Pourquoi le vote à droite n’est en aucun cas un bouclier face au Front National
Le mouvement ouvrier, en s’affaiblissant, semble avoir perdu sa mémoire collective. On a refermé les livres. Les acquis théoriques de notre classe sont portés par une minorité. C’est la mode du zapping et du buzz. Comme si le passé n’avait rien à nous dire du temps présent. Le fascisme est devant nous et nous sommes comme frappés d’amnésie. Mais qu’est-ce que le fascisme et comment le combattre ?
Pour les partis de la gauche institutionnelle, le monde semble s’organiser en cercles concentriques : selon eux, il y a la « famille » politique (le parti), les alliés électoraux des deux camps respectifs de la droite et de la gauche, et un troisième cercle commun à tous : la République. Au delà de ce troisième « cercle républicain », c’est pour eux comme un saut dans la barbarie et la violence « des extrêmes ».
Comme s’il la barbarie n’était pas déjà présente dans la « lepénisation des esprits » qui gagne une bonne partie de la classe politique et des médias ! Et à la lepénisation des esprits répond sur le terrain économique une forme de « lepénisation des profits », comme le montre la violence cynique du capitalisme ultra libéral en Grèce, au Portugal et en Espagne. Les guerres néocoloniales et impérialistes, en Irak, en Afghanistan ou dans la « Françafrique », entrainent quant à elles une perversion et un grave discrédit de nos valeurs humanitaires : elles sont une forme de « lepénisation de la morale ».
Non, la barbarie ne commence pas au sortir des portes de notre belle république bourgeoise… ! Il y a bien une continuité entre la démocratie capitaliste en crise et le fascisme. Pereira prétend est un roman d’Antonio Tabucchi, écrit avec le style de la froideur objective d’un rapport de police. Il relate le moment du passage du Portugal à la dictature fasciste de Salazar. Il exprime très bien le fait qu’il y a eu parfois un glissement silencieux de la démocratie bourgeoise en crise au fascisme le plus brutal.
Le danger extrême ne commence pas au-delà du troisième cercle de la démocratie bourgeoise : il est déjà présent bien avant, dans les trahisons et les capitulations de ceux qui piétinent les valeurs de la gauche et la volonté populaire. Au lieu de ce « front républicain » qui ne fait qu’aggraver le découragement de tous ceux qui veulent encore le changement, il faut organiser la riposte la plus ferme contre ces capitulations pour dire, ici et maintenant : pas en notre nom, monsieur Hollande !
Ce qui s’est passé au premier tour des municipales n’est qu’un avant goût de ce qui nous attend aux présidentielles. Avec la division de la gauche se réclamant de l’anti capitalisme et l’appel à « l’union sacrée républicaine » avec la droite, on va droit dans le mur.
Aujourd’hui à Perpignan, nous rejetons la prétendue « discipline républicaine » qui voudrait nous pousser à un vote masochiste et démobilisateur en faveur d’un vieux nostalgique de l’OAS, Pujol, au nom d’un « front électoral républicain ». C’est dans les luttes qu’il faut construire le front anti fasciste, contre le FN d’Alliot et la droite extrême de l’UMP Pujol.
Le grand mérite de la candidature de Stéphanie Font à Perpignan a été de faire entendre cette exigence d’unité et d’indépendance dès le premier tour des municipales.
Nous n’avons jamais dit que « dans la nuit du capitalisme, tous les chats sont gris ». Non, ils sont aussi roses, bleu police et les bruns sont bien sûr les plus dangereux. Il y a des niveaux dans la violence du capital : on peut se prendre un tir de flash ball dans la figure et perdre un oeil comme notre camarade sidérurgiste d’Arcelormittal. D’aucun diront que c’est tout de même mieux que de tomber entre les pattes des tortionnaires nazis… Soit… Mais quand on est contre la torture, on ne vote pas « flash ball » pour se protéger des nazis ! Voter pour la droite au nom de la « discipline républicaine », c’est au mieux se tirer une balle dans le pied.
Oui il y a bien deux camps, mais pas celui des « modérés de la république » et celui de l’extrême droite. Non, il y a le camp des exploités et celui du capital. Et c’est bien cela que veulent masquer les leaders de droite et le « socialiste » Valls qui, d’une même voix, parlent du « combat démocratique contre tous les extrémistes », y compris celui de l’extrême gauche !
