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Billet de blog 29 janvier 2024

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Enquête autour du mouvement social agricole

Une enquête pour étudier le mouvement social des agriculteurs qui bloque depuis quelques jours les routes françaises en cette fin janvier 2024. Le mouvement dénonce une corde qui les étouffe, alors nous sommes partis à Cordes-sur-Ciel afin d’y examiner les conditions de cette asphyxie. 

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

par Alex du Citron

Le Déblog’Citron est reparti en campagne, pas pour faire de la politique, mais pour étudier le mouvement social des agriculteurs qui bloque depuis quelques jours les routes françaises en cette fin janvier 2024. Dénonçant une corde qui les étouffe nous sommes partis à Cordes-sur-Ciel sur son petit marché afin d’y examiner les conditions de cette asphyxie. Nous avons rencontré des producteurs et exploitants afin d’évoquer pour vous, « en circuit court et direct », leurs considérations sur le mouvement actuel.

Les médias « conventionnels » donnent la parole aux syndicats majoritaires et aux présents sur les sites de blocage, FNSEA et Coordination Rurale, d’orientation droitière, libérale pour le premier, plus protectionniste pour le second. Les revendications qui sont relayées par les médias « subventionnés » relèvent un rejet d’une disproportion de normes imposées par l’UE ou pas l’État français notamment sur l’utilisation de produits phytosanitaires, d’un retour à la mise en place de haies ou de la question de terres mises en jachère afin de les reposer. D’autres évoquent le prix du gasoil, carburant nécessaire aux tracteurs pour des surfaces exploitées toujours plus étendues ou le prix des produits chimiques rendus nécessaire sur des terres surexploitées et souvent devenues stériles. D’autres encore sur les prix de vente des productions dans les réseaux de grande distribution qui ne représentent pas la valeur réelle de la production agricole, enfin l’importation de produits qui ne respectent pas les normes imposées aux agriculteurs français. Les questions soulevées touchent donc à un modèle de production et d’exploitation et un modèle de société qualifiés de « conventionnels » relatifs à une « révolution verte » opérée dans les années 1950 et poussée à son firmament dans les années 1990-2000.

Nous avons opté pour donner la parole aux absents et aux silencieux de ces lieux. Il s’avère que sur le petit marché local, tous ne partagent pas totalement cet état d’esprit ni cet état des lieux. Nos informateurs du jour exercent pour la plupart en couple ou en solo. Ces femmes et hommes qui se sont confié-e-s élèvent des poules pour leurs œufs, des brebis pour leur lait, cultivent des légumes, des blés pour faire du pain ou des vignes pour du vin. S’ils-elles étaient présents sur ce marché, c’est qu’elles et eux ont opté pour le circuit court et la vente locale, ici mais aussi sur d’autres marchés ou foires, ce qui n’est pas représentatif de la grande majorité des exploitants agricoles. Et qu’elles-ils ne sont pas en train de bloquer une route ou un rond-point. Toutes et tous sont affiliés à un culture relevant de la norme Bio et certain-e-s détiennent le label Nature et Progrès. La plupart ne sont pas syndiqué-e-s et s’ils-elles le sont, c’est auprès de la Confédération Paysanne, plutôt orientée à gauche et écologiste. Ils ne sont pas non plus toutes et tous subventionné-e-s. S’ils le sont, c’est justement car ils sont en Bio et qu’il existe une maigre compensation pour leurs efforts, qui les aide dans leur exercice. Également parce qu’aucun éleveur ne pourrait survivre sans les aides de la PAC qui s’élèvent autour de 13000 euros annuels pour le couple que nous avons rencontré.

