Alex du Citron (avatar)

Alex du Citron

rédacteur freelance non-conventionnel et non-subventionné

Abonné·e de Mediapart

6 Billets

0 Édition

Billet de blog 1 avril 2022

Alex du Citron (avatar)

Alex du Citron

rédacteur freelance non-conventionnel et non-subventionné

Abonné·e de Mediapart

France 2022 : Les élections présidentielles ont un goût de vodka

Aussi surprenant que cela puisse paraître, et toutes proportions gardées, il existe des similitudes entre la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron de 2022 et celle menée par Vladimir Poutine en 2000.

Alex du Citron (avatar)

Alex du Citron

rédacteur freelance non-conventionnel et non-subventionné

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

France 2022 : Les élections présidentielles ont un goût de vodka

Aussi surprenant que cela puisse paraître, et toute proportion gardée, il existe des similitudes entre la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron de 2022 et celle menée par Vladimir Poutine en 2000.

Les élections présidentielles russes de l’an 2000

1999, Boris Eltsine est président de la Fédération de Russie. Un président vieux, malade et en disgrâce sur le plan économique, politique et médiatique. L’aspect positif du bilan du premier président russe élu1 demeure celle d’une ouverture à la démocratie, aux libertés, qu’elles soient individuelles ou collectives. L’aspect négatif est lié au passage fracassant à une économie capitaliste, le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population s’est alors effondré. Diplomatiquement, la Russie connaît une rétrogradation et quitte le cercle des grandes puissances. Eltsine mesure son impuissance et résigné, il se cherche un successeur.

La nomination de Vladimir Poutine

Au mois d’août 1999, il nomme un quasi-inconnu au siège de premier ministre. Vladimir Poutine avait pourtant déjà bonne presse auprès du président puisqu’il l’avait déjà désigné pour diriger le FSB, le service d’espionnage russe alors en total restructuration. Un personnage de l’ombre, inconnu du grand public. A sa nomination, sa côte de popularité est à l’image de celle de son mentor, elle tourne autour de 2 % d’opinions positives dans les sondages. Il assure au vieil ours qu’il poursuit le même rêve que lui : la mise en place d’un État démocratique et libéral.

Le 29 décembre de la même année, Eltsine décide de tirer sa révérence à l’aube du nouveau millénaire, il a son héritier. Il nomme Poutine président par intérim et se retire sur la pointe des pieds dans sa datcha familiale. Fin de règne somme toute baroque pour le premier président élu de toute l’histoire de la Russie. La raison de son désistement s’enracine dans les calculs politiciens d’un président qui se méfie surtout de ses opposants directs. Il ne s’aperçoit pas qu’il laisse entrer un loup dans la bergerie. Eltsine désire avantager son dauphin pour préserver le nouvel État démocratique de tout retour en arrière, le Parti Communiste Russe est alors en verve. Poutine a 6 mois pour organiser son élection et peut utiliser tous les rouages de l’État. La plupart des Russes ne s’occupent pas de politique ces jours-ci, mais des fêtes du nouvel an.

La campagne des élections présidentielles de Poutine en 2000

Pour cette élection Poutine met en place une équipe convaincue du bien-fondé de sa future victoire. Des journalistes, des économistes, des sociologues, des universitaires, un véritable brain-trust se constitue autour de lui. La campagne n’est pas menée par le candidat mais par les choix et les orientations de ce comité. Poutine est au pouvoir et il utilise son image d’homme d’État pour asphyxier ses opposants. La présidence devient une tribune, il reçoit des hommes d’État des grandes puissances étrangères comme Bill Clinton ou Tony Blair. Il insiste médiatiquement sur ce regain diplomatique et cultive une stature internationale. Survient l’impensable, une série d’attentats à Moscou. Ils sont revendiqués ou attribués aux indépendantistes Tchétchènes. Poutine se lance dans une rhétorique guerrière et une répression violente contre les indépendantistes en Tchétchénie. Il obtient une couverture médiatique magistrale et prononce une phrase qui le rendra célèbre : « nous les traquerons jusque dans les toilettes s’il le faut! ». La campagne est grandement perturbée par cette situation conflictuelle. L’émotion domine dans la population. La vengeance et la peur sont mauvaises conseillères surtout quand elles sont amplifiées à des fins électorales. La guerre devient le leitmotiv de la campagne électorale.

Le candidat Poutine ne présente pas de programme et ne parle alors de rien d’autre que de ce qu’il entreprend au gouvernement et pour cette guerre. Son credo : « pas de paroles, des actes ! ». Il reproche à ses adversaires d’avoir de belles paroles déconnectées de la réalité. Que lui seul connaît, étant dans les arcanes du pouvoir politique. Il refuse tout débat direct avec les autres candidats. Il les méprise ouvertement et médiatiquement, n’ayant aucune raison de s’abaisser au niveau d’illuminés ou d’incapables avides de pouvoir. Les candidats crient au scandale, à l’absence de décence démocratique. Rien y fait. Enfin si ! Il accepte le débat pour le second tour.

