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Billet de blog 9 avril 2020

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Le Covid-19, Antigone et la laïcité - par José Besprosvany

Alors que la pandémie du Covid-19 continue à s'étendre, des groupes religieux ont été à l'origine de regroupement qui ont provoqué des contagions massives. Plus encore, des prêtres continuent à braver les consignes des gouvernements au nom des lois qu'ils nomment divines. C'est l'occasion de redire haut et fort la nécessité d'adhésion aux valeurs de la laïcité pour garantir le vivre-ensemble.

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La pandémie mondiale que subit la planète plonge l'humanité entière dans une situation extraordinaire et, pour la plupart d'entre nous, tout à fait inédite. 

Les personnes qui ont vécu la deuxième guerre mondiale en font la comparaison : les nouvelles contradictoires, le confinement, l'incertitude rappellent à cette génération une époque lointaine très difficile.

Cette crise révèle ou agrandit des facettes de l'être humain, dans ce qu'il a de meilleur, mais aussi, ce qu'il a de pire. 

D'un côté, le dévouement du corps soignant, la solidarité citoyenne qui s'organise, les échanges sur les réseaux sociaux nous montrent une belle et lumineuse humanité. 

De l'autre côté, l'impréparation et les mensonges de nos gouvernements face à la pandémie, les parades médiatiques des dirigeants politiques et leur rhétorique douteuse qui utilise le Covid-19 pour asseoir, augmenter ou pérenniser leur pouvoir, l'inégalité économique et sociale entre les personnes ou entre les pays face à la maladie, tout cela est difficilement acceptable. 

J'espère, comme beaucoup d'autres, que cette pandémie rendra l'humanité entière consciente et 100% d'accord sur le fait que la santé est un bien commun non négociable qui doit être ou devenir, dans le monde entier, un service public destiné à l'intérêt général et non pas un business des hôpitaux, médecins et firmes pharmaceutiques affairés à faire du fric grâce à cette et à d’autres maladies et/ou problèmes de santé. 

Cette pandémie nous apprend, et c'est le motif de cet article, que la laïcité est également une valeur précieuse qui doit être enseignée, développée et disséminée de la manière la plus large et la plus vaste possible. 

Je m'explique. 

Au Ve siècle avant J.-C., Sophocle a écrit et représenté la pièce Antigone. Ce texte a été interprété et réécrit moultes fois, mais l'histoire reste en substance la même. Les deux fils qui ont succédé à Oedipe roi de Thèbes se disputent le pouvoir et s’entretuent durant une bataille qui les oppose. Le nouveau roi, Créon, décrète qu'Étéocle, qui a défendu la ville contre l'attaque de son frère, sera enterré selon les rites, tandis que le corps de Polynice, sera laissé, sur le champ de bataille, aux chiens et aux fauves pour être mangé. Antigone, trouvant cette loi injuste, enterre son frère et cette désobéissance conduit Créon à la condamner à mort.

En général, le personnage d'Antigone est représenté comme une figure de la désobéissance civile, face à la loi injuste de Créon. Pour les grecs de l'Antiquité, l'âme d'un corps sans sépulture était condamnée à l'errance perpétuelle et donc ne pas enterrer un être humain était impensable. 

Pourtant, la décision de Créon et la réaction d'Antigone peuvent être considérées d'un point de vue différent. Comme Florence Dupont le signale¹, Créon défend la raison d'État en voulant que sa loi soit un exemple. Antigone, de son côté, invoque les lois divines qui sont pour elle au-dessus de toute loi pour justifier son geste, sans se soucier des conséquences. Ce geste ne provoque pas seulement sa mort, mais aussi celle d'Hémon, son fiancé, et de la mère de ce dernier. Tous les deux se suicident. Créon et Ismène, soeur d'Antigone, sont voués à la solitude le reste de leur vie. La tragédie est accomplie.

Certains diront qu'Antigone ne désobéit pas uniquement poussée par ses croyances, mais que c'est surtout l'amour qu’elle porte à son frère et le sentiment d'injustice qui la font agir.  Éthique de la conviction ou éthique de la responsabilité² ? Pour moi, Antigone agit selon la première et néglige la deuxième. C'est mon avis personnel, certes discutable, mais la force d'un récit antique qui a traversé les époques se mesure aussi par la multiplicité des interprétations possibles et la résonance qu'elles sont susceptibles d'avoir avec notre monde contemporain.

