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Billet de blog 17 décembre 2014

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Le gouvernement nourrit une situation de rente : l'optique

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Le 19 novembre de 2014 un décret proposant de nouveaux critères pour le « contrat responsable » est paru. Le contrat responsable est un outil mis en place il y a plusieurs années. Il impose aux complémentaires santé de respecter des règles de remboursement des tickets modérateurs pour bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse. Aujourd’hui en France, 95% des contrats sont responsables. Ils permettent de s’assurer que les bénéficiaires des complémentaires santé sont remboursés à minima X% sur les postes importants. Le nouveau contrat responsable instaure en plus des planchers, des plafonds de remboursements et ce pour réguler certains marchés inflationnistes. Un objectif atteignable ? Pour l’optique rien n’est moins sûr.

Revenons en arrière. En 2008, un rapport du Haut Conseil Pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) constate qu’il s’agit d’un « marché très mal régulé et à prix excessifs » (p.39). Et il conclut : « L’approche traditionnelle de leurs garanties par les organismes complémentaires (libellés parfois inflationnistes et peu adaptés au besoin ; surenchère dans les niveaux de prise en charge considérés comme des arguments d’appel…) a facilité le dérèglement du marché qui conjugue un haut niveau de prix, des rentes de situation, une sous productivité de l’appareil de distribution et parfois des pratiques commerciales abusives. Le pouvoir des consommateurs est limité. Le consommateur est rarement à même d’aller à l’encontre d’une politique qui conduit les prestataires à aligner leur prix sur le niveau maximum de la prise en charge par le contrat complémentaire. Dans ce contexte, les ménages sont confrontés, lorsque leurs contrats de complémentaire n’assurent que des prestations limitées, à des RAC élevés. » (p.83) C’est assez clair. Il est difficile que l’État ou  les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) aient pu ignorer cette analyse, dans la mesure ils sont représentés dans cette instance et que tous les membres ont voté l’avis évoquant ce constat à l’unanimité moins une abstention. L’État et les complémentaires santé avaient donc partagé l’analyse d’inflation irraisonnée des prix des équipements d’optique, notamment entrainé par l’inflation non moins irraisonnées des remboursements des garanties sur le poste optique.

Pourtant, en 2013, la FNMF constatait dans un dépliant (Les chiffres de la santé – Éditions 2013) : « La part des mutuelles dans le financement des autres biens médicaux est en constante augmentation : estimée à 19,1% en 2012, celle-ci était de 18,2% en 2008 et de 17,5% en 2004. Cette évolution est notamment due à la prise en charge croissante des dépenses en optique ». Ou encore : « Entre 2008 et 2012, les dépenses d’optique, tous financeurs confondus, ont augmenté de 3,9% par an en moyenne ». La cour des comptes a par ailleurs relevé en 2013que chaque françaisdépense en moyenne 88 euros par an pour ses lunettes, contre 54 pour un Allemand, 36 pour un Italien (2013). Deux français sur trois ayant des problèmes de vu et les lunettes étant classées dans la catégories « dispositifs médicaux » du Code de la santé (et non dans la bijouterie…), on aurait pu s’attendre à ce qu’un gouvernement socialiste viennent mettre de l’ordre dans tous ça. Après tout, ne s’attaque-t-il pas bravement aux « situations de rente ». Que pensez-vous qu’il arriva ? Dans le décret publié il y a moins d’un mois, le plafonnement des équipements va de 470 euros pour les corrections simples à 850 euros pour les corrections les plus complexes. Ce niveau de remboursement est très très très probablement bien trop élevé pour avoir un effet limitatif sur les prix de l’optique.

Et Jean-Pierre Champion, le directeur général de Krys considère que ce niveau est trop bas ! Pour lui, le plafond risque d’entrainer des délocalisations d’usines. Ce qui est sans rapport avec la problématique, puisque c’est le réseau de distribution - le nombre de centres d’optique – et non le coût de production qui est en cause. Pour lui la baisse des prix n’aura dans tous les cas « rien d’évident, c’est un vœu du gouvernement qui ne repose sur aucune étude économique ». Pour lui une filière qui pèse 80.000 emplois en France est menacée par cette mesure (Challenge). Bigre. Comme il y va. Ce que souhaite le gouvernement, c’est un frein progressif au développement des centres d’optique, puis une régression de leur nombre. D’accord, cela n’arrangera pas nos affaires en terme d’emplois. Mais enfin, est-ce une raison pour faire perdurer une injustice pour les consommateurs ? À ce train là, autant entrer en économie planifiée… Mais d’ailleurs… est-on vraiment dans une logique de marché vertueuse dans le présent cas ?

Que se passent-ils ? En réalité deux marchés se vampirisent l’un l’autre : celui de l'optique et des complémentaires santé. En 2012, la moitié  de la croissance des prestations des complémentaires santé est imputable au poste optique ; il était de 29% en 2011, 27% en 2010... Bref. Autant dire que les prestations optiques ne cessent d’augmenter au sein des complémentaires santé, malgré les réseaux de soins mis en place. Il y a donc une profitabilité réciproque entre les centres d’optiques et les organismes complémentaires, ces derniers assurant une inflation illégitime des prix de l’optique (et en conséquence une explosion du réseau de distribution et un niveau de la productivité par centre très bas) en se payant une dime au passage.

Les mutuelles, qui représentent un peu plus de 50% du marché des complémentaires santé sont des organismes privés non lucratif, qui ne disposent pas d’actionnaires (mais d’un encadrement correctement payé, soit). Le Président de la fédération Étienne Caniard déplorait à propos du décret cité plus haut : «Les plafonds en optique sont tellement hauts que les professionnels risquent de les considérer comme des tarifs indicatifs réduisant ainsi les marges de négociation de la contractualisation ». Cependant étant donné la place des prestations optiques - et donc des cotisations ! – dans l’équilibre financier des organismes complémentaires, ces derniers risqueraient de mal digérer une chute trop rapide de la consommation en optique. Une baisse soudaine de leurs chiffres d’affaire pousserait alors inévitablement à la hausse le taux de gestion de structures souvent peu diversifiées. Ce qui serait mal vu (sans jeu mot).

Reste les réseaux de soins évoqués, qui permettent de flécher les adhérents vers des magasins d’optique « labellisés » et des offres à prix maîtrisés. Cette initiative fonctionnait relativement bien… jusqu’ici, puisque le décret sorti en novembre risque, finalement, de démonter ce qui avait été créé par certains organismes complémentaires – souvent non lucratifs - et péniblement avalisé par le législateur (Loi Leroux).

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