Économiste et lui-même grand amateur de danse, Patrick Germain-Thomas a publié un livre intéressant dans lequel il décrypte le fonctionnement économique de la danse contemporaine. Rencontre avec un sociologue aussi rigoureux que passionné au sujet de cet opus que chaque acteur du champ chorégraphique devrait avoir près de lui.
Vous avez à votre crédit une thèse, de nombreux autres écrits, un livre déjà publié et vous donnez des conférences sur l’économie de la danse contemporaine. Pourquoi cet intérêt pour la matière dansée ?
Mon parcours personnel fait que je suis devenu un amateur « éclairé » de la danse contemporaine. S’agissant de mon intérêt sociologique pour cette esthétique artistique, il est parti d’une pratique semi-professionnelle de la danse que j’ai eue par le passé à un moment donné. J’ai constaté certaines pratiques usuelles parfois étonnantes qui m’ont d’une certaine manière donné envie de décrypter les mécanismes de fonctionnement de ce champ culturel.
Dans votre livre, le milieu de la danse contemporaine n’apparaît pas très reluisant. La situation s’est-elle, selon vous, aggravée au fil des ans ?
Je ne suis pas sûr que l’on puisse poser les choses ainsi et je préconise que l’on s’écarte des ressentis nécessairement subjectifs. Le contexte dans lequel chacun se situe peut certes être prégnant, mais il n’est pas forcément parlant en termes d’analyse objective des choses. Avec un nécessaire recul historique et sociologique, on s’aperçoit ainsi que la France est devenue l’un des pays au monde où la programmation et la diffusion de spectacles de danse contemporaine sont les plus dynamiques d’un point de vue quantitatif et même qualitatif. Cela résulte d’un certain nombre de mécanismes institutionnels cumulatifs mis en place au fil du temps.
Quels sont ces dispositifs qui seraient d’une certaine manière vertueux ?
On peut notamment citer les diverses aides versées aux compagnies chorégraphiques ou aux structures qui les accueillent en résidence et programment leurs spectacles, la création et le déploiement pérenne des centres chorégraphiques nationaux (CCN), la multiplication d’autres lieux consacrés à la danse, l’obligation de diffuser de la danse inscrite dans les cahiers des charges des scènes nationales, la création du Centre national de la danse (CND). Tout cela constitue un maillage plutôt efficace grâce auquel la danse contemporaine est inscrite dans le paysage français. Mais cela ne veut pas dire pour autant que tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Vous décrivez assez bien la danse en tant que champ économique cruel à certains égards. Pourriez-vous en dire davantage ?
La danse contemporaine est devenue un terrain économique où les diverses forces en présence se livrent une bataille parfois ardue. Au premier rang se trouvent les compagnies de danse. Celles-ci sont aujourd’hui nombreuses à prétendre au bénéfice des aides institutionnelles, à vouloir être diffusées et à contacter un maximum de structures afin que leurs créations soient coproduites ou achetées. Mais il n’y a hélas pas de place pour tout le monde, c’est un euphémisme que de le rappeler...
D’où certaines pratiques singulières ?
Si l’on met de côté les compagnies reconnues et bien installées au niveau national et international, il y a effectivement un jeu économique inéquitable entre l’offre et la demande de danse. Les compagnies émergentes ou qui en sont aux débuts de leur professionnalisation se trouvent dans une position de fragilité, parfois extrême, dans les négociations ardues qu’elles sont obligées de mener avec les responsables de salles et de festivals.
Comment réguler les choses ?
Cette nécessaire régulation est normalement dévolue au ministère de la culture et aux DRAC. Dans un contexte de resserrement des moyens budgétaires, l’une des pistes d’amélioration du système pourrait se trouver dans le mécénat entrepreneurial. En allant chercher des sources de financement dans le monde des entreprises, peut-être les compagnies de danse parviendront-elles à être moins dépendantes des subventions directes ou indirectes après lesquelles elles courent parfois ? En gagnant ainsi un peu d’indépendance vis-à-vis du secteur public ou semi-public, elles renforceraient leur propre position dans les fameuses négociations avec les programmateurs. Parmi les autres solutions éventuelles, les actions pédagogiques menées auprès du public mériteraient d’être revalorisées en étant considérées non seulement comme une source de revenus complémentaires mais aussi et surtout comme des activités artistiques à part entière. En quelque sorte, il s’agit que les artistes soient mieux reconnus et respectés dans ce travail de développement culturel. À mon sens, ces idées mériteraient certainement d’être débattues.
Propos recueillis par Valentin LAGARES
[À lire : La danse contemporaine, une révolution réussie ? Manifeste pour une danse du présent et de l’avenir, Patrick Germain-Thomas, Arcadi et éditions de l’Attribut, collection La culture en questions, 2012]