C'était ce soir, au 16e étage du Sofitel de Pékin. Le premier ministre a convié la communauté française pour une réception digne d'une Garden Party élyséenne... sauf que la star à Pékin n'était pas Nicolas Sarkozy. Cette soirée conclut un voyage officiel de trois en Chine en Chine, accompagné de ministres, de parlementaires et d'une palanquée de pdg. Dans le public, on reconnait Anne Lauvergeon d'Areva, Jean Paul Erteman de Safran et tant d'autres...
En attendant le premier ministre, chacun est à pied d'oeuvre avec les huiles déjà présentes. Les cartes de visites s'échangent à toute allure. "Une grande soirée de networking en perspective", reconnaît Franck, un jeune médecin de l'OMS venu en renfort à Pékin pour vacciner les ressortissants contre le virus du H1N1. Le ministre de la culture Frédéric Mitterrand est au milieu de la foule. Il répond à toutes les sollicitations. Un photographe lui présente sa prochaine expo, une belle étudiante en design de son projet de stage. Jet-lag dans la tête, le ministre s'accroche et écoute. Au tour d'un vieil homme fier de montrer ses deux ouvrages auto-édités sur les richesses de la Mongolie Intérieure, avec une lettre manuscrite à l'intérieur. Mitterrand feuillette chaque page, son interlocuteur est aux anges. "Vous ne savez pas y faire mesdemoiselles. Le mieux c'était de lui remettre une enveloppe avec votre requête" dira-t-il plus tard.



Avec une petite heure de retard et escorté par une dizaine de gardes du corps chinois (faisant d'ailleurs penser aux mystérieux gardiens chinois de la flamme olympique lors de son passage à Paris) et quelques français, le premier ministre grimpe sur l'estrade sous les acclamations. En quelques secondes, ses ministres viennent se ranger sagement au second plan. Christine Lagarde, Frédéric Mitterrand et Eric Woerth s'alignent derrière leur premier ministre.
Défiscalisation des heures supplémentaires, bouclier fiscal: place au récapitulatif élogieux de l'action du gouvernement pour redresser l'économie française, "la moins touchée de l'Union Européenne par la récession". Le lien est fait avec les nombreux contrats récoltés en Chine au cours de cette visite, "symbole de rapports au beau fixe entre les deux pays". François Fillon termine par des mesures à l'attention des ressortissants français, "le moteur de notre pays". Comme un délégué de classe annoncerait à ses camarades un doublement des portions de frites, le premier ministre promet un permis de conduire français bientôt valable sur le sol chinois, la fin des travaux du nouveau lycée francais et le vote par email pour les prochaines élections. "Nous avons besoin d'une communauté française entreprenante pour servir une Chine qui brûle toute les étapes de la modernité". Beaucoup ici se reconnaissent dans son discours: des étudiants de tous milieux sociaux partis tenter leur chance dans l'eldorado chinois, des expatriés de grands groupes installés avec conjoint et enfants, ou des artistes en devenir qui enchaînent les vernissages.
S'en suit la Marseillaise reprise en coeur. La messe est dite; au champagne désormais de couler à flot. Les fromages et les amuses-bouche disparaissent à vue d'oeil. "J'avais perdu le goût du camembert" chuchote un vieux briscard, installé à Pékin depuis 11 ans.
Moi, une question me démangeait. Une question dont on se doute un peu de la réponse. Elle concerne la position de la France sur le destin du dissident Liu Xiaobo dont le procès commence demain matin à 9h, à Pékin. J'accoste le premier ministre quelques minutes après sa descente de l'estrade, lorsque les tintements des coupes de champagnes succèdent aux applaudissements d'un auditoire conquis. Difficile d'approcher François Fillon tellement les gardes du corps chinois font du zèle. "Allez-y, ya pas de problème", dit un diplomate français.
"Monsieur Fillon. Avez-vous abordé le sort de Liu Xiaobo avec les Chinois pendant votre visite officielle? Il risque 15 ans de prison pour avoir rédigé une charte"
(silence) "C'est une question qu'on a fait évoquer par la présidence de l'union europeenne et c'est systematiquement ce qu'on va faire maintenant, pour qu'il n'y ait plus de dissonance d'un pays à un autre"
Mouais. Ce qui peut vouloir dire aussi que l'UE a bon dos: nul besoin de se mouiller, c'est elle qui défendra les droits de l'homme à notre place... si tant est que les Grecs ou les Maltais soient d'accords avec nous lorsqu'il s'agira d'exprimer publiquement une opposition.
Insensible à toute cette agitation, on reconnait Pascal Gentil au fond, près de la porte. Le double médaillé olympique de Tae Kwon Do s'est bien recyclé chez Veolia Environnement. Aimable, disponible... ce néo-pékinois ne semble pas à l'aise avec les mondanités mais se prête volontiers aux autographes. Il évoque sa nouvelle vie, montre son aisance rapide en mandarin mais regrette que certains sites bloqués en Chine ne lui permettent pas de garder le contact avec ses fans. On lui conseillera "vpn" l'outil des nouveaux dissidents en Chine, grâce auquel Twitter et des plateformes de blogs connaissent un succès exponentiel.