9h à Pékin. Un de ces matins brumeux où les retraités font leur gym matinale sur le trottoir pendant que les boui boui préparent leurs premiers baozi, ces pains farcis. Mais ce matin, la tension est montée d'un cran. J'étais là. Non-grata.
Je ne sais pas ce qui est vraiment arrivé. J'ai d'abord entendu un échange virile entre un jeune policier et un vieux pékinois. Le vieil homme parle très vite, s'agite, fulmine et fait tomber la chapka du gardien de la paix. Aucune réaction. Le policier est impassible. Un riverain s'empresse de lui remettre son chapeau. Toujours pas de réaction puis boum: une droite. Le policier bouillonait. Le vieux est à terre, emportant le riverain dans sa chute. Ils crient, paniqués et restent à terre. Deux Pap* interviennent: traînant le vieil homme pour le jeter dans la voiture de police. Une troupe se forme, curieuse et muette devant ce triste coup de sang. Personne pour s'interposer. La peur, me dis-je.
Je sors mon appareil. Je ne vais pas jouer les samaritains mais juste prendre une photo de la situation. Et seulement maintenant, la foule réagit. Une adolescente furibarde brandit son smartphone dans ma direction, à bout portant comme un crucifix à un vampire, en pensant sans doute que j'allais décamper fissa. Elle me filme. Je lui suggère de filmer l'essentiel: la bagarre et non moi. En vain. Un autre ramasse une brique et gémit. "Dégage, étranger!" Je me présente et lui montre ma carte de presse chinoise. Il agite sa brique... imparable.
Je n'ai pas compris cette réaction et j'ai voulu comprendre. Voici l'explication intéressante de Joshua Rosensweig, de la fondation Dui Hua, à Hong-Kong.
Il faut lire "La Vraie Histoire de Ah Q" de Lu Xun pour comprendre à mon sens, le phénomène psychologique derrière tout cela. Pour résumer, l'idée est qu'une personne régulièrement humiliée par les autres, saisira l'opportunité d'afficher sa supériorité envers une tiers personne si elle se présente. Les gens rencontrés ici peuvent se sentir totalement impuissants face à cette violence policière gratuite et cela les humilie. En vous criant dessus, ils réduisant cette part d'humiliation parce qu'ils peuvent se voir du côté des puissants - les policiers- plutôt qu'en autre victime potentielle".
* Pap = Police armée du Peuple. Ce sont des militaires mais avec des épaulettes rouges (et non vertes comme les soldats de l'armée). Ils veillent à assurer la stabilité à l'intérieur du pays.