Les rayons du soleil couchant apportaient une blondeur étincelante à la tourelle du fameux sous-marin, à peine émergé des flots.
Le célèbre navire de guerre allait enfin être arrimé dans le port...
Les badauds, prévenus largement par les réseaux dits sociaux, s’émerveillaient de tant de majesté : vers vingt heures, la scène ne pouvait être que grandiose. Du bleu, du blond et l’astre rougeoyant : tout un symbole…
A l’intérieur la Cheffe se maîtrisait au mieux pour ne point trépigner d’enthousiasme.
Cette troisième traversée allait – enfin - être la bonne. Contrainte de se taire pour faire meilleure figure, elle allait pouvoir exprimer toute sa vengeance.
Un dernière revue des effectifs et des opérations la rassurerait définitivement, depuis les salles des machines, jusqu’au mess des officiers, de la salle d’armement au périscope, du kiosque au poste sonar.
‒ Cheffe ! Cheffe, tout est fin prêt !
‒ Enfin, ça fait si longtemps qu’on l’attend ce moment. Cette fois-ci c’est vraiment pour de bon. On a super bien fait d’insister ; faut dire qu’en face ils ont été tellement divisés, amateurs, mauvais et cons…
‒ Cheffe ! Ça y est, toutes nos poubelles sont vidées !
‒ Parfait. C’est écolo ; et on n’a plus besoin des tracts de toutes nos promesses.
‒ Cheffe ! Il y a des gens qui nous attendent place de la Concorde, et aussi devant la statue de Jeanne d’Arc !
‒ T’en fais pas, il y en aura partout et surtout dans chaque ville et petit village, qui s’impatientent pour nous fêter comme des libérateurs. Ils étaient dans les bistrots, sur les ronds-points, au stade...partout, je te dis.
‒ Cheffe ! Des heurts sont annoncés devant l’Elysée ...et d’autres devant l’Assemblée nationale...
‒ Ecoute. A l’Elysée, c’est normal, puisqu’on va prendre la place des élites de tous bords, qui vont être délogés sans pitié. On en a assez…
A l’Assemblée, il doit y avoir des nôtres, que des nôtres !
‒ Mais alors cheffe, comment on va faire ?
‒ Ah, tu es bien trop naïf encore. Ceux à l’Elysée sont tous des peureux et des lâches.
Les autres sont tellement nombreux à être mécontents, en colère, à en avoir assez, qu’on est pour eux la dernière chance ! Les invisibles vont être écoutés, les malmenés vont se venger : ça en fait du monde qui n’osait pas se montrer. Des voisins, des proches, des ouvriers, des petits patrons, des retraités, et même des jeunes. Tu ne dois donc pas avoir peur ! Au contraire, ils vont s’enrôler dans un grand élan pour nous faire mettre de l’ordre dans tout ce bordel, depuis des années.
‒ Cheffe ! Mais la police est partout aux coins stratégiques !
‒ On n’a pas eu besoin de leur dire deux fois. Ils savent qu’à partir de maintenant, on ne leur fera plus d’histoires pour un petit tir manqué ou de trop, une bavure regrettable, un peu de virilité ici ou là. Ils vont l’avoir en vrai, avec moi, la présomption d’innocence !
‒ Cheffe ! Il y a des gens qui divulguent qu’on n’a pas voté des lois pour le peuple !
‒ Ouais, ça m’étonne pas, mais c’est une infime, infime portion de militants à la con, sans aucune audience. Inaudibles. Et puis, il est bien trop tard, personne ne les croira. Ça ressemble trop à de la basse propagande…
‒ Cheffe ! Les Services nous annoncent pas mal de vols supplémentaires en provenance de Moscou, de Tel Aviv. de Buenos Ayres. Et même de New York,
‒ Je vous avais prévenus : la vraie France attire !
Il y en a d’autres qui vont fuir comme des rats !
‒ Cheffe ! Sur les réseaux sociaux on vous voit sans arrêt avec vos chats...avec Kerhillio, votre mau égyptien de 3 ans...et même avec les deux bengals, Jazz, 3 ans et Gavroche, 7 ans.
‒ Enfin, tu vois: tout le monde a compris que j’étais la femme qu’ils attendaient et qui peut les représenter !
‒ Cheffe ! Des gradés déjà envoient des tweets de félicitations.
‒ Eux aussi ont enfin compris où était le camp de leurs intérêts. Maintenant, c’est enfin net !
‒ Cheffe ! On a maintenant presque toute la liste des 99 préfets à nommer dès que possible.
‒ T’en fais pas. Ces derniers jours on a bien dépassé ce nombre : il y a tellement de candidats !
‒ Cheffe ! Le Patronat aussi vous félicite !
‒ Il manquerait plus que ça avec toutes les garanties que je leur ai données et nos votes au Parlement européen !
‒ Cheffe, il y a des révoltes dans plusieurs prisons…
‒ Tu penses : ils sentent que plus personne ne les tient. On va mater tout ça. Les braves gens seront contents et rassurés.
‒ Cheffe ! On est pile pour le décompte des armes, en quasi en surarmement…
‒ T’inquiète pas, après les Arabes, on en a encore plein de monde à virer. Et puis il y a des tas de Français qui vont essayer de nous emmerder que notre stock ne sera pas de trop. Ça va dégager, je te le dis !
Ces morveux de gauche et des syndicats, ça suffit.
Tu ne dois pas t’inquiéter du tout : au contraire, il va falloir un peu contenir tous ceux qui ont une belle revanche à prendre contre tous ces tordus de pédés, trans, lesbiennes, wokistes, écolos, communistes, et j’en passe !
A 20 heures précises la télévision dévoilait le portrait du nouveau Président de la République française. Il n’était ni chauve, ni brun, ni bouclé.
C’était la première fois qu’une femme allait occuper la plus haute fonction. Et pas seule.
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