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Billet de blog 28 mars 2025

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Data centers : lobbying actif à l’Assemblée, le RN en renfort discret

Alors que l’Assemblée examine le projet de loi « simplification », des amendements sur les data centers reprennent des propositions d’un lobby influent du secteur. En toile de fond : dérégulation, enjeux de souveraineté numérique, et soutien discret du Rassemblement national à des intérêts souvent étrangers.

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Dans le tumulte du débat parlementaire autour du projet de loi « simplification », un amendement peut en cacher un autre. Alors que les projecteurs étaient braqués sur la suppression des Zones à Faibles Émissions (ZFE) — une mesure défendue par le Rassemblement national (RN) — un autre sujet, moins visible mais tout aussi stratégique, faisait son chemin en commission : l’accélération de la construction de data centers.

Derrière des amendements techniques et un jargon législatif dense, c’est une opération de lobbying bien huilée qui s’est déployée, orchestrée par France Datacenter, le lobby de la filière. Et dans cette mécanique discrète, le RN s’est positionné comme un relais actif des intérêts des géants du numérique.

Un lobbying sectoriel assumé

France Datacenter est l’organisation professionnelle qui représente la filière des centres de données en France. Elle rassemble les principaux acteurs du secteur, des entreprises françaises mais aussi des géants américains comme Microsoft, Amazon ou Google. À l’occasion du débat parlementaire, elle a diffusé une note de propositions d’amendements au projet de loi « simplification » aux parlementaires, visant notamment à faciliter l’installation de data centers sur le territoire.

Parmi ses demandes figurent : la suppression de certaines obligations environnementales (comme les indicateurs d’efficacité énergétique et de limitation de l’eau), la reconnaissance des data centers comme projets d’intérêt national majeur (PIINM), ou encore la possibilité pour ces infrastructures de déroger aux règles d’urbanisme, notamment celles relatives à la hauteur des bâtiments.

Ces propositions ont été largement reprises, parfois mot pour mot, par des parlementaires.

Des amendements parlementaires inspirés directement par France Datacenter

Plusieurs amendements déposés en commission reprennent très précisément les demandes de France Datacenter.

L’amendement n°CS497, déposé par les députés Éric Bothorel (Renaissance) et Stéphane Travert (Horizons), propose ainsi de supprimer la phrase introduite au Sénat imposant des critères chiffrés de performance énergétique et de consommation d’eau aux data centers classés PIINM. L’argumentaire invoque la complexité juridique et la redondance avec le droit existant, une justification identique à celle formulée par France Datacenter.

Même logique dans l’amendement n°CS537, porté par Ian Boucard (Les Républicains), président de la Commission, qui va jusqu’à supprimer les alinéas entiers de l’article 15 relatifs à ces critères environnementaux.

Autre exemple : l’amendement n°CS759, déposé par Mélanie Thomin (Parti socialiste), propose une dérogation à la hauteur maximale des bâtiments pour les projets de data centers reconnus d’intérêt national. L’exposé des motifs précise que le texte a été rédigé « en lien avec France Datacenter ».

Enfin, l’amendement n°CS466, signé par Jean-Luc Warsmann (UDI) et d’autres députés, supprime l’article 15 bis qui encadrait les conditions d’accès au tarif réduit de l’accise sur l’électricité. Là encore, les termes employés — « disposition superfétatoire » — sont identiques à ceux du lobby.

Le Rassemblement national en soutien indirect

Mais c’est surtout l’implication du Rassemblement national qui interpelle. Le député RN de l’Hérault, Aurélien Lopez-Liguori, a cosigné avec plusieurs collègues un amendement (n°CS1113) visant à assouplir les conditions pour qu’un data center soit reconnu comme projet d’intérêt national majeur. En remplaçant un critère de cumul par une formulation plus souple, l’amendement aurait permis de classer comme PIINM des infrastructures de taille modeste, y compris opérées par des entreprises privées.

L’amendement a été rejeté en commission, mais il révèle une orientation politique peu cohérente avec la rhétorique souverainiste du parti. Derrière le discours sur la réindustrialisation et la reprise de contrôle, le RN apparaît ici comme un relais des intérêts de groupes technologiques majoritairement étrangers.

Souveraineté numérique : une ligne de fracture

La question dépasse le seul périmètre de l’aménagement du territoire. En soutenant l’accélération de l’implantation de data centers sans garanties environnementales ni exigences de contrôle public, ces amendements posent une question plus large : celle de la souveraineté numérique.

Aujourd’hui, une part importante des données sensibles en France — y compris les données de santé — sont hébergées par des opérateurs américains. En 2023, Microsoft annonçait un investissement de 4 milliards d’euros pour déployer de nouvelles infrastructures cloud dans l’Hexagone. Ces infrastructures, bien que situées sur le territoire français, restent soumises au droit américain, notamment au Cloud Act, qui permet à Washington d’accéder à certaines données hébergées par ses entreprises.

D’autres pays européens, comme les Pays-Bas ou l’Allemagne, ont pris des mesures restrictives, voire imposé des moratoires, sur le développement des data centers dans certaines zones sensibles. En France, à l’inverse, la tendance est à l’accélération, au nom de la compétitivité.

Un débat à suivre en séance

Le projet de loi sera examiné en séance publique début avril. Il reste à voir si les amendements inspirés du lobbying de France Datacenter seront maintenus, modifiés ou supprimés. En l’état, le débat parlementaire a mis en lumière une mécanique bien connue : celle d’un secteur structuré, capable de proposer ses textes clés en main, et d’élargir ses soutiens au-delà des clivages politiques.

Mais il a aussi révélé, une fois de plus, les contradictions du Rassemblement national : dans son discours, la défense de la souveraineté ; dans les actes, le soutien aux infrastructures des GAFAM. Un paradoxe de plus, dans un paysage politique où le numérique reste encore trop souvent l’angle mort des luttes écologiques et démocratiques.

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