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Billet de blog 30 janvier 2010

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PengYou, son fils et le Tibet

Je ne connais pas son nom. Il ne connaît pas le mien. On s’appelle « PengYou », qui veut dire « copain », en mandarin. Hier je suis allé le voir avec deux verres à pied et une bouteille de vin. Un honnête cabernet sauvignon français acheté au Pizza Hut de Guomao. Il m’a regardé intrigué, a enlevé ses gants et descendu son godet en trois secondes, en criant « gambei !» pour trinquer cul sec mais je sais bien qu’il n’aime pas ça.

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Je ne connais pas son nom. Il ne connaît pas le mien. On s’appelle « PengYou », qui veut dire « copain », en mandarin. Hier je suis allé le voir avec deux verres à pied et une bouteille de vin. Un honnête cabernet sauvignon français acheté au Pizza Hut de Guomao. Il m’a regardé intrigué, a enlevé ses gants et descendu son godet en trois secondes, en criant « gambei !» pour trinquer cul sec mais je sais bien qu’il n’aime pas ça.

Ca les a bien fait marrer les voisins car ils ne l’avaient jamais vu boire d’alcool, ni même fumer une cigarette. C’est sans doute pour cela qu’à 58 ans, PengYou en paraît huit de moins. L’homme est le cordonnier du quartier. Il travaille dehors, au pied d'un petit immeuble en briques; lequel comme tous les autres de la rue, est destiné aux retraités du ministère des affaires étrangères chinois.

Depuis dix ans donc, il est cordonnier, couturier, copieur de clés et de tampons. Il a ressuscité mes vieux jeans troués et une paire de chaussures. Il aussi changé la serrure de ma boîte à lettres, pour 10 yuans (pose comprise) en refusant un pourboire.

Je ne sais pas comment on est devenu copains. Peut être le jour où je lui ai présenté mon amie. Ca l'a plu. Lui m’a montré une photo de son fils unique, cachée sous sa vieille machine à coudre Singer. Un portrait embué, sur un fond bleu vif… rétro. Son fils est un colosse de 23 ans, célibataire et militaire de carrière. Il m’explique qu’il est en faction au Tibet comme « policier armé », le terme approprié pour les soldats chinois en opération intérieure.

Je ne suis pas encore allé au Tibet, mais j’en ai vu beaucoup des gaillards comme lui, à Urumqi (Xinjiang), l’été dernier. Ils sont des dizaines de milliers, à l’entrée des magasins ou des mosquées, à chaque croisement, à faire le pied de grue, impassibles, de jour comme de nuit. Un sale boulot devenu à la longue très impopulaire aux yeux des habitants, Hans compris. Je lui demande s’il reçoit des nouvelles de son fils de temps en temps. « Oui », répond-t-il, « par courrier ». Il se dit confiant, surtout depuis que le garçon a été déplacé vers Lhassa.

« Il paraît que c’est beaucoup plus calme en ville qu’à la campagne » dit-il. Pourtant, son fils ne rentrera pas à Pékin pour les fêtes du Nouvel An chinois. PengYou n’en dira pas plus. Mardi, une brève dans le South China Morning Post évoquait une reprise des discussions entre Pékin et le Dalai Lama après 15 mois d’interruption.