Chorégraphe de la compagnie Black Blanc Beur, Christine Coudun fait partie des pionnières de la danse hip-hop hexagonale. Qu’en est-il aujourd’hui de la place des femmes dans ce champ artistique ? Qu’est devenue la danse hip-hop française une trentaine d’années après son émergence sur les scènes ?
Que pensez-vous de la place des filles et des femmes dans la danse hip-hop ? A-t-elle selon vous évolué ?
CHRISTINE COUDUN Tout d’abord, il est important de savoir de là où nous venons sur le plan de l’histoire de la danse. On ne peut pas effacer d’un trait de plume le fait que cette esthétique chorégraphique puise une partie de son histoire et de ses origines dans certains cercles américains traversés par une tradition virile. Vu de l’extérieur, le constant peut sembler encore difficile, voire négatif. Mais en tant qu’artiste vivant les choses de l’intérieur depuis bientôt trente ans, je crois que la situation a évolué dans un sens assez favorable. Cela fait bien longtemps que l’idée selon laquelle cette danse serait réservée aux garçons a été démystifiée.
La danse hip-hop serait donc aujourd’hui plutôt permissive en termes d’égalité entre les sexes ?
On peut effectivement le penser, même si en la matière il n’y a pas de vérité qui serait lumineuse. Beaucoup d’interprètes et de chorégraphes féminines s’assument pleinement en tant qu’artistes. Certaines ont d’ailleurs un joli parcours et sont parvenues à une reconnaissance notamment institutionnelle. Je ne peux que m’en féliciter !
Qu’auriez-vous à dire aux jeunes souhaitant se lancer ?
Je me vois difficilement donner des leçons à quiconque. C’est à chacune de prendre la place qu’elle estime devoir prendre, mais pas n’importe laquelle non plus ! Comme partout ailleurs dans la société, il ne faut pas se laisser dévaloriser, ni se faire marcher sur les pieds. C’est peut-être aussi aux chorégraphes en place d’avoir une certaine attention sur cette thématique. Pour ma part, j’ai toujours eu à cœur de favoriser une qualité d’écoute entre chacune et chacun de mes interprètes. Notons quand même qu’il est loin le temps de mes premières pièces mixtes où les garçons avaient alors des préjugés sur les capacités des filles à faire aussi bien qu’eux. Ils sous-estimaient le pouvoir bénéfique de la chorégraphie.
Une trentaine d’années après l’émergence du hip-hop, l’éventualité d’un diplôme d’État (DE) spécifique n’est toujours pas réglée en 2014. Quel est votre avis ?
Cela pose entre autres la question de l’institutionnalisation et d’une récupération ou non par le système dominant en place. L’idée d’un tronc commun avec les autres genres chorégraphiques sur des thèmes par exemple comme la pédagogie est à réfléchir. Pour le reste, il ne faudrait pas que cela conduise à figer les choses d’un point de vue stylistique.
Votre compagnie Black Blanc beur va fêter ses trente ans en septembre prochain. Comment voyez-vous cet anniversaire ?
Il devrait y avoir un événement spécifique auquel vont participer d’anciens interprètes, pour certains que je n’ai pas croisés depuis longtemps. J’envisage ce moment comme un joli voyage dans le répertoire que j’ai constitué, avec celles et ceux m’ayant accompagnée, au cours de toutes ces années. Cela sera riche en symboles et en émotions partagées.
Quelles suites envisagez-vous pour B3 ?
Pour une compagnie de danse comme la mienne, avoir trente ans n’est pas rien... Ce jalon est peut-être l’aboutissement d’une boucle. Il faudrait trouver des moyens et des énergies pour que les choses puissent perdurer d’une manière ou d’une autre. Il y a aussi la question du répertoire chorégraphique de Black Blanc Beur qui n’est pour le moment pas réglée.
Pourrait-il y avoir une sorte de métamorphose de B3 ?
En l’état, il m’est assez difficile de répondre. — Propos recueillis par Valentin Lagares
repères
Chorégraphe et co-fondatrice de la compagnie Black Blanc Beur (B3), Christine Coudun est l’une des pionnières en matière de danse hip-hop. Au cours de sa brillante carrière artistique, elle a toujours eu le souci que ses créations puissent parvenir à toucher, d’une manière ou d’une autre, l’intimité perceptive du public. Créée en 1984, sa compagnie Black Blanc Beur fêtera en septembre 2014 son trentième anniversaire. Certaines de ses consœurs aujourd’hui connues ou en passe de l’être sont passées par sa compagnie. On peut citer notamment la jeune et brillante Anne Nguyen(1). Ces dernières années, Christine Coudun a consacré une part de ses recherches chorégraphiques aux rapports homme/femme ainsi qu’à la place de la femme dans la société en général et dans le hip-hop en particulier. Cette démarche est très visible dans ses créations « Défilles » (2001), « Si Je T’M » (2004) et « Au féminin » (2006). — VL
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