Il n'est nullement paradoxal de soutenir que tout vote qui s'est porté sur Ségolène Royal au premier tour de la dernière élection présidentielle était en réalité un soutien à l'élection de Nicolas Sarkozy au second tour. Non seulement cela n'est pas paradoxal, mais c'est parfaitement exact, à moins de refuser aux sondages toute valeur prédictive. Le raisonnement qui permet de prouver la vérité de cette assertion est le suivant: d'après les sondages, le seul candidat capable de l'emporter contre Nicolas Sarkozy au second tour était François Bayrou; en revanche, Ségolène Royal était donnée largement perdante au second tour, et les sondages ne se sont pas trompés. Par conséquent, tout électeur qui rejetait Nicolas Sarkozy plus que tout autre candidat n'avait qu'un seul choix rationnel possible au premier tour: voter François Bayrou. Tout vote différent de celui-ci au premier tour ne signifiait certes pas un vote de soutien à Nicolas Sarkozy, mais revenait à un soutien de fait. Ce raisonnement, pourtant difficilement contestable, beaucoup de mes amis dont les convictions politiques sont à gauche n'aiment pas l'entendre. Parce que François Bayrou est centriste, il n'est pas à gauche, or un électeur de gauche vote très souvent comme un catholique va à la messe: sans beaucoup réfléchir à ce qui motive son vote, si ce n'est qu'il vote "à gauche". On se souvient combien il a été douloureux à certaines bonnes consciences de gauche de voter Chirac en 2002, pour ne pas voter Le Pen. Certains ont dit aller voter "en se pinçant le nez", d'autres, plus intelligents encore, à l'instar d'un prétendu philosophe dont je ne donnerai même pas le nom, ont clamé leur refus de voter à droite pour faire barrage à l'extrême droite (ce même "philosophe" a dit sur une radio publique: "après tout, c'est Mitterrand qui a fait monter l'extrême droite, qu'on ne me demande pas maintenant de soutenir Chirac". Sans commentaires.) . Ce sectarisme motivé par des sentiments plus que par des raisonnements est regrettable. S'il n'avait pas été une attitude aussi répandue dans le peuple que l'on dit "peuple de gauche", l'élection de François Bayrou en 2007 aurait très probablement profondément modifié le paysage politique français. On peut penser que le PS aurait explosé et se serait recomposé, ce qui aurait été plus sain que cette implosion que ses dirigeants cherchent à dissimuler.
Certains hommes politiques lucides et courageux, à gauche, ont vu juste pendant la campagne et ont plus ou moins clairement appelé à un ralliement derrière François Bayrou. Michel Rocard ne l'a pas dit clairement, mais il l'a pensé très fort. Daniel Cohn-Bendit, dont on peut saluer l'esprit vif et indépendant, a été un des rares hommes politiques à avoir été clair sur ce sujet. Il a dit haut et fort ce que tout le monde savait: si l'on voulait éviter la politique de Nicolas Sarkozy, il fallait soutenir Bayrou. Daniel Cohn-Bendit est un homme pour qui j'ai beaucoup de sympathie. C'est un esprit libre et intelligent. Je regrette cependant que; par un calcul qui ne lui ressemble pas, il manque de constance et de suite dans les idées sur ce que j'appelle "l'affaire Bayrou-Sarkozy". Depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, tout se passe comme si la donne avait brusquement changé et l'on voit Daniel Cohn-Bendit attaquer François Bayrou plus vigoureusement que n'importe quel autre candidat. Pour quelle raison? Non par sectarisme politique, non parce que François Bayrou est un homme "du centre", car on sait que le candidat Vert est pragmatique et qu'il peut très bien appeler à une alliance avec la droite allemande, par exemple, si cela peut servir les revendication du parti écologiste. Non, la raison est ailleurs, elle réside dans le fait que François Bayrou "syphone" l'électorat de Cohn-Bendit (voir l'article de Mediapart sur la question:
http://www.mediapart.fr/journal/france/170509/europeennes-bayrou-et-cohn-bendit-se-disputent-un-meme-electorat ). C'est évidemment une raison compréhensible, mais on serait en droit d'espérer mieux de Cohn-Bendit: un peu plus de neutralité à l'égard de son rival. Pourquoi pourrait-on l'espérer? Tout simplement parce que la donne n'a pas changé pour les prochaines présidentielles, parce que l'on ne voit aucun rival sérieux au PS et que le pari de François Bayrou de pouvoir l'emporter en 2012 contre Nicolas Sarkozy repose sur des éléments solides, compte tenu de l'absence chaque jour plus évidente d'une candidature crédible à gauche. On se prend donc à rêver qu'un Daniel Cohn-Bendit, qui est plus libre que les autres, pense à la France en 2012 et, s'il est sincère dans son hostilité à la politique de Nicolas Sarkozy, essaie d'éviter de contribuer à l'aider à se faire élire pour un deuxième mandat. On me répondra que nous sommes en 2009 et pas en 2012. Mais l'argument ne tient pas, pour la simple et bonne raison que le quinquennat a accentué la présidentialisation du régime et a donné encore une plus grande importance à l'élection présidentielle qui, plus que jamais est devenue l'élection pivot de la vie politique française. 2012 se prépare donc déjà maintenant, et François Bayrou l'a très bien compris. Merci, Dany, de le comprendre.