bateaux de fortune contre notre gré. Nous avons marché des centaines de kilomètres. Nous avons échappé aux forces de l'ordre. Nous avons été confronté à une culture radicalement différente de la nôtre. Les premières paroles libres avec le sexe opposé nous ont par exemple effrayé. Et si quelqu'un nous voyait ? Pourtant, nous nous sommes adaptés. Imaginez-vous, européen, vous faire catapulter en tant que réfugié dans notre région reculée.

Nous parlons à nos familles. Mais parfois c'est trop dur. Il ne faut pas appeler. Il ne faut pas raconter, ni compter les disparus.

Beaucoup d'entre nous ont déjà vécu plusieurs mois en Europe. Certains ont des bases de français, mais surtout d'allemand. Comment rester motivés, apprendre encore une nouvelle langue, quand nous n'avons pour seul espoir, que les amis reboutés ?

Maintenant il nous faut repartir, le groupe est scindé. Pour l'instant, nous sommes pris en charge et relogés, mais l'attente est longue, pesante. Un nouveau départ, une nouvelle vague d’anxiété, mais aussi peut-être d'espoir ? Allons-nous être enfin accepté ? Ou bien allons-nous alors recommencer la boucle, pour finir où, peut-être à Calais ?

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