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Billet de blog 9 mars 2014

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Bertrand Tavernier, réalisateur heureux

Bertrand Tavernier, dont le dernier film « Quai d’Orsay » est sur les écrans, n’est pas seulement une sommité du 7e art. Le président de L’Institut Lumière est aussi un cinéphile, ce qui veut dire un curieux, un érudit et un partageur. Rencontre en Arles avec ce passionné, fou de westerns, venu présenter chez Actes Sud une nouvelle collection de livres, L’Ouest, le vrai.

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Bertrand Tavernier, dont le dernier film « Quai d’Orsay » est sur les écrans, n’est pas seulement une sommité du 7e art. Le président de L’Institut Lumière est aussi un cinéphile, ce qui veut dire un curieux, un érudit et un partageur. Rencontre en Arles avec ce passionné, fou de westerns, venu présenter chez Actes Sud une nouvelle collection de livres, L’Ouest, le vrai.

Votre filmographie trahit une jubilation pour les genres. Mais, qu’est-ce qui vous détermine pour vous lancer dans un film ?
Bertrand Tavernier - C’est le coup de cœur pour un sujet. Et surtout d’en trouver l’angle. Pour L.627, j’explorais la possibilité de faire un film sur la police qui ne soit pas comme les feuilletons français qui montrent les policiers comme des flics américains. Car à part dans les films écrits par Audiard, je trouve qu’ils sont abstraits.

De même que les gangsters y sont des héros de tragédie grecque alors que la moitié des grands truands étaient des gens qui avaient travaillé avec la Gestapo et torturé des gens rue Lauriston. Voir à ce sujet le film Carambolages où l’on entend un Michel Serrault dire : « Ah ! Jeune homme, vous ne connaissez pas le bon temps du 93 rue Lauriston… la baignoire ! Depuis qu’on arrêté la plomberie, y’a plus de police ! ». Je travaillais donc avec un flic sur ce thème lorsqu’il m’emmène dans des algecos pourris où se tenaient les stups. Il y pleuvait à l’intérieur.

Les flics travaillaient sur du matériel de récup’. Là, j’ai pensé : le Premier ministre dit que la priorité est la lutte contre la drogue et je vois ces policiers qui travaillent dans des conditions déplorables qu’aucun technicien du cinéma n’accepterait. J’ai décidé d’axer mon film là-dessus. Il fallait que je montre cette réalité en réalisant un film sur le métier qui ne se place pas dans l’option pro-flic ou anti-flic. À charge au spectateur de se faire une idée. En fait, avec cet angle, l’on voit que c’est le système qui est imbécile.
Donc, un film, c’est toujours un déclic ?
Oui, émotionnel, et qui suscite beaucoup de questions. Dès lors, je me demande comment je dois filmer pour ne pas produire de l’émotion facile. Pour ne pas transformer les personnages en une sorte de héros...

Avec Quai d’Orsay qui de déroule au cœur du cabinet d’un ministre des Affaires étrangères, quel fut le déclic ?
C’est la BD de Christophe Blain et Abel Lanzac. Son invention comique. Le fait qu’elle décrive un univers où des gens bossent comme des malades dans des conditions insensées. D’ailleurs, dans tous mes films, les gens travaillent. Et souvent le travail en est le sujet primordial.

Autour de minuit, c’est comment un musicien bosse. La Vie et rien d’autre, c’est un type qui travaille pour retrouver des disparus. Dans laisser-passer, ce sont des gens qui essayent de faire des films sous l’Occupation… Pour Quai d’Orsay, je visite le deuxième étage de la Présidence, celui des conseillers, et j’y découvre des bureaux microscopiques. Un conseiller pour l’Asie s’y démène avec une table et deux chaises.

Un paradoxe, si l’on pense qu’il s’occupe de tout un continent ! A contrario, je me souviens de la taille des bureaux de certains élus de régions qui se sont fabriqués des bâtiments somptueux. Je constate donc qu’il y a des serviteurs de l’Etat qui travaillent dans des conditions difficiles et j’ai eu un coup de foudre pour cet angle d’attaque. Puisqu’on est dans le Centenaire de 14-18, évoquons Capitaine Conan, film qui se déroule sur front de l’Est en 1918, réalisé sept ans après La vie et rien d’autre qui évoquait les disparus de la Grande guerre.
Cette fois, qu’est-ce qui l’a suscité ?
J’ai redécouvert par hasard le roman de Roger Vercel (1934, Prix Goncourt). Je l’avais lu à quatorze ans. C’était un des premiers livres de poche, le numéro 14. Je l’avais dévoré lors d’un voyage Saint-Raphaël-Paris, à l’époque des trains de nuit. Ce livre m’avait surpris. J’ai compris plus tard que c’était un roman sur un anti-héros. Et j’ai eu une envie folle de montrer ce personnage. Là encore, le déclic vient d’une scène. Conan, de par sa nature, déteste les déserteurs. Et quand son ami Norbert vient lui dire : « je m’occupe du cas d’un déserteur », il l’envoie promener, disant que ce type relève du peloton d’exécution.

