On commence à en savoir un peu plus sur ce qui attendra Ai Wei Wei à sa sortie, si toutefois la police consentait à le faire réapparaître à la fin des 37 jours autorisés par la loi. D'après Xinhua, l'artiste enlevé le dimanche 3 avril pourrait être officiellement accusé... de plagiat et d'évasion fiscale.
Souvenons-nous: Ai Wei Wei a été arrêté par la police des frontières de l'aéroport de Pékin le dimanche 03 avril alors qu'il s'envolait pour Hong Kong. Depuis, l'artiste est coupé du monde extérieur et son nom est censuré par Baidu, le principal moteur de recherche. La semaine dernière, toute question à son sujet posée durant le point-presse du ministère des affaires étrangères, recevait la même réponse pleine de compassion: "La Chine est un Etat de droits et cette affaire sera gérée conformément à la loi". Ironie du sort, les questions sur l'artiste disparaîtront finalement du compte rendu officiel de ce point-presse.
Aucune information sur la situation, sauf deux courtes dépêches de l'agence de presse officielle Xinhua l'agence, aussitôt effacées.
Une première annonçait que la police enquêtait sur d'éventuels "crimes économiques". Bingo. Son comptable a disparu vendredi et aucune nouvelle depuis. Sur le site Boxun (qui diffusait les appels de Jasmin en Chine), on parle de soupçon d'évasion fiscale à hauteur de 60 millions de yuans: http://www.boxun.com/forum/201104/boxun2011/168940.shtml
Une deuxième dépêche, sortie dimanche, évoque le plagiat: un projet de déplacement de 1001 Chinois de Shanghai à Xi'an en 2006 ressemble à la même performance organisée par Ai Wei Wei plus tard en Allemagne. La dépêche s'accompagne de critiques personnelles ("artiste de seconde zone") visant manifestement à discréditer l'artiste. Soit la même méthode utilisée à l'encontre du prix Nobel chinois Liu Xiaobo l'an dernier par la presse officielle. Interrogé par la correspondante du Guardian Tania Branigan, le professeur "plagié" se dit solidaire d'Ai Wei Wei et demande même sa libération.
Ai Wei Wei, 53 ans, est l'un des artistes chinois les plus réputés à l'étranger. Il jouit en Chine d'une certaine popularité, notamment pour avoir participer au design du "Nid d'Oiseau": le fleuron des Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Même si son atelier "Fake" était plutôt excentré, il a toujours été l'une des stars de 798, le quartier d'art contemporain de Pékin.
Un an plus tard, Ai Wei Wei faisait appel à une centaine d'architectes étrangers pour assouvir les fantasmes urbains des officiels de Ordos, une ville nouvelle de Mongolie Intérieure, en plein milieu du désert et construite avec l'argent du charbon. Le projet 101 0rdos ne s'est pas concrétisé (la ville, si), Ai Wei Wei étant devenu entre temps totalement infréquentable pour tout homme d'affaires ou haut fonctionnaire chinois qui se respecte.
Le 11 janvier, son atelier de 2000 m2 sera rasé sans préavis par les autorités, "pour usage non conforme du terrain". Reste son atelier Pékinois, toujours réquisitionné. Récemment, il y présentait aux visiteurs ses derrnières sculptures de marbre: des caméras de surveillance, identiques à celle installées devant chez lui par la police. En général, Ai Wei Wei refusait les interviews "sensibles" par téléphone, se sachant sur écoute. Ce qui ne l'empêchait pas de vider son sac au cours de chaque entretien en face à face.
Ai Wei Wei savait, comme sa maman, qu'il pouvait se faire arrêter à tout moment. Sans doute n'avait-il pas digéré que son père, le célèbre poète Ai Qing, ait été contraint de nettoyer les chiottes du village durant la Révolution Culturelle, en débit d'une réhabilitation, à la mort de Mao.
Non content de comparer le gouvernement chinois à une mafia, de mêler son art à la dénonciation du régime actuel (en se photographiant par exemple le majeur tendu devant la Porte de la Paix Céleste de la Cité Interdite, où est accroché le fameux portrait de Mao), Ai Wei Wei a aussi signé la Charte 08 qui vaudra à son co-rédacteur l'intellectuel Liu Xiaobo une peine de onze années prison pour tentative de subversion au pouvoir de l'Etat.
Ai Wei Wei est aussi un usager éclairé des réseaux sociaux. Sur Twitter (78 000 followers) et Weibo, l'homme mettait donc en ligne nom, prénom, âge de chaque écolier mort dans les écoles trop vites effondrées pendant le séisme du Sichuan. Un travail de mémoire. Un tweet par enfant. 5000. Le gouvernement, promettait lui aussi une enquête sur la malfaçon des écoles mais n'a jamais tenu promesse.
Le 7 avril, le ministre de la culture Frédéric Mitterand réclamait la remise en liberté de l'artiste: http://bit.ly/dOBPRL . Le directeur du Tate Modern, où Ai Wei Wei expose des millions de graines de tournesol en porcelaine, comme celui du musée d'Art Moderne de New York font pour leur part circuler une pétition.
Depuis bientôt deux mois, des dizaines de militants des droits de l'homme "disparaissent" dans l'indifférence générale, depuis un premier appel à la Révolution de Jasmin et sans que ceux ci ne soient même impliqués. La disparition d'Ai Wei Wei accentue subitement la pression internationale mais pour quel résultat?
En attendant des nouvelles, Ai Wei Wei est devenu Ai Weila ("Aimer le futur") sur internet, permettant à ses défenseurs chinois de déjouer provisoirement la censure.
www.jordanpouille.com
La dernière oeuvre d'Ai Wei Wei, exposé dans le grand hall du Tate Modern jusqu'au 1er octobre: http://youtu.be/td3_EKX1Igo