Leurs paroles partagent ce malaise agricole commun depuis des décennies dans les campagnes françaises, européennes mais aussi internationales. Pourtant si trouble il y a, les raisons avouées sont parfois fortement éloignées selon les méthodes envisagées. Il les rassemble toutefois sur un métier qui n’est pas plus dur qu’avant, mais dont la rentabilité s’est fortement réduite et donc de la valeur des productions. Ce n’est pas pour devenir riche qu’elles et ils se sont lancé-e-s dans ces activités mais par affection ou du travail de la terre ou des bêtes, pour une profession au grand air au contact d’êtres vivants, qu’ils soient végétal ou animal. Les divergences sont marquées selon le mode de production et les formes de vente. Si nombre d’agriculteurs vivent davantage des subventions que des ventes, ce n’est pas le cas de nos rencontres. Pour rappel, les subventions de la PAC portent sur la superficie, et quand elle est réduite, elles le sont d’autant. Aussi est-ce la preuve que les exploitations des personnes rencontrées sont relativement réduites. Ce qui n’empêchent pas que toutes ont du mal voire n’arrivent pas à dépasser l’équivalent d’un SMIC pour tout revenu de leur activité. Aucune ne compte ses heures qui s’avèrent bien supérieures à 35 ou même 40 heures et donc bien loin d’une juste rétribution des efforts concédés. Jeunes ou plus vieux, les corps souffrent, les dos craquent, les genoux grincent et les mains saignent. Toutes et tous sont endettés, certains pour avoir acheté des terres, d’autres des bâtiments nécessaires voire pour les deux. Les cultivateurs-trices qui s’en sortent mieux sont les plus âgés qui ont investi au fil du temps dans des habitations à une époque où la spéculation immobilière n’était pas celle du présent et dont la location leur permet une vie plus aisée. La mise en place de petites structures leur permet d’avoir peu de dépenses, dépenses actuellement tirées vers le haut par les augmentations de l’électricité ou du gasoil. Quant aux intrants chimiques, ils n’en ont que faire puisqu’ils se se sont orienté-e-s sur un culture Bio. C’est là l’un des différends qui les opposent aux révoltés. Ils ont fait des choix réfléchis sur les dimensions, les productions et les méthodes qu’ils ne partagent pas avec les « conventionnels ». Leurs pratiques de culture les rapprochent davantage des milieux écologistes et leur ramène une certaine fierté. Des méthodes qui les éloignent de toute responsabilité dans la pollution des campagnes, des terre comme des rivières. Pour rappel, l’agriculture est l’un des principal pollueur de l’environnement de par l’utilisation sans cesse croissante de produits chimiques que les français-e-s et les animaux retrouvent dans leurs sang et leur corps, produits participants à la multiplication des cancers et des problèmes sanitaires liés à l’endocrinologie. Dont les agriculteurs sont les premières victimes. Ils se retrouvent ainsi bien loin des considérations des membres de la FNSEA dont ils reconnaissent aux dirigeants une grande part de la responsabilité de la situation actuelle. Si nos rencontres du jour ne sont pas ouvertement politisées, certain-e-s dénoncent la schizophrénie de ces producteurs qui revendiquent une dérégulation du marché tout en souffrant de ce libéralisme. Libéralisme auquel ils participent, critiqué quand il les dessert mais réclamé quand ils peuvent en tirer des avantages, lorsque les cours boursiers de Chicago les favorisent, leur permettant de spéculer sur certaines productions. Jusque sur le cours du foin qui, en fin de période estivales, s’envole du fait des sécheresses de ces dernières années et mets les petits exploitants en difficulté. Aberration qui se retrouve dans les méthodes de production. Pour la petite histoire, la principale région productrice de tomate est la Bretagne et demandez à un Breton s’il fait pousser de belles tomates dans son jardin, il risque davantage de se moquer de votre question que de vous en montrer. C’est donc sur ce marché davantage une question de juste prix des ventes en fonction du travail effectué. Or en circuit court et local et de saison, la qualité est supérieure mais pas forcément les prix. En effet, cette caractéristique permet de réduire des prix accrus par les centrales d’achat, le transport et de fixer leur prix eux-même. C’est un choix que le consommateur approuve mais il doit se lever plus tôt le week-end.

Grâce à ces rencontres, nous comprenons mieux également les tentatives de récupération politique et syndicale. Les loups de la politique dominante que l’on retrouve majoritairement du fait des élections sur les bancs de la droite ou de l’extrême-droite de l’Assemblée Nationale, s’approprient davantage le discours qui cherchent dans l’UE et l’écologie un bouc-émissaire plus simple que la dénonciation d’un système inégalitaire et injuste, mis en place et défendu par les tenants du libéralisme et du productivisme. De même, des critiques peuvent être marquées à l’encontre de la mécanisation, de la taille des tracteurs, de l’engouement pour la modernité de certains pour les nouveautés numériques permettant des liens satellitaires et une réduction de la main d’œuvre nécessaire. Main d’œuvre parfois exploitée par les abus de certains dans l’emploi de personnels étrangers ne détenant pas les droits des nationaux et permettant une marge non-négligeable. Il s’agit également de questionner le modèle éducatif agricole actuel, tout comme les capacités et le choix pour celles et ceux qui reprennent les exploitations de leurs parents, reprenant tragiquement à leur compte un modèle productif parental en crise ainsi que les dettes qui les étouffent tout autant.

C’est donc pour nous, un système qu’il s’agit de revoir mais nous avons bien conscience que ce n’est pas lorsque un être a faim que l’on essaie de l’instruire. Encore faut-il qu’il le désire. Nous ne pouvons pas non plus faire l’économie de la responsabilité des citoyen-n-e-s, ni des consommateurs dans cet état de fait. Ni leur hypocrisie ! Si réellement 82 % des français-e-s sont sympathisants de la situation vécue par les agriculteurs, qu’ils rejoignent les marchés, les circuits courts et n’engraissent pas les tenants de la grande distribution. C’est davantage on le voit une question de société dont il est question et nous voyons tristement que nous sommes loin dans ce pays à partager ces vues.

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