Il n’y a pas de second tour. Au soir du premier tour, il obtient 51 % des voix exprimées. Les électeurs Russes ne lui en n’ont pas tiré rigueur. Plus de la moitié des citoyen-ne-s se sont abstenu-e-s. Les dernières élections libres sont passées sous leur nez, vu la régularité du rythme de la démocratie russe, les prochaines auront lieu au prochain siècle. Ainsi s’achève le court cycle démocratique de la Russie. Peu le savent mais certains s’en doute. Poutine était un agent fidèle du KGB, il n’a pas digéré l’effondrement soviétique et il a soif de revanche.

Poutine est donc élu dès le premier tour. Il ne remerciera pas, ni le soir même, ni jamais le président sortant qui lui a pourtant offert ce trône. Suivent des élections Législatives déconsidérées après de nombreuses preuves de bourrage d’urnes. Elles lui offrent la majorité au Parlement. Petit à petit, il transforme lois et constitution puis déroule la lente mais indéfectible instauration du pouvoir autocratique qu’il détient à présent. De son équipe initiale, il n’en reste qu’un auprès de lui, Dimitri Medvedev. Les autres sont soit dans l’opposition, soit exilés, soit assassinés.

La nomination d’Emmanuel Macron et son élection en 2017

La nomination d’Emmanuel Macron offre une légère première similitude. Il est nommé ministre de l’économie par un président qui s’écroule et qui cherche des alliés, jusque chez son « ennemi, La finance ! ». Lors des élections qui suivent, François Hollande tergiverse mais ne se présente pas à sa propre succession. Un boulevard s’offre au petit nouveau, génie « en même temps » des médias et de la com.’. A sa gauche, fument les cendres d’un gouvernement socialiste qui a dégoûté pour toujours tou-te-s ses sympathisant-e-s. A sa droite, un candidat discrédité par des pratiques allant du népotisme à la corruption. Aux extrêmes, malgré les apparences, aucune grenouille ne pourra gonfler au-delà de 25 %.

Son mouvement est une réussite. En Marche rallie tous et toutes les arrivistes séduit-e-s par cet élan. L’opportunisme est une seconde peau dans ce milieu. Il est rejoint par les « jeunes » des partis politiques, les seconds couteaux aux dents longues, les impatients qui veulent sauter le tour de leurs aînés. Le pouvoir, ils le veulent jeunes. Comme tous les jeunes, comme ceux de 68. Les temps ont changé et le monde du 2.0 est en phase avec le candidat disruptif. Il rassemble en récupérant les « modérés » des deux grands partis historiques puis les met à mort. Macron est élu au premier tour avec 24 % des voix. Il n’y aura pas véritablement de second tour, la candidate du FN, trop clivante et de surcroît inapte à discourir, ne fait pas le poids.

Son refus de débattre et sa posture présidentielle lors des élections de 2022

En 2022, la campagne électorale de Macron a bien changé. Et son équipe aussi. Une partie du masque est tombé. Son mandat le place généreusement à droite pour les opinions venant de la gauche. Et la droite n’est pas contre sa politique. Il désire rester « avec vous ». Il ne peut pas et ne souhaite apparemment pas s’appuyer sur son bilan, ni sur sa sympathie. Il a cependant un avantage sur la précédente élection : la présidence.

Le président sortant s’appuie sur les évènements intérieurs mais surtout extérieurs qui se succèdent et que son équipe de campagne sait mettre en scène. Quand les médias parlent de lui, c’est pour présenter son action. La communication du candidat-président appuie et joue sur la stature, la responsabilité, l’activité. La guerre en Ukraine prend toute la place médiatique et étouffe toute la campagne. La présidence de l’Europe et la guerre en Ukraine lui permettent d’asseoir son image et son envergure européennes et internationales auprès de ces concitoyens.

Survient la seconde similitude, en partie appuyée par la situation guerrière en Ukraine qui n’a dans les opérations militaires aucune concordance. Le traitement médiatique de ses opposants est démocratiquement préjudiciable. Lui et « les autres ». Les candidat-e-s ont leurs émissions à elles et eux, font leur campagne entre elles et eux, parlent entre elles et eux, rivalisent entre elles et eux. Ils restent à côté. Macron sait jouer de tous ses avantages. Il ne se risque pas au débat. Rien à gagner, tout à perdre. Bien sûr que c’est un déni de démocratie, mais c’est légal, dans les règles. Comme lui se plaçant au-dessus de ceux et celles qu’il juge être seul-e-s dans une mêlée indigne de lui. Lui, « LE » président les toise de son poste présidentiel.

L’équipe de Macron et lui-même, savent-ils qu’ils sont en marche dans les pas de Poutine ?

Alexandre Sourbier Mjahed

www.sedebloguerlecitron.com

Source principale sur la campagne de Vladimir Poutine, le Documentaire « Poutine, l'irrésistible ascension », Vitaly Mansky, 2018. Visionnable sur le site d’Arte.

1Les élections l’ayant mené au pouvoir ont également eu un goût de scandale, mais c’est une autre histoire.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.