Lu Tian Fu est arrivé à Pékin il y a neuf jours. Assis sur la place de la gare centrale, l’homme est sale, sent mauvais et ses pieds sont en piteux état. Il n’a plus d’orteils, seuls des os qui sortent de sa chair suintante. Chaque jour, des milliers de Pékinois le croisent en faisant la grimace.
Il y a cinq jours, des policiers lui ont fortement suggéré de disparaitre, afin d’échapper à la vue de leur chef de brigade, qui vient inspecter la place chaque après-midi. Lu Tian Fu est à présent sous l’un des deux ponts piétonniers, enjambant la route parallèle à la gare et pas très loin d'une entrée dérobée, où les Audis d'officiels et de militaires pénètrent pour accéder directement au quai. La police nous affirmait que Lu Tian Fu serait pris en charge par une équipe médicale dédiée aux SDF, à l’image du Samu Social. Il n’en est rien. Aujourd’hui, l’homme survit grâce à des fruits un peu pourris que lui donne un commerçant en fin de journée. Le marchand assure qu’il n’est pas un mendiant professionnel ni même un de ces estropiés, exploités par la mafia locale.
Mais alors, qu’est venu faire Lu Tian Fu à Pékin? Les hôpitaux d’Harbin, sa ville d’origine, auraient refusé de le soigner, parce qu’il n’était pas en mesure de payer. Ici, il nourrit l’espoir qu’une association le prenne en charge. Incapable de marcher, il reste au sol, presque végétatif. Il n’harangue personne, on dirait plutôt qu’il attend. Il rumine, même, en apercevant l’hôpital de Tongji au bout de la rue. A cause de son “hukou” d’Harbin (: passeport interne), aucun établissement de santé pékinois ne lui ouvrira ses portes, à moins qu’il ne puisse allonger la monnaie.
Lu Tian Fu est un ancien soldat de l’Armée Populaire de Libération. Il était basé dans la province du Yunnan et s’en allait combattre à la frontière avec la Birmanie, “et souvent au delà”. Mais c’est, dit-il, lors d'une bagarre, après un gros coup de crosse à la tête, déformant son crâne, qu’il quitte l’armée et rentre à la maison. L’an dernier, ses parents, son frère meurent dans un accident de voiture. Sa belle-soeur est toujours hospitalisée. Il s’est ruiné en tentant de la faire soigner. Il s’est alors retrouvé sans logement, à dormir dehors, dans le froid sibérien d’Harbin. Ses orteils ont gelé pendant le Nouvel An Chinois. Ses mains sont rouges sang, gonflées “mais ça va mieux” assure-t-il.
En postant - avec son accord - sa photo sur mon compte Weibo (le twitter chinois) ce matin, j’ai reçu un coup de fil d’une “newsproducer” de la BBC. Même si elle semblait plus intéressée par son passé de militaire que par son état de santé, j’espère que la diffusion d’un reportage de la Beep poussera les autorités à agir en faveur de Lu Tian Fu. Les ong pékinoises manquent de fonds et de moyens pour répondre efficacement à la détresse humaine. Edit 18h13. Une équipe de secours se rend sur place et promet de nous tenir au courant.