Dans le quartier de Sanlitun, à l'ombre des nouveaux grattes-ciels de Pékin, Guo Degang le mal-aimé mijote déjà son "come back".
Souvenez vous (ou lisez le billet précédent), le mois dernier le célèbre humoriste Guo Degang avait morflé pour son franc parler, pour sa comparaison malheureuse des journalistes chinois à des prostituées au service du gouvernement, des reporters avides de sensationnalisme plutôt que d'enquêtes avisées. Résultat: au nom de "la liberté de la presse" et en croisade officielle contre la vulgarité cathodique, le gouvernement central a fait retirer ses livres des bibliothèques, blacklisté Guo de toutes les chaînes de télé et fermé son théâtre.
Alors on est allé le voir, en l'imaginant complètement dépité, accoudé au bar d'une salle de spectacle désormais bien vide, le nez plongé dans son verre de cognac xo, coupé au thé à la pêche. Au demeurant, son théâtre est un sympathique cabaret aux couleurs boisées avec d'élégantes tables, un buffet, beaucoup de draperies et une petite scène où s'exercent deux gymnastes, de fausses lances à la main. Nous sommes en pleine répétition: le metteur en scène braille entre deux volutes de fumée de cigarette. Mais où est Guo Degang? "Guo est chez lui, il se repose mais venez, venez dans son bureau". L'homme se lève lentement et nous emmène en coulisses. Et c'est son frère - baraqué comme un déménageur breton - qui nous accueille, dans un bureau exigu aux allures de salon de thé. Comme les vigiles à l'entrée, l'homme arbore un t-shirt noir avec 4 caractères chinois de couleur jaune: 梦回天桥 (meng hui tian qiao). "Le rêve revient au théâtre".
Car Guo en a fini avec les polémiques, les vannes piquantes, les calembours sulfureux. C'est du rêve qu'il compte vendre désormais, "du grand spectacle, du divertissement", nous promet-on.
A l'évidence, la punition des autorités a porté ses fruits. "Nous avons compris, grâce au gouvernement, que nous devions ajuster les prestations de Guo Degang aux attentes réelles des Chinois. Le peuple a besoin de retrouver les valeurs de la vraie Chine, nous allons donc revenir aux sources" annonce le frère, sans sourciller. Très bien, mais comment? "En retournant aux origines du théâtre chinois, en s'inspirant de l'oeuvre de l'Opéra de Pékin, le fleuron du spectacle vivant ici". Toutes proportions gardées, c'est un peu comme si Stéphane Guillon se transformait en Michel Drucker, nous offrant une soirée hommage aux sapeurs-pompiers. Un gros changement de registre en perspective.
Soit. Mais alors comment explique-t-il l'interdiction de ses livres en magasin? "C'est simple et il ne faut pas voir cela comme une censure. Les livres ont été retirés car ils ne se vendaient plus très bien. A quoi bon les garder en rayon?". Silence... et rires gras de notre camarade qui se croyait plus convaincant. Une rasade de thé va conclure l'entretien. "Lorsque le théâtre rouvrira ses portes, je vous conseille de vous présenter à la caisse comme mon ami, on vous fera un très bon prix".