Luz est un petit village d'environ trois cents à quatre cents personnes situé à l'est de l'Alentejo à
deux pas de la frontière espagnole.
Je ne le connaissais pas il y a encore très peu de temps. Je savais depuis des années en
regardant une carte du Portugal qu'il y avait un barrage en construction, un barrage assez grand
faisant quelques dizaines de kilomètres de long.
Je m'y suis intéressé un peu, peu à peu, puis, avant un de mes voyages dans cette région qui est
celle où je suis né, j'ai voulu savoir un peu plus sur l'ouvrage, barrage d'Alqueva. J'ai appris que le
barrage a donné origine au plus grand lac artificiel d'Europe (250 km²), près de la moitié du lac
Léman en Suisse, avec la particularité d'être tout en dentelle ce qui fait que le rivage représente
une longueur de plus de 1.200 km !
Que de perspectives pour la région et la population !, je me suis dit. Des perspectives au niveau
de l'irrigation, du tourisme, de l'énergie. Puis j'ai commencé à imaginer l'Alentejo autrement : des
paysages différents et, à moyen terme, une modification du climat.
En approfondissant le sujet j'ai su alors qu'un village a été submergé et qu'à quelques centaines de
mètres de là un autre village a été construit à l'identique pour reloger les habitants. Ce village
s'appelait et s'appelle « Luz ». Un documentaire remarquable en DVD réalisé par Catarina Mourão
sous-titré en anglais porte le titre évocateur « Mon village n'habite plus ici ».
Les habitants du vieux village n'avaient rien demandé. Le projet les dépassait largement. La
construction du barrage avait été envisagée dès 1957. Il a fallu se mettre d'accord avec
l'Espagne et en 1968 l'exploitation hydraulique du tronçon international du fleuve Guadiana a été
attribuée au Portugal dans la perspective de la création du barrage. Des travaux préliminaires
ont démarré en 1975 et ont duré deux ans. De nouvelles études ont été menées et seulement en
1993 les autorités ont repris le projet. Des appels d'offres internationaux ont été lancés par la
Commission chargée du projet et deux ans après, en 1995, l'EDIA (entreprise de développement
et infrastructures de l'Alqueva) a vu le jour. L'ancien village serait submergé par les eaux du
barrage. La construction proprement dite du barrage a commencée en 1998.
Ses habitants, les « luzenses », n'avaient rien demandé - je le répète. Pourtant ils ont eu malgré
tout la chance d'échapper à ce qui s'est produit en 1972 avec la montée des eaux d'un barrage
construit dans le barrage des « Furnas » qui a englouti le village de Vilarinho das Furnas dans le
nord du Portugal Rien n'avait été prévu pour réinstaller ses habitants. D'autres temps ! Les
villageois ont été abandonnés à leur sort. Beaucoup d'habitants ont émigré, d'autres ont été
accueillis par des familiers.
Les temps ont changé. On est censé tirer des leçons du passé pour ne pas commettre les mêmes
erreurs. A la place du néant, à Luz un nouveau village est ressurgi et l'on a fait en sorte que les
villageois aient en contrepartie des maisons qui étant plus modernes pouvaient ressembler à
celles qu'ils ont occupé pendant des décennies dans une configuration similaire en bordure d'un
lac magnifique avec 4.150 hm³ d'eau !
Des maisons trop neuves, trop belles, peut-être, manquant d'âme, celle qui est restée à jamais
dans l'ancien village. « Le rosier blanc qui est le seul dans l'ancien village, un souvenir du temps de
ma grand-mère », c'est un homme âgé qui s'exprime ainsi. « Une cigogne qui quitte son nid quand
les eaux montent », dit un autre.
« Je suis née sous cette eau-ci. J'avais dix ans quand tout est arrivé. Les gens changent de
domicile, on construit des églises nouvelles, de nouvelles boulangeries, de nouvelles maisons, de
nouvelles rues. Ici tout a changé au même temps pour faire semblant que rien n'a changé », dit
une jeune fille dans l'introduction du D.V.D. « Mon village n'habite plus ici ».
Lors de l'inauguration du village, le 19 novembre 2002, Durão Barroso, premier ministre à
l'époque, actuel président de la commission européenne a déclaré : « Je suis très ému de visiter
le village de Luz, le nouveau village de Luz, après avoir connu l'ancien village de Luz, et de voir
comment les personnes envisagent maintenant le futur, le pari qui représente ce très beau village
de Luz ». Discours de circonstance qui aurait pu être fait par n'importe quel homme politique.
Au-delà des discours, j'ai fait le pari de connaître, de comprendre et je me sens solidaire des
villageois. Je vois les choses autrement qu'eux, de l'extérieur, je dirais. Cela est évident. Mais j'ai
« plongé » dedans. Peut-être est-ce dû à mes racines, je n'en sais rien. J'aperçois les
changements passés et ceux qui se produiront. Je me dis que le village de Luz n'est pas n'importe
quel village et qu'il m'intéresse énormément du point de vue sociologique et anthropologique. Je
ne suis pas insensible aux propos des vieux villageois. Je me sens proche d'eux comme de l'avenir
qui pourront bâtir leurs petits-enfants ou leurs arrière-petits-enfants dans une région que l'eau a
rendue encore plus belle.
La visite du Musée est édifiante. C'est un Musée qui va ancrer la mémoire au lieu, la mémoire d'un
espace et d'un temps disparus, qui va sauvegarder le patrimoine culturel matériel et immatériel
de la région, qui va servir comme lieu de formation et qui va potentialiser les nouvelles
opportunités apportées par Alqueva.
Je laisse ici mes voeux pour que dans ce lieu magnifique dans quelques années l'esprit du village
reste présent et intact et que l'on ne fasse pas l'erreur de le détruire, même si - ce qui est à
souhaiter - le développement économique surgisse pour le bien de tous.