Sébastien Lecornu est depuis hier soir notre nouveau Premier ministre. Nous ne connaissons pas encore son gouvernement, mais nous savons déjà quels réseaux gravitent autour de lui. Il est au cœur d’un écosystème où se mêlent grandes entreprises, fédérations professionnelles, hauts fonctionnaires et conseillers politiques, un entrelacement de cercles qui dessinent les contours d’un pouvoir relationnel autant qu’institutionnel. En analyser la composition et les dynamiques est essentiel pour comprendre l’agenda qui s’esquisse à Matignon, et la manière dont se fabriquent les décisions au sommet de l’État.
Le Forum de Giverny
Depuis 2019, il est au coeur d’un réseau : le Cercle de Giverny, créé par RM Conseil et placé sous son haut patronage – en tant que président du conseil d’administration du Musée des impressionnismes de Giverny et orateur d’ouverture récurrent qui organise chaque année son "Forum". Présenté comme le « premier forum dédié à l’entreprise durable », ce rendez-vous annuel réunit, contre adhésion, dirigeants de grands groupes, responsables publics, experts et communicants.
Derrière l’étiquette de l’« entreprise durable », le Cercle fonctionne avant tout comme un espace de réseautage haut de gamme entre sphères publiques et privées. Le temps d’une journée, il permet à des décideurs économiques et politiques d’échanger à huis clos, d’élaborer des propositions et de renforcer des connexions.
Les habitués du Forum et ceux qui n'y figurent pas
Depuis six ans, certaines figures y reviennent avec régularité : Marie-Claire Daveu, directrice du développement durable de Kering ; Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française ; Edward Arkwright, directeur exécutif du Groupe ADP ; Olivier Girard, président France et Benelux d’Accenture ; ou encore Stéphane Layani, président du Marché international de Rungis.
Ces récurrences disent beaucoup : ce sont les piliers de secteurs stratégiques – luxe, finance, infrastructures, conseil, agroalimentaire – qui se retrouvent autour de Lecornu, et non les associations ou collectifs citoyens.
La quasi-absence d’ONG dans ces rencontres est frappante. Les grandes associations environnementales ou citoyennes, faute de moyens financiers et de relais institutionnels, n’ont tout simplement pas accès à ce type de forums. Quelques figures apparaissent ponctuellement – WWF ou Reclaim Finance, par exemple – mais elles restent marginales face à la présence massive des grands groupes et des fédérations professionnelles. Ce déséquilibre structurel conforte l’idée d’un dialogue organisé d’abord entre pouvoirs publics et intérêts économiques établis, reléguant à la périphérie les voix critiques issues du terrain.
Le Cercle de Giverny dessine ainsi un paysage où la transition écologique se discute avant tout entre institutions publiques et grandes entreprises, dans une logique d’entre-soi assumée.

Agrandissement : Illustration 1

Des lobbyistes dans son entourage
L’influence de Sébastien Lecornu ne se limite pas à Giverny. Son parcours politique l’a aussi amené à tisser des liens avec des personnalités aujourd’hui stratégiques pour un Premier ministre.
Maxime Costilhes, directeur général de l’Association nationale des industries alimentaires (Ania) depuis juillet 2024, fait partie de ceux-là. Ancien directeur général d’Intercéréales et de Brasseurs de France, il avait travaillé aux côtés de Bruno Le Maire lors de la primaire de la droite en 2016. Décoré de l’ordre national du Mérite en juillet 2025 par Sébastien Lecornu, il incarne un relais essentiel du secteur agroalimentaire.
Renaud Duplay, normalien et ancien haut fonctionnaire, a été directeur de cabinet de Sébastien Lecornu au ministère des Collectivités locales (2018-2020), avant de le suivre aux Outre-mer. Recruté par le groupe ADP en 2020, il y est devenu directeur général adjoint chargé des opérations et responsable du projet Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
Enfin, Ziad Gebran, aujourd’hui directeur des relations presse d’Axa, a accompagné Sébastien Lecornu dans plusieurs de ses portefeuilles ministériels entre 2019 et 2023, de conseiller presse au ministère des Collectivités locales à chef de cabinet au ministère des Armées.
Le périmètre des influences
Ces trajectoires croisées dessinent une cartographie de l’influence qui prend forme autour de notre nouveau Premier ministre : grands groupes, fédérations professionnelles, hauts fonctionnaires et communicants constituent les relais d’un même réseau. Leur présence régulière dans les forums, les cabinets et désormais au cœur des secteurs économiques les plus stratégiques trace les contours d’un pouvoir qui ne s’exerce pas seulement par l’État, mais par un entrelacement d’alliances et de fidélités.
Ce réseau dit moins la promesse d’une transition partagée que la réalité d’un entre-soi, où les clés de l’agenda politique et économique se définissent entre pairs. Reste à savoir si, depuis Matignon, Sébastien Lecornu saura élargir ce cercle ou s’il choisira de gouverner dans le périmètre resserré de ces influences.