Après neuf mois de travaux, les États Généraux de l'Information (EGI) ont dévoilé leurs conclusions jeudi dernier. Le 12 septembre, quinze propositions ont été présentées, fruit des réflexions de professionnel·les, citoyen·nes et chercheur·ses, pour « sauvegarder et développer le droit à l’information ». Si le rapport met en avant une « urgence démocratique », il semble passer à côté des véritables menaces qui pèsent sur le droit à l’information, en concentrant ses propositions sur les dangers techniques plutôt que sur les enjeux plus structurels.
Un diagnostic partiel des menaces sur l’information
Le rapport des EGI met l’accent sur les risques posés par les algorithmes, les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle. Ces technologies numériques, bien qu'elles bouleversent le paysage médiatique, ne sont pourtant qu'un outil au service d'intérêts bien plus vastes. En se focalisant sur la technique, le rapport néglige une problématique essentielle : l’influence croissante des acteurs politiques et économiques sur les médias.
Si ces technologies permettent la diffusion rapide et parfois incontrôlée de l'information, elles sont surtout utilisées par des groupes d’intérêts pour manipuler l’opinion publique et influencer les décisions politiques. Ainsi, la véritable menace ne vient pas tant des algorithmes eux-mêmes, mais de la manière dont ils sont exploités pour servir les ambitions d’acteurs puissants, au détriment de la démocratie.
L’avènement des stratégies d’influence « 360 »
Cette dérive n’est pas nouvelle. Depuis plusieurs années, la littérature scientifique documente la montée en puissance des stratégies d’influence dites « 360 ». Ces stratégies, qui combinent communication et lobbying, utilisent les médias pour modeler l’opinion publique. À travers la maîtrise des techniques de communication et la connaissance fine des attentes des publics, ces campagnes orchestrées visent à influencer les débats, les décisions politiques et la perception des enjeux.
La prise de contrôle progressive de certains nouveaux médias a offert aux groupes d'intérêts des outils puissants pour étendre leur influence. Comme le souligne un observateur averti, « si on n’existe pas médiatiquement, on n’existe pas tout court ». Cette réalité pousse les lobbyistes à se positionner de manière plus agressive sur le terrain médiatique, par le biais d’interventions publiques, de conférences de presse, de tribunes et autres partenariats avec des plateformes de communication.
Ces actions permettent non seulement de modeler les perceptions, mais aussi d'influencer les décisions publiques, en passant parfois sous le radar des mécanismes de régulation démocratique. Ce phénomène exacerbe les inégalités entre les différents acteurs engagés dans le débat public.
Un déséquilibre profond dans le débat public
L'évolution des stratégies de lobbying et de communication révèle une inégalité de plus en plus marquée entre les acteurs du débat public. Les associations et les représentants de la société civile, souvent limités par des moyens humains et financiers insuffisants, concentrent leurs efforts sur les discussions parlementaires. Pendant ce temps, les lobbys industriels, disposant de ressources bien plus importantes, interviennent à tous les niveaux du processus législatif et réglementaire, influençant ainsi de manière plus efficace les décisions prises.
Cette distorsion des forces en présence, que le rapport des États Généraux de l’Information ne parvient pas à identifier clairement, constitue un enjeu majeur pour la démocratie. L’indépendance des médias, pourtant cruciale, est souvent mise à mal par ces pressions économiques et politiques qui cherchent à orienter l’information selon leurs propres intérêts.
Un défi sous-estimé pour l’avenir de l’information
En se focalisant sur la régulation des algorithmes et de l’intelligence artificielle, les États Généraux de l'Information passent à côté du véritable enjeu : protéger l'indépendance des médias face à l’influence croissante des acteurs économiques et politiques. Cette omission risque de laisser le champ libre à des intérêts privés qui, sous couvert de modernité et de progrès technologique, continuent de dicter l’agenda démocratique.
Protéger le droit à l'information ne consiste pas seulement à encadrer les nouvelles technologies, mais aussi à garantir que les médias restent libres de toute influence extérieure, qu'elle soit politique ou économique. C’est une condition sine qua non pour assurer un débat public sain et une démocratie véritablement fonctionnelle.
Les conclusions des EGI, bien qu’elles apportent des pistes, ne sont donc pas à la hauteur des défis posés. Pour sauvegarder véritablement le droit à l'information, il faudra aller au-delà des questions techniques et s'attaquer à la racine des problèmes : l’indépendance des médias et la régulation des forces économiques qui pèsent sur eux.