Mais comme Norbert voudrait absolument qu’il le voit, Conan lui parle. Il le fait craquer et constate que le gars est pétri de trouille. Et Conan fait une chose que ne feront aucun des juges militaires qui auront à juger le déserteur : il va sur le champ de bataille afin d’essayer de comprendre ce qui a motivé la désertion. Il regarde les trous d’obus et il pense : il est huit heures… la lune est là… ce mec a 19 ans… il y a une explosion ici, une autre là… il cavale et il tombe chez les Buls (Bulgares). Et donc, le fait qu’un type absolument opposé à la désertion prenne sur lui de comprendre ce qui peut motiver quelqu’un à faire l’acte qu’il juge le plus méprisable du monde, cela m’a touché. Outre le bonheur de travailler avec le scénariste, Jean Cosmos, qui maîtrisait la langue de l’époque et l’argot.

Comment procédez-vous avec les comédiens ?
Je m’y prends à l’avance. Je les nourris de discussions, de lectures. Pour le groupe Conan, durant plusieurs semaines, je leur ai demandé de crapahuter, de vivre des opérations de commandos, pour que leurs actions soient justes. Qu’ils ne les découvrent pas au moment du tournage, qu’ils se soudent.

Je déteste les groupes de cinéma où l’on a l’impression de fabriquer les rapports pendant qu’on tourne. La classe de Ça commence aujourd’hui est une vraie classe. Je n’ai pas pris une classe de cinéma avec les gosses les plus mignons, les plus pittoresques. J’ai pris une classe donnée et je me suis débrouillé avec. Philippe Torreton /Conan m’a demandé : « Comment je fais pour jouer le chef, je n’ai jamais été chef ? ». L’on avait un adjudant qui avait fait la guerre d’Algérie dans les commandos de chasse. Il lui a donné un conseil : « C’est très simple, il faut que tout le monde te regarde quand tu joues.

Tu n’as pas à jouer l’autorité. Il faut qu’elle existe sans avoir à la jouer ». Pour ma part, je lui ai fourni un autre truc : « Afin de communiquer ton énergie, tu dois te déplacer tellement vite que la caméra doit avoir du mal à te suivre, quitte à sortir du champ ».

Comment avez-vous préparé Thierry Lhermitte, dans Quai d’Orsay ?
Avec des lectures, des principes de jeu. Il est hyper intelligent, nourri de BD. On était d’accord. Par exemple, qu’il fallait respecter la folie du personnage. Avec une chose essentielle : protéger l’impression qu’il croit à ce qu’il dit. Il doit croire même aux choses les plus extravagantes. Quand les hommes politiques sont brillants, ils peuvent avoir une vision très forte. En l’occurrence, celle du personnage (inspiré par un Ministre des Affaires Étrangères au pays des Lumières) était très juste : penser que les néo-conservateurs américains, non seulement se trompaient, mais allaient provoquer une catastrophe en Irak. Ce qui n’était pas une vision partagée par la majorité de la classe politique...

Après, comment ses collaborateurs doivent traduire cela, ce n’est pas son problème. Cela me fournissait une excellente comédie de caractère avec des gens qui travaillent jusqu’à trois heures du matin. Ce qui fut le cas avec le directeur du cabinet du ministre dont les gendarmes du Quai d’Orsay se souvenaient qu’il ne quittait jamais son bureau avant 2 heures du matin et qu’il y était dès 8 heures.

Cet homme, personnage joué par Niels Arestrup et pour lequel j’ai une grande admiration, n’avait pas de voiture de fonction. Il n’avait pas dépensé un centime d’argent public. D’ailleurs, Hubert Védrine (ex-Ministre des Affaires étrangères) m’a dit : « Votre film est un hymne d’amour pour le modèle de Claude Maupas (Ndlr : inspiré du vrai Pierre Vimont) ».
Vous rendez souvent justice aux scénaristes ?
Si je continue à penser que le réalisateur reste le maître du film,  je vois tellement de metteurs en scène qui ne les citent jamais, que j’ai le souci de dire combien pour moi, les Jean Aurenche, Jean Cosmos, Michel Alexandre, Colo Tavernier… ont été précieux pour mes films.
Vous manifestez aussi une fidélité à des équipes techniques ?
Mais en les renouvelant. Dans Quai d’Orsay, le chef op’, l’opérateur du son, l’ingénieur, le monteur, la script étaient des gens avec lesquels je n’avais jamais travaillé. Dans la brume électrique, j’ai été dans l’obligation d’employer une nouvelle équipe puisqu’ils étaient tous Américains.

