La satisfaction est nette, assumée. Dans un communiqué publié le 17 juillet, l’organisation Phyteis – représentant les principaux fabricants de produits phytosanitaires en France – salue une « avancée importante » : la possibilité désormais ouverte aux filières betteravières, fruitières ou arboricoles d’utiliser à nouveau certaines substances néonicotinoïdes, dont l’acétamipride, via des dérogations.
Cette disposition fait partie de la loi « Duplomb », définitivement adoptée par le Parlement en juillet. Le texte revient sur plusieurs mesures phares de la loi Egalim votée en 2018, notamment l’obligation de séparation entre la vente et le conseil de produits phytosanitaires, ou encore les modalités de fonctionnement de l’évaluation des pesticides par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES). Autant de points contestés de longue date par Phyteis, qui y voyait des obstacles « déconnectés des réalités du terrain agricole ».
Un acteur incontournable… et peu connu du grand public
Créée en 1918 sous le nom d’UIPP (Union des industries de la protection des plantes), rebaptisée Phyteis en 2022, l’organisation rassemble 18 entreprises, dont les filiales françaises de géants mondiaux comme Bayer, BASF, Syngenta, Corteva ou Sumitomo. Ensemble, elles réalisent environ 90 % du chiffre d’affaires du marché français des pesticides, estimé à 2,4 milliards d’euros annuels.
En façade, Phyteis n’est qu’un syndicat professionnel, doté d’une petite équipe de salariés. Mais son influence est considérable. Il siège dans les comités du ministère de l’Agriculture, participe aux consultations réglementaires, multiplie les publications et les plateformes de communication. Il dispose de relais dans les filières agricoles et coopère activement avec la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs, ou les instituts techniques.
Phyteis fait partie des acteurs les plus actifs sur les politiques agricoles françaises, avec une capacité à produire des éléments techniques, économiques et politiques très structurés. Son action s’inscrit également dans des réseaux européens (CropLife Europe) et internationaux (CropLife International), qui coordonnent le lobbying du secteur agrochimique à Bruxelles ou auprès des agences onusiennes.
Des victoires politiques majeures
Depuis plusieurs années, Phyteis a multiplié les succès politiques. En 2020, alors que les néonicotinoïdes avaient été interdits, une dérogation spécifique est obtenue pour les semences de betteraves. En 2022, la mesure issue de la loi Egalim interdisant l’exportation de pesticides interdits dans l’UE est reportée, puis vidée de sa portée. En 2023, le plan Ecophyto 2030 présenté par le gouvernement renonce à fixer un objectif chiffré de réduction des pesticides, au grand soulagement des industriels.
D'un point de vue sémantique, on leur doit par ailleurs la généralisation de l'usage du terme d" agriculture raisonnée" pour faire passer l'usage à la "juste dose" des pesticides...
Dernier exemple en date : la loi Duplomb, dont plusieurs articles répondent très directement aux demandes formulées par Phyteis. Outre la réintroduction de l’acétamipride, le texte acte notamment la fin de l’obligation de conseil indépendant pour les distributeurs de biocontrôle, et limite les prérogatives de l’ANSES dans l’évaluation des autorisations de mise sur le marché.
Un lobby déjà épinglé
Mais cette influence ne va pas sans heurts. En 2018, la députée Delphine Batho avait dénoncé une fuite parlementaire : un amendement qu’elle préparait sur le glyphosate aurait été transmis en amont à l’UIPP. En 2023, les deux chambres du Parlement – fait rare – ont officiellement mis en demeure Phyteis pour « manquement au devoir de sincérité ».
En cause : des chiffres transmis aux élus lors des débats sur l’interdiction d’exportation des pesticides interdits, affirmant que 2 700 emplois directs étaient menacés. Saisie par plusieurs ONG, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a refusé de sanctionner le lobby, tout en reconnaissant un « manque de rigueur ». Le Sénat, lui, évoquera une tentative de pression fondée sur des estimations non vérifiées. « Un chantage à l’emploi mensonger », résumait alors une ONG.
En juin 2025, le Conseil d’État a rejeté un recours de Phyteis visant à faire annuler l’interdiction de trois néonicotinoïdes, confirmant leur dangerosité pour les pollinisateurs.
Un changement d’image, sans changement de cap
Avec son changement de nom en 2022, Phyteis a tenté de moderniser son image. Le discours s’est adapté, plus prompt à évoquer la transition agroécologique, le biocontrôle ou la science ouverte. Mais la stratégie reste fondamentalement la même : obtenir des dérogations, éviter les interdictions, et préserver la compétitivité d’un modèle industriel contesté.
La trajectoire du lobby s’inscrit ainsi dans une logique de contournement des politiques de réduction des pesticides. Et dans un paradoxe croissant : alors que les attentes sociétales en matière de santé environnementale s’affirment, l’industrie, elle, conserve – et renforce – ses points d’appui dans les décisions publiques.