Intermède afghan... avec initiation au reportage de guerre - Récit d'un séjour en Afghanistan en janvier 2009.Avec mon camarade photographe Sébastien Nogier, nous sommes partis une semaine en Afghanistan, dans l'idée de suivre l’armée française, du 11 au 18 janvier. J'avais prévu de retourner en Chine après les fêtes, avant que l'opportunité ne se présente. sur un coup de fil. Notre première collaboration remontait à 2005, une pige pour le supplément Voyages du Guardian, dans un monastère cistercien au larges de Cannes. Aujourd'hui, la destination est autrement plus excitante. Au programme: patrouilles militaires dans les montagnes afghanes, opérations d’aides aux civils, séjour en base avancée, virée risquée mais insolite à Kaboul et enfin, baptême de l’attentat-suicide. Les parents me croient partis en Inde. Voici le premier des sept épisodes d’un périple afghan..
Dimanche 11 janvier:
L’avion s’est posé sur le tarmac de l’aéroport militaire de Kaboul avec une demi-heure de retard. Les 250 soldats prévus pour la rotation sortent de l’airbus A340, tandis qu’un B52 de l'US Air Force s’apprête à repartir. Nous sommes deux journalistes au milieu des soldats et des officiers, à attendre que des véhicules blindés viennent nous chercher. Après avoir récupéré les sacs plus loin dans un container, nous sommes escortés en 4×4 jusqu’au bureau d’accréditation des journalistes tenus par des militaires italiens. Il aura fallu traverser 100 mètres de barbelés et montrer patte-blanche auprès d’une pléthore de garde-barrières afghans. Empreinte de l’iris, des doigts, on me demande ma religion, si je suis marié ou célibataire, on me pèse, on me mesure, on me photographie et je repars avec une accréditation verte estampillée “Media Isaf HQ - Escort required! “. Un bout de plastique aussi précieux qu’un gilet par-balles en kevlar. Devant l’aéroport que nous allons bientôt quitter, une dizaine d’Afghans attendent pour renouveler leur sésame qui leur permettra de continuer de travailler à l’intérieur, où j’apprendrai plus tard que les salaires sont très élevés. Il est midi: nous contactons une compagnie de taxis sécurisés pour nous conduire à l’hôtel. L’hôtel en question, face à l’ambassade iranienne , ressemble à une forteresse imprenable. Pas de plaque, pas de nom, pas de sonnette mais juste un empilement de sacs de sable et une imposante porte métallique. Depuis deux minutes, quelqu’un nous observe à travers un petit trou dans la porte blindée. C’est le premier gardien, qui nous ouvre enfin la porte. Le gardien, dont la barbe épaisse masque un visage de jeune homme, tient un petit talky-walky dans une main, une Kalachnikov dans l’autre. Un deuxième gardien nous attend un peu plus loin, derrière un autre sas. L’hôtel, nous a-t-on dit, est le repère des reporters de guerre et le manager, britannique, est aussi l’un des fondateurs de Frontline agency, une agence de presse spécialiste de la guerre. A 160 dollars la nuit, la sécurité a un prix.
Cet après-midi nous avons rendez-vous à l’intérieur du camp Warehouse où sont retranchés la majorité des 3000 soldats français déployés en Afghanistan. Sur place, plusieurs lieutenants vont nous briefer sur les opérations à venir, les règles de sécurité à respecter, l’équipement à porter. Un casque et un gilet par balles nous seront attribués. Sur la route dite “Purple way”, nous assistons à un incessant va-et-vient d’ Hummers de l’armée américaine, de 4×4 blancs de l’Onu sans plaque minéralogique…. quand ce ne sont pas de vieilles charrettes en bois tractées par des chevaux maigrelets. A tous les croisements, des check-points mobiles tenus pas des policiers afghans régulent les flux de la population. Un pick-up Toyota noir surmonté d’un “gunner” sous une pluie battante sert de mirador pour ces gardiens de la paix payés 60 dollars par mois par la coalition. Tous ne portent pas d’uniforme et peu de choses les distinguent des civils sinon une casquette et une cagoule noire. Le ralentissement se transforme en embouteillage… La circulation est bloquée. Le chauffeur, jeune et anglophone, coupe l’autoradio et déclenche la fermeture centralisée des portières. Le véhicule est arrêté. Le visage caché par une cagoule et des lunettes noires, un homme nous fait mine de sortir du véhicule, en cognant doucement le canon de son AK-47 contre la vitre. Dans le rétroviseur, j'observe un autre homme qui regarde sous le véhicule, à l'aide d'un petit miroir fixé à l'extrêmité d'un bâton. Avant de sortir, je palpe les poches de mon anorak à la recherche de mon passeport et de mon accréditation presse. “Dont worry” me murmure le chauffeur. Il faudra que je m’habitue très vite à ce comité d'accueil: à chaque carrefour, rond-point et feu tricolore, les contrôles inopinés rythment chaque trajet de taxi. Ce qui m’a frappé à mon arrivée à Kaboul, c’est aussi l’absence d’arbre, de fleurs, de couleurs dans le paysage… Sauf peut-être des panneaux publicitaires omniprésents, vantant la qualité du réseau de portables afghan « Roshan ». Tout autour, de la poussière, des murs de ciment criblés de balles, des rangées interminables de sacs de sable pour protéger les plus belles demeures. Le quartier des ambassades, où se trouve notre hotel, a des allures de Fort Knox. Sous chaque caméra de surveillance, un homme armé et cagoulé. Bienvenue à Kaboul.