Et lorsque je reprends les mêmes techniciens, je ne leur donne jamais le même cahier de charge. Par exemple, j’ai fait faire plusieurs choses au chef-opérateur-cadreur Pierre-William Glenn. L’Horloger de Saint Paul, est un film réaliste français qui se tournait à Lyon. Avec Que la fête commence cela se passait au XVIIIe siècle avec des bougies et des torches. Le Juge et l’Assassin se déroule en Ardèche, en automne, avec éclairage à la lampe à huile ou au gaz, soit un film constamment en sous-exposition. Je le réalise en scope ce qui l’oblige à penser radicalement différent la manière de cadrer.

La Mort en direct, se tourne en Ecosse. C’est le premier film à utiliser pour l’évasion de Romy Schneider un plan assez dément au steadicam. Coup de torchon se déroule au Sénégal et est entièrement tourné au steadicam. A chaque fois il s’agit de défis énormes…
Vous lancez chez Actes Sud, L’Ouest, le vrai. Comment est née cette idée de collection ?
Je fais des films de partage. Et j’aime faire partager les admirations que j’ai pour certains auteurs. Cette idée est venue au fil des années. Avec Jean-Pierre Coursodon, j’ai écrit des livres sur l’histoire du cinéma comme 50 ans de cinéma américain 1 dans lequel j’ai introduit un dictionnaire des scénaristes. C’était la première fois qu’on s’intéressait à eux. Je me suis intéressé aux livres qu’ils adaptaient et j’ai découvert des perles. Je suis par exemple tombé sur W.R. Burnett, considéré comme un auteur majeur du roman noir (Le Petit César, Quand la ville dort, High Sierra…) mais qui estimait que son meilleur roman était Adobe Walls (traduit par Terreur Apache) qui a servi pour un western.

Avec beaucoup de difficulté j’ai trouvé un exemplaire du livre. Il était extraordinaire ! Et donc ayant un rayonnage entier de ce type de livres, je me suis dit qu’il fallait partager cette littérature méprisée car assimilée à la littérature « pulp » pour enfants, genre Hopalong Cassidy. William Riley Burnett et Ernest Haycox, les deux premiers auteurs de cette collection, sont de grands romanciers. Ces écrivains étaient des gens très éduqués. Burnett connaissait admirablement la littérature française. Deux de ses écrivains favoris sont Simenon et Mérimée. Simenon étant pour lui plus grand romancier que Raymond Chandler ! Donc, il y a le talent, la beauté des livres, et le fait qu’il existe tout un pan du roman américain méconnu, celui des gens qui ont écrit sur l’Ouest.
Qu’est-ce qui vous fascine dans la Conquête de l’Ouest ?
Ce n’est pas tant la Conquête de l’Ouest qui m’intéresse que le fait que cette période, comme la Guerre de Sécession ou la Guerre de 14-18, brasse des dizaines de thèmes prodigieusement actuels. La conquête de l’Ouest parle de la naissance du capitalisme, du racisme, de l’extermination des Indiens, de la destruction de la nature, de l’arrivée de la Loi et de l’Ordre… Elle contient tout ce qui forme la démocratie américaine. – Propos recueillis par Frank Tenaille

1- Dès 1970, il publie avec Jean-Pierre Coursodon « 30 ans de cinéma américain », référence sur le sujet régulièrement enrichie depuis. Il édite aussi avec Thierry Frémaux, en coédition avec l’Institut Lumière, toujours chez Actes Sud, une collection de livres indispensables dont ses entretiens avec les grands cinéastes américains. Lire Noël Simsolo, « Bertrand Tavernier, Le Cinéma dans le sang », Éd. Ecriture.

• livres


Hemingway disait : « J’ai lu « The Post » chaque fois qu’il publiait un feuilleton d’Ernest Haycox ». Dix films furent adaptés de ses romans dont « La Chevauchée fantastique », de John Ford (1939), « Pacific-Express » de Cecil B. de Mille (1939), « Montana », de Ray Enright (1950) ou « Les clairons sonnent la charge » de roy Rowland (1952) adaptés de « Des clairons dans l’après-midi. » Pour sa part « Terreur apache», roman peu politiquement correct fut adapté au cinéma sous le titre « Le Sorcier du Rio Grande » (1953) et a donné un film totalement hétérodoxe.
• films


Fils de l’écrivain et résistant lyonnais René Tavernier, il fut assistant-réalisateur, attaché de presse, critique avant de passer à la mise en scène avec « L’Horloger de Saint-Paul », film à la base d’une longue collaboration avec l’acteur Philippe Noiret (« Que la fête commence », « Le Juge et l’assassin », « Coup de torchon », « La Vie et rien d’autre », « La Fille de d’Artagnan »). Il a abordé aussi bien la comédie (« Un dimanche à la campagne », « Daddy Nostalgie ») que le film de guerre (« Capitaine Conan »), le film historique (« Laissez-passer », « La Princesse de Montpensier ») que le polar (« L.627 », « L’appât »). « Autour de minuit » remporta un Oscar et fut nommé aux Golden Globes.

 lire César en ligne http://bit.ly/1cF6nm3

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