La vérité, c’est qu’il n’y pas de frontière infranchissable entre la droite et l’extrême droite (Pujol à Perpignan, Médecin à Nice et tant d’autres). Il n’y a pas de frontière infranchissable entre la démocratie libérale et la barbarie fasciste. Derrière l’hypocrisie de ses discours humanitaires, la république coloniale française est barbare en Afrique, elle est barbare contre les Sans papiers victimes des frontières de l’Europe de Shengen, et elle est barbare aussi quand elle détruit les acquis de civilisation d’un siècle de luttes ouvrières, retraites, santé, service public, laissant sur le carreau tant de travailleurs pauvres. Ici même, à Perpignan, elle est inhumaine quand Pujol se vante (sur une radio locale entre les deux tours), d’avoir démantelé un camp de Roms et d’être prêt à récidiver. Elle était barbare ici même à Perpignan cet hiver quand dans les rues le soir, il fallait détourner les yeux devant des SDF couchés par terre et transits de froid.
Bien sûr, il y a des degrés dans la barbarie. Elle a plusieurs visages et la trogne raciste et sexiste du Front National est bien la plus haïssable de toutes.
Mais la démocratie capitaliste sépare la société en deux camps par une frontière de classe. Notre camp est celui des opprimés et des exploités dont il faut éclairer et diriger la colère contre l’adversaire commun. Notre adversaire, c’est l’hydre capitaliste, monstre à plusieurs têtes : tête de politiciens de droite, de la fausse gauche (qui trahit sous nos yeux la cause du monde du travail), tête du Front national (qui attend son heure pour frapper). On ne fait pas l’alliance avec des têtes de l’hydre contre celle qui est la plus détestable. On les combat toutes ensemble en rassemblant les forces du monde du travail, des chômeurs et de la jeunesse. On ne vote pas pour Pujol et sa « droite extrême » contre l’extrême droite d’Alliot : on appelle les nôtres à les combattre tous les deux.
La leçon de Février 1933 est bien oubliée … La crise, la montée des organisations fascistes, la tentative putschiste des ligues fascistes le 6 février 34, face à des partis et des syndicats ouvriers divisés. Puis,venant de la base, la riposte ouvrière qui s'impose dans l'unité. Les cortèges syndicaux se rassemblèrent dans un grand front unique des travailleurs contre le fascisme. Et cette réponse unitaire stimula les luttes ouvrières et conduisit à la grève générale de juin 1936. Mais à l’époque déjà, les démons du réformisme et de la collaboration de classes étaient les plus forts : le front unique ouvrier fut dévoyé sous le Front Populaire en front électoral avec la bourgeoisie « de gauche » du vieux parti radical. On gommait les barrières de classe pour en dresser une autre : contre les forces de la gauche anticapitaliste qui voulaient alors renverser le système, comme les ouvriers de l’Espagne républicaine.
Notre mémoire collective nous a fait trop souvent défaut quand il fallait comprendre ce qui nourrit le fascisme et les moyens de le combattre. Il y a eu tant de capitulations, tant de virages et de couleuvres avalées. Le PS profite aujourd’hui de cette amnésie entretenue. Valls peut renvoyer dos à dos « l’extrême droite et l’extrême gauche ». Il sait pourtant que le grand Jean Jaurès qu’il n’ose pas attaquer, était lui même classé à l’extrême gauche.
Aujourd’hui, le PS nous appelle au rassemblement de la droite, de la gauche et de tous les « modérés » de la république. On a oublié que c’est justement ces « modérés de la république » qui votèrent les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.
Non, nous ne voterons jamais avec la droite. Nous sommes toujours favorables à un vote d’union la plus large à gauche, mais sur la base d’une dénonciation clairement anticapitaliste de ce gouvernement Hollande et de sa politique de droite. Quant aux fascistes, nous savons qu’ils sont toujours, en temps de crise, le dernier rempart de la société capitaliste. Nous devrons les combattre, dans la rue, dans les luttes tous ensemble. Il est plus que temps de mettre de l’ordre dans nos idées et de retrouver la mémoire des luttes. Unité anti fasciste et anticapitaliste la plus large oui, mais autour d’un plan d’urgence contre la politique antisociale du gouvernement, en reprenant les exigences vitales portées par toutes les luttes : celles du mouvement social, des salariés, des chômeurs, de la jeunesse, des retraités, des luttes contre toutes les formes d’exclusion ou la défense de l’environnement. Tous ensemble, il y a urgence ! No Pasaran !
J. P, syndicaliste cheminot