Qui c'est celui-là ? Don Quichotte version pékinoise ou le destin d'un paysan pauvre assoiffé de justice, un brin idéaliste. Je l'avais rencontré à la fin de l'été à Pékin, la nuit, quand la police ne patrouille plus dans le quartier. Son récit:
Humilié et racketté par le maire de son village, Jing Lu* est monté à la capitale, intimement persuadé que le gouvernement central écoutera sa plaidoirie.
Avec sa pochette plastique remplie de doléances, Jing Lu a quitté sa ferme de la province du Liaoning, au Nord Est de la Chine, pour rejoindre à Pékin, la longue file indienne des pétitionnaires en colère. A son arrivée, il a dormi par terre, devant la porte rouge du bureau d'inspection des disciplines, dans le hutong de Dongsi Jiutiao, près de chez moi. Comme tous, il a eu vent des prisons clandestines de Pékin, ces faux hôtels où l'on enferme les pétitionnaires avant de les ramener de force. « On s'y fait tabasser, une fille a même été violée ». Alors il a préféré ne pas dormir à l'hôtel, au cas où...
Et si sa pétition ne servait à rien ? « Impossible. Wen Jiabao et Hu Jintao aiment les paysans ! » répète Jing Lu, avec une sincérité apparente. « ... Mais je compte aussi parler à quelqu'un d'autre. Il paraît qu'à Pékin, un avocat défend les droits des pétitionnaires ». Pas de bol : Xu Zhi Yong, l'avocat en question, est dans le collimateur du Parti. Il est accusé d'« évasion fiscale » et attend toujours son procès. Il risque sept années de prison.
Les espoirs de Jing Lu reposent donc sur les fonctionnaires du bureau des disciplines. Il est le messager des 1800 habitants de son village, qui subissent depuis vingt ans les folies de Sun Yan Xi, un maire tyrannique à faire rougir les mafieux de la Cosa Nostra. Selon notre paysan, Yan Xi revendrait les terres du village à son profit, imposerait une lourde taxe sur chaque kilo de mais récolté et ferait payer les postes de fonctionnaires vacants. Depuis juin, il refuserait même la gratuité des soins médicaux aux villageois, qui pourtant se sont acquittés d'une cotisation annuelle.
Avant lui, deux camarades étaient déjà venus se plaindre à Pékin. Le premier est rentré aussi sec ; son cheval ayant été empoisonné en son absence. Le second, sur le point de réussir, sera rejoint par un policier de sa région qui achètera son silence contre une liasse de yuans. « Après, nous avons envoyé nos pétitions par courrier... mais à chaque fois, elles atterrissaient sur le bureau du chef de village ! ». Maintenant, c'est Jing Lu qui mène la lutte. Pour limiter les représailles, il a expédié sa fille et sa femme dans une ferme au sud du pays.
Plutôt bien accueilli par le bureau de Pékin, Jing Lu est ressorti avec une attestation sous le bras, stipulant que son cas allait être scrupuleusement étudié. Puis il s'est rendu sur la place Tian An Men.... Deux heures plus tard, six policiers sont arrivés, ont fouillé ses bagages et découvert sa pétition. « Affolés, ils m'ont embarqué puis appelé des représentants de ma province pour qu'ils me ramènent immédiatement chez moi ».
Une combine bien connue des pétitionnaires et qui lui permettra de rentrer sans débourser un yuan, sous escorte.
Depuis cette rencontre, je l'ai rappelé, pas curiosité. Que fait-il? « Je reste à la maison et je fais profil bas ». Le chef de la police locale lui a promis la prison à la prochaine tentative. « Ca m'est égal. Le maire a commencé d'importants travaux de reconstruction. Les premiers en 20 ans !». Jing Lu n'est pas un dissident mais juste un simple paysan qui vient de donner un petit coup de pied dans la fourmilière.
* Pseudonyme