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Billet de blog 3 octobre 2013

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L'écrivaine turque Pinar Selek, exilée en France, coprésidente du Festival du livre de Mouans Sartoux

Pinar Selek, sociologue, est exilée politique en France. Elle vient de publier son premier roman La Maison du Bosphore et assure la coprésidence du Festival du Livre de Mouans-Sartoux (du 4 au 6 octobre) dont le thème est Même pas peur !. Rencontre.

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Pinar Selek, sociologue, est exilée politique en France. Elle vient de publier son premier roman La Maison du Bosphore et assure la coprésidence du Festival du Livre de Mouans-Sartoux (du 4 au 6 octobre) dont le thème est Même pas peur !. Rencontre.

Connaissant un peu votre parcours, on peut avoir l’impression que ce roman est autobiographique ?
Il s’agit d’une fiction car je ne suis pas Elif, mon père est avocat même si le sien est en prison tout comme le mien l’a été. Beaucoup de gens ont pensé cela mais ce n’est pas moi. La Maison du Bosphore est surtout une métaphore...

Pour vous, les rencontres sociales sont plus importantes que les rencontres politiques ?
Les objectifs ou discours politiques ne collent pas toujours à la vie sociale. Pour une révolution ou une transformation sociale, ils sont très importants. Mais pour dépasser les préjugés sociaux, il faut vivre ces rencontres sociales, les slogans ne suffisent pas.

Vous avez dit que « vous ne vouliez pas jouer dans le film que l’on vous propose ». Mais là, c’est une mauvaise série turque qui dure depuis 1998 (1) !
C’est une fiction très moche et je ne veux pas y jouer car je ne connais ni les producteurs ni le réalisateur.

On s’aperçoit que la destruction d’Istanbul ne date pas d’hier et qu’elle remonte bien plus loin à travers les quatre personnages principaux…
On apprécie le parcours de ces quatre jeunes à travers leurs relations avec les anciennes générations. C’est ce qu’ont subi toutes les personnes qui vivent à Istanbul depuis plusieurs décennies. On peut le voir avec les années 50, le génocide arménien... Ces quatre jeunes vivent dans une ville remplie de cicatrices et de blessures.

Ce roman a été écrit dans un environnement musical particulier, celui d’un Djivan Gasparyan.
Cela m’a donné beaucoup de force. C’est un cadeau de ma meilleure amie arménienne qui savait que j’aimais beaucoup le doudouk (hautbois arménien) et qui m’a offert un CD lors de ma fuite. C’est une musique qui exprime très bien à la fois la douleur et la force.

Vous venez d’être condamnée réellement, en début d’année, à la prison à vie (2). Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
Rien,  mais c’est plus difficile. Je continue à résister, à produire. Je suis sûre que cela va passer. C’est très difficile à vivre car toutes mes attaches (3) sont à Istanbul.

Est-il exact que l’on veuille vous faire payer votre travail de sociologue auprès des minorités, notamment celle des Kurdes ?
Oui, ils ont voulu faire un exemple pour intimider les autres. Mais comme j’ai continué à résister, et que les gens ont pris confiance en eux, je suis devenue un symbole de résistance.

A tel point que lors des événements de la place Taksim, une banderole proposait de la rebaptiser Place Pinar Selek ?
J’ai pleuré, pleuré. J’étais en liaison par téléphone et Skype. Il y avait beaucoup de personnes que je ne connaissais pas qui disaient : « Tu es avec nous, on ne t’a pas oubliée. On va la gagner cette lutte ». Lorsque j’étais en Turquie, je n’appartenais à aucun parti, à aucune structure hiérarchique, j’étais dans une mouvance un peu innovante, contre toute position identitaire. J’écrivais beaucoup et cette nouvelle génération m’a beaucoup lue. J’ai essayé de tisser des liens entre la rue, les transsexuel(le)s, les femmes ; et j’étais un peu comme un pont. Si dans mon roman les jeunes cherchaient encore leur voie entre la Turquie d’hier et celle d’aujourd’hui, la nouvelle génération, avec les événements de la place Taksim, a fait sa révolution et j’ai une grande confiance.

Vous êtes la coprésidente du Festival du livre de Mouans-Sartoux dont le thème Même pas peur  vous correspond totalement…
Lorsqu’ils m’ont proposé cette responsabilité, cela m’a donné beaucoup de force car il faut continuer à résister. Lorsque j’ai été emprisonnée et torturée en Turquie (3), je n’ai jamais donné le nom de mes contacts avec les kurdes. Je ne crains pas d’apparaître car plus je serai visible, moins je pourrai être menacée.

Vous êtes toujours exilée politique, réfugiée en France pour finir votre thèse à Strasbourg.
Et dès que j’aurai fini (4) je vais me mettre à mon second roman. Les personnages sont déjà dans ma tête mais le sujet sera très différent de La Maison du Bosphore.

Propos recueillis par Philippe Dejardin


(1) Arrêtée le 11 juillet 1998 par la police turque, elle est accusée d’avoir collaboré à ce que les autorités ont appelé « l’attentat du bazar d’Istanbul » le 9 juillet 1998. Emprisonnée et torturée pour lui faire avouer le nom des ses contacts kurdes recueillis pendant son activité de sociologue, son nom a été livré quelques semaines après son emprisonnement par un des militants kurdes arrêtés. Depuis, il fut prouvé que cette explosion, qui a fait sept morts et des centaines de blessés, était due à une fuite de gaz et le militant a révélé lors des procès qu’il avait avoué sous la torture un nom qui lui aurait été « suggéré ». Relaxée après trois procès, le procureur a fait appel à chaque fois. Condammée, elle a fuit la Turquie en 2008 pour l’Allemagne, puis la France.

(2) La 12e Chambre de la Cour pénale d’Istanbul l’a condamnée à la prison à vie pour terrorisme en janvier 2013. La Turquie se serait adressée à Interpol pour traquer Pinar Selek qui figurerait sur la « Notice rouge » de cette police internationale qui peut accepter ou refuser la demande.

(3) Elle est la petite-fille de Haki Selek, un des fondateurs du Parti des Travailleurs de Turquie (Parti Communiste Turc). Son père, Alp, avocat des droits de l’Homme, a été emprisonné pendant presque cinq ans après le coup d’Etat de septembre 1980.

(4) Sa thèse de sciences politiques porte sur Les mouvements sociaux dans un contexte autoritaire.Pour soutenir Pinar Selek, demander l’arrêt de toute poursuite et la possibilité de pouvoir rentrer libre dans son pays, écrire à solidaritepinarselek.france@gmail.com. Toutes les infos sur www.pinarselek.fr

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