En août 1914, les soldats provençaux du XVe corps sont engagés dans l’une des premières grandes batailles opposant les Français aux Allemands. En fait, l’ennemi attire les Français sur un terrain qu’il a fixé comme champ de bataille, avec une artillerie dont les tirs sont réglés à l’avance.

Les troupes se font massacrer sous un déluge d’obus et de mitraille sans même voir un seul soldat ennemi. Les Méridionaux abandonnent 10