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Billet de blog 30 janvier 2009

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Kaboul la rebelle: épisode 03

Nous rentrons au Gandamak lodge en silence, certains d'avoir vu, vécu quelque-fort que des commentaires à chaud ne feraient que polluer. Je me coucherai tout de même en repensant aux malades rencontrés au village, à leurs plaies recouvertes de morceaux de feuilles de cahier d'écolier ou d'une potion violette à base de gentiane.

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Nous rentrons au Gandamak lodge en silence, certains d'avoir vu, vécu quelque-fort que des commentaires à chaud ne feraient que polluer. Je me coucherai tout de même en repensant aux malades rencontrés au village, à leurs plaies recouvertes de morceaux de feuilles de cahier d'écolier ou d'une potion violette à base de gentiane.

Demain, debout à 5h du matin ; un gros détachement militaire est prévu à Tora., une base avancée particulièrement reculée… à une cinquantaine de kilomètres à l’Est de Kaboul. C’est pour beaucoup le jour d’une rotation tant attendue. Ceux qui ont vécu l’embuscade du 18 août, qui ont vu leur copains mourir sous les balles ou à l’arme blanche , qui ont riposté tant bien que mal, vont enfin pouvoir rentrer en France. Pour les remplacer, une cinquantaine de jeunes soldats fringuants et archi-motivés que nous avions rencontrés à l’aéroport Charles de Gaulle à notre départ. Certains sont Ch’tis comme moi, ils viennent de Lens, Douai, Roubaix et servent dans un régiment de Tarbes. Aujourd’hui, nous partons avec eux dans des vab, des camions surblindés avec deux rangées de cinq soldats à l'intérieur.

Il faut dire que la destination est redoutable. Pour s’y rendre, nous empruntons une longue route qui perce la montagne, borde des ravins en bas desquelles coule une rivière où sommeillent des carcasses rouillées de chars d’assaut soviétiques. Un livre d’histoire à ciel ouvert.

C’est cette route qu’a emprunté Ben Laden pour s’échapper, c’est aussi par cette route, via Jalalabad, que passent tous les trafics. C'est aussi le long de cette route que le risque d'i.e.d est le plus élevé. I.e.d pour Improvised Explosive device ou engin explosif improvisé.... une bombe quoi. C'est la raison pour laquelle nous roulons à fond la caisse à chaque passage de pont, pour limiter le risque.

Tora surplombe une vallée stratégique, où le sang a déjà beaucoup coulé. Déjà en 1984, 65 fantassins de l’armée rouge ont été massacrés. Aucun ne sera épargné. Plus tard, les soldats italiens se sont enfermés dans la base après avoir perdu 1 de leurs hommes au cours d’une simple reconnaissance. C’est donc là que le 18 aout dernier, 10 hommes périront lors d'une embuscade. En discutant avec les jeunes soldats sur place, autour d’une bière, je comprendrai à la fois pourquoi beaucoup veulent se battre et quel avenir réserve cette base stratégique aux soldats de l’armée française déployés en Afghanistan.

Cet après-midi, un entretien est prévu entre le sous-gouverneur de la province et le chef de corps, venu de Kaboul en hélicoptère. De cette conversation, rien ne sortira « Il s’agissait de régler quelques problèmes, d’harmoniser certaines de nos actions » me dira-t-il.

Nous arrivons donc à Sorobi (dites « Sourobi), lieu du rendez-vous. Le paysage est saisissant : des amandiers, un immense lac, des champs tout autour, des maisons de terre sur le flanc des montagnes et la grande maison du sous-gouverneur construite par les soldats italiens, tout comme la bibliothèque… presque aussi haute que le minaret de la mosquée toute proche.

Sur place, je rencontre Samir. Il a 23 ans mais en paraît 30 avec sa barbe. Nous montons sur le toit de l’immeuble. Là haut, deux tireurs d’élite français sont déjà postés. Le paysage est saisissant. Je découvre, en discutant, que Samir est le neveu du sous-gouverneur. Un officier me racontera, sur le chemin du retour, que son oncle l’a envoyé ici parce qu’il devenait « trop turbulant ». Et pourtant ici, il est en charge de sa sécurité. Samir me fait visiter cette maison fantôme, ce bâtiment officiel qui manque de tout et surtout de personnel. Le salon officiel, avec des tapis dans tous les recoins, lui sert de salle de sport pour exercer sa passion avec un des gardiens: le badminton. Le bureau du comptable lui sert de chambre, qu'il a décoré à son goût. Elle ressemble à celle d'un étudiant, désordonnée. Autour du téléviseur lcd, une playstation, un vieux lecteur de dvd et des magazines pakistanais avec quelques pin-ups. Des raquettes de badminton sont posées au pied du lit... à côté d’une Kalachnikov. « Tu veux la prendre » ? « Non, vas y toi ! ». Il s’assit sur son lit en rigolant et se saisit de son arme, chargée. « Tu sais, nous on aime bien les Français. On vous tuera en dernier » lance-t-il dans un éclat de rire. Je pose un genou par terre, je le prend en photo avec mon petit appareil. Un souvenir d’un instantané. Un moment où la surprise, la trouille, le rire se mélangent à vive allure et donnent ça :

Je demande à Samir si je peux emporter un poster en souvenir. Scotché à une vitre, l’un d’eux montre une famille afghane refusant par un grand « non » de la main de cultiver de la drogue, représenté par une fleur de pavot aux dents longues et baveuses. Nous sortons de la maison... le quartier est encerclé par les militaires mais l’atmosphère est calme: les enfants jouent dans la boue, réclament des stylos « Pen, pen pen ! ».

Sébastien, le photographe, réfléchit à plusieurs images, cherche la lumière de fin d’après-midi qui jaunit les murs, apporte de la chaleur aux visages. Nous allons bientôt repartir. Sur la route, une voiture que l'on soupçonne de transporter des explosifs dans le coffre bloquera notre détachement pendant une vingtaine de minutes. On me laisse juste sortir la tête de la trappe quelque secondes. Un paysage lunaire encore une fois, un attroupement au loin autour d’un petit pick-up Toyota. Fausse alerte. Le convoi reprend la route.

Ce soir, en rentrant à Tora, je discuterai avec quelques soldats ch'tis dans les dortoirs puis à l’ordinaire. Le repas, m’a t on dit, sera très copieux. C’est pour beaucoup le meilleur moment de la journée. L’entreprise turque qui gère actuellement le ravitaillement maitrise plutôt le sujet.

Nous dormons dans un bunker chauffé au groupe électrogène. Demain nous fairons connaissance avec le « Padre », aumonier du bataillon français, un homme pieux et dynamique dont nous collerons aux rangers jusqu'à notre départ : notre troisième sujet de reportage.