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Billet de blog 6 février 2025

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Comment Frank Luntz a façonné la bataille culturelle contre l’écologie

Stratège en communication du Parti républicain américain, Frank Luntz a révolutionné la façon de parler d’écologie. En manipulant le langage, il a contribué à freiner les régulations environnementales et à redéfinir le débat public. Retour sur une stratégie d’influence qui façonne encore nos perceptions aujourd’hui.

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Connaissez-vous Frank Luntz ? Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais son influence sur le débat public, notamment sur les questions environnementales, est considérable. Principal stratège en communication du Parti républicain américain dans les années 2000, Luntz est l’artisan d’une guerre sémantique redoutablement efficace, visant à modeler notre perception de l’écologie et à freiner les régulations environnementales.

Dans un mémo récemment exhumé et partagé par Jean-Baptiste Fressoz, chercheur au CNRS, dans Le Monde, Luntz détaille les mécanismes linguistiques permettant de contrôler le récit plutôt que de nier les faits scientifiques. Car pour défendre les intérêts des industries polluantes, l’enjeu n’est pas de réfuter l’existence des problèmes écologiques, mais de façonner la manière dont ces problèmes sont perçus.

Les mots ne sont pas neutres

L’idée maîtresse de Frank Luntz repose sur le pouvoir des mots : ils ne se contentent pas de décrire le monde, ils le modèlent. Ainsi, il recommande d’abandonner des termes trop anxiogènes comme global warming (réchauffement global) au profit de climate change (changement climatique), une expression jugée plus neutre et moins alarmiste. Le même principe s’applique à des concepts comme drilling for oil (forage pétrolier), remplacé par energy exploration (exploration énergétique), qui évoque une avancée technologique plutôt qu’une menace environnementale.

Mais cette bataille ne se limite pas à un simple lexique. C’est une stratégie globale de communication d’influence que Luntz déploie, avec des techniques qui trouvent encore aujourd’hui des échos dans les discours politiques et médiatiques.

Une stratégie d’influence en quatre points

  1. Insister sur l’incertitude scientifique : Même lorsque le consensus scientifique est établi, Luntz recommande de semer le doute. Cette technique retarde les décisions politiques en présentant les régulations comme prématurées.

  2. Valoriser l’innovation et la recherche : Plutôt que de soutenir des mesures contraignantes, il s’agit de promouvoir les solutions technologiques futures, repoussant ainsi l’action immédiate.

  3. Présenter la réglementation comme une menace pour l’emploi : Chaque politique environnementale est dépeinte comme un risque pour le pouvoir d’achat et l’économie, jouant sur les peurs sociales.

  4. Déplacer le débat vers la souveraineté nationale : En transformant les questions écologiques en problèmes de souveraineté, les accords internationaux sont présentés comme des entraves à la prospérité nationale.

La bataille culturelle est-elle perdue ?

Le mémo de Luntz met en lumière une vérité essentielle : au-delà des luttes matérielles et économiques que l’on observe dans les débats publics, une guerre immatérielle se joue. Cette bataille culturelle, qui façonne les récits et influence les opinions, est souvent plus discrète mais tout aussi déterminante. Alors que les enjeux climatiques deviennent de plus en plus pressants, sommes-nous en train de perdre cette bataille des idées ? Peut-être. Mais en comprendre les mécanismes est le premier pas vers une reconquête des imaginaires.

En fin de compte, le combat pour l’écologie n’est pas seulement une question de politiques publiques ou de technologies. C’est aussi une question de mots, de narrations et de la manière dont nous définissons le monde qui nous entoure.

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