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Billet de blog 14 novembre 2009

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En Chine, Bailu s'offre enfin son lifting

Le 12 mai 2009, le journal Mediapart publiait, sous la forme d’un diaporama audio, un reportage sur les survivants du Sichuan un an après le séisme.

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Le 12 mai 2009, le journal Mediapart publiait, sous la forme d’un diaporama audio, un reportage sur les survivants du Sichuan un an après le séisme.

A l’époque, la petite ville de Bailu n’était encore qu’un amas de ruines, où les habitants, parqués dans des préfabriqués, désespéraient depouvoir être un jour relogés. Six mois plus tard, tout a changé. L'occasion, une fois sur place, de se fendre d'un petit billet sur cette métamorphose.

A Bailu, le tourisme sismique a vécu. Les bus de touristes ne viennent plus klaxonner dans cette enclave montagneuse où la température chute en hiver. Les chantiers de la Croix Rouge chinoise ont donné naissance à des lotissements de maisons de poupées, aux couleurs acidulées, avec des petits jardinets clôturés, de faux volets cloués aux façades, des allées de pavés bien alignés. Certes, les maçons ont un peu lésiné sur les finitions et l’intérieur a plutôt la couleur du ciment mais la coquille est belle.

La splendide école promise par des donateurs singapouriens est sortie de terre. Tous pensaient que les millions déversés ne parviendraient jamais jusqu’ici. Les travaux ont duré 4 mois et le tout ressemble à un campus américain avec deux gardiens dignes de la relève de la garde de Buckingham Palace, sans képi. Ils ne nous laisseront pas entrer. Un nouvel hôpital a fait son apparition avec, notamment, un service uniquement dédié aux morsures de chiens. Enfin, c'est ce qu'indique le panneau car le matériel médical se fait toujours attendre. L’équipe n'a pas perdu ses vieilles habitudes et continue de cloper dans les couloirs.

Le jeune homme qui nous avait hébergé à l'époque du reportage s’est fiancé et a décroché son permis poids-lourd. Il vit toujours dans la maison de ses parents, modestes vendeurs d’engrais, mais cette fois ci avec sa compagne. Ensemble, ils ont ouvert une petite boutique de téléphonie mobile au centre du village. « Mes parents m’ont prêté leurs économies, 12000 yuans (1200 euros) et le bail est très abordable : à peine 200 yuans par mois ». Même si l'on trouve désormais tout à Bailu, les habitants, observe-t-il, « ont gardé l’habitude de descendre à la ville - Pengzhou- pour acheter leur produits manufacturés ».

Aux bords de la route goudronnée qui mène au séminaire catholique français, à l’extrémité de Bailu, le changement est total. Les préfabriqués bleu et blanc sont presque tous démontés et les chantiers escarpés de logements en dur se succèdent sans discontinuer. Mais attention, les paysans de Bailu veillent au grain. Ils n’ont aucune confiance en la fonction publique locale et pensent que n’importe quel petit chefaillon saisira la moindre occasion pour détourner les aides. Alors ils vérifient scrupuleusement la qualité du ciment, font mine de critiquer la marque des pots de peinture, ils repassent derrière chaque ouvrier pour s’assurer que la hauteur des murs est bien respectée. Ils ferraillent enfin (en dialecte) avec le secrétaire général du parti communiste de Pengzhou venu se pavaner devant un pâté de nouvelles maisons, pour les besoins de la presse locale.

Parmi les nouveautés du village, il faut noter la naissance d'une « maison de la radio » (photo ci-dessous). Faute de route, on marchera dans la boue en faisant attention de ne pas tomber, avant d'y pénétrer. De l'extérieur, l’édifice ressemble à une villa californienne. A l'intérieur, elle offre suffisamment d'espace pour permettre aux habitants de se retrouver autour d'une partie de majong.

On y promet une station avec des alertes météo au poil. Non loin, des parpaings bouchent les entrées des vieilles mines de charbon avec un message peint en rouge : « mine officiellement fermée le 18 juillet dernier », soit 1 mois et ½ après la date prévue. Les ponts qui chevauchent la rivière et permettent d’y accéder ont été cassés afin de dissuader les plus nostalgiques.

Mais tout n’est pas rose pour autant. Cette fièvre bâtisseuse se traduit aussi par des histoires tragiques. Comme celle de cet homme mort il y a quelques jours sur un chantier du village. Sa femme raconte que l'immeuble qu'il construisait s’est effondré avec lui dessous. Et faute de contrat en bonne et due forme, sa famille ne pourra prétendre à la moindre compensation. Après le séisme, ils avaient refusé les logements provisoires proposés par le gouvernement local, par crainte de perdre leur terrain et d’être relogés ailleurs qu’à Bailu. Un tel manque de « flexibilité » leur est aujourd’hui fatal : ils vivent toujours dans une cabane de fortune et savent qu'ils seront servis en dernier.