Plus encore, si je prends Antigone comme point de départ à ma réflexion c'est parce que, quand j'ai monté ce texte en 2017, et lors des animations que j'ai réalisées dans les écoles du secondaire, je posais une question aux élèves : si la loi de l'État vous dicte une action et la loi de votre religion prône le contraire, quelle loi suivriez-vous ? À mon grand étonnement, une partie non négligeable des élèves répondaient sans hésitation qu'ils plaçaient la loi religieuse au-dessus de toute autre loi.

Aujourd'hui, l'interdiction des rassemblements religieux à cause de la pandémie est vécue pour certains comme une injustice et même comme une atteinte à la liberté religieuse.

Certainement pas toute, mais une partie de la propagation du Coronavirus a été causée par cette obsession mortifère de vouloir placer la loi et l'obligation religieuse au-dessus de la loi des hommes. La religion n'est certes pas la première cause de l'extension de la pandémie, mais un prétexte fréquent de désobéissance ou d'aveuglement citoyen qui a augmenté la contagion des populations.

A titre d'exemples, parmi beaucoup d'autres :

En Corée, plus de 60% des 8.200 cas du Covid-19 recensés en Corée du Sud le 16 mars 2020 sont liés à l’Eglise Shincheonji de Jésus, une organisation accusée par certains d’être une secte. Une de ses adeptes avait assisté à quatre cérémonies religieuses dans la ville de Daegu, devenue l’épicentre de l’épidémie, avant d’être diagnostiquée comme porteuse du virus. Cette congrégation religieuse a continué à célébrer des messes en dépit des appels du gouvernement à éviter tout rassemblement public et notamment religieux. Quarante nouveaux cas de contamination ont été confirmés au sein de cette Église, ont indiqué les autorités de la ville de Seongnam. Ils viennent s’ajouter aux six autres cas précédemment enregistrés.

En Israël, un des objectifs est le confinement des quartiers ultra-orthodoxes dans les villes israéliennes, qui ne le respectent pas. Les chiffres le montrent, ces quartiers sont devenus des foyers de contagion du coronavirus.

Aux Etats-Unis d'Amérique, le dimanche 29 mars, un pasteur pentecôtiste de Tampa (Floride), Rodney Howard-Browne, avait défié les interdictions de rassemblement en organisant deux offices dans son église géante,  “The River”. Il avait été brièvement emprisonné par les autorités du comté. Mardi 31 mars, Tony Spell, pasteur d’une autre église géante de Louisiane, la “Life Tabernacle Church”, située à Baton Rouge, a organisé une messe en dépit d’une citation à comparaître reçue dans l’après-midi pour six violations d’un décret du gouverneur démocrate, John Bel Edwards, contre ce type de manifestations publiques.  Le pasteur a dénoncé une atteinte aux libertés religieuses et affirmé qu’il ne céderait pas. "Nous avons le mandat de Dieu pour nous réunir et nous rassembler, et continuer à faire ce que nous faisons", a-t-il déclaré.

En Belgique, dans un article sur les mesures pour endiguer la propagation de l'épidémie de Covid-19 sur son site, l'Exécutif des musulmans regrette et prévient que dans ce contexte où l’affect et l’irrationnel l’emportent sur la raison, certains fidèles pourraient être tentés de se substituer à l’office établi, et ainsi ne pas suivre les consignes du confinement.

Il me semble donc que partout dans le monde, des gens placent la loi qu'ils appellent divine au dessus de la loi - que l'on trouve injuste - de l'État, et du bien commun. Cette attitude est à la fois catastrophique et inacceptable.

Il est donc essentiel de se pencher aujourd'hui plus que jamais sur la question de la laïcité et d’en rappeler les vertus, notamment celle de séparer la religion de l'État, tout en plaçant les lois de ce dernier au-dessus de toutes les autres, laissant la liberté à chacun de croire et d'exercer sa religion, ou de ne pas croire.

José Besprosvany est initiateur du projet européen Antigone 2.0 pour la promotion de la laïcité, notamment chez les étudiants du secondaire. 

¹Antigone de Sophocle, traduction de Florence Dupont, L'Arche - 2017

²Max Weber (1864-1920) distingue deux éthiques de l’action politique, l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité : ceux qui agissent selon une éthique de conviction sont certains d’eux-mêmes et agissent doctrinalement alors que l’éthique de responsabilité repose sur l’acceptation de répondre aux conséquences de ses actes.

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