Ce matin, très tôt, nous quittons la base avec les parachutistes. Notre blindé nous ramène à Kaboul. A côté de moi, les jambes grelottantes d’un gars sorti par la trappe. Rangers sur le fauteuil, mains sur le gunner, museau dehors… il sécurise notre convoi. Le casque vissé sur la tête, il balaie du regard toute la vallée qui s'étend devant lui, jusqu’à ce que la neige qui lui claque au visage le force à redescendre pour demander une relève. Moi, j’ai encore dans la tête ces images de France, de grèves diffusées en boucle sur bfm tv, à la cantine. Bfm tv est l'une des rares chaînes que l'on capte ici au sommet des montagnes afghanes! La veille au soir, afin de fêter dignement leur dernier jour de mission en base avancée, certains...
...avaient sorti du paquetage quelques conserves de magret de canard apportées à Noel pour un festin improvisé dans l’un des bunker. Par chance, c’est le nôtre. Mon camarade de chambrée m’interpelle. “Alors toi qui vient de chez nous, dis-moi franchement… Qu’est ce qu’ils pensent de nous, de ça?” “Qui?” “Ben les Français. Ils nous soutiennent ou pas?”
Difficile à dire finalement. Personne ne souhaite un retour au pouvoir des Talibans. Sauf qu’à part cette armée internationale, ces dizaine de Hummers flambant neufs que l'on achemine chaque semaine à Kaboul, on ne voit guère de diplomate, d’homme politique avisé pour définir une stratégie et peut-être garantir un avenir quelconque à l'Afghanistan. Peut-on compter sur un gouvernement sans réelle autorité, un chef sans véritable charisme? Sur le terrain, ce sont les maleks ou chefs de village qui tiennent encore leurs communautés et c'est avec eux que les militaires s'entretiennent inlassablement. Certes quelques posters du commandant Massoud décorent les entrées de commerce ça et là dans le quartier des ambassades à Kaboul. N'est-ce pas aussi pour faire plaisir aux occidentaux qui gardent l'image d'un résistant démocrate éclairé. Les Afghans ont encore besoin d'un leader.
Pour Thomas, la présence des militaires ici est légitime. Il assume sa mission à 300%. Mais même s’il n’y a qu'eux, si Kaboul pue la misère, si les enfants vendent des chewing gums à chaque feu rouge, les pieds nus dans la boue, il m’explique que sa présence empêchera quiconque d’interrompre un match de foot pour abattre une femme au milieu du terrain, une balle en pleine tête, devant un public médusé, terrifié. Les ripailles s’achèvent par des conversations plus chaleureuses, on se moque un peu des copains restés à la gare Saint-Lazare “pour faire du vigie-pirate”. Chacun a son avis sur cet exercice un peu particulier dans la vie d'un soldat: un fardeau pour les uns, une manière de souder un groupe pour les autres.
Une photo que j'ai prise la veille, lors de notre sortie à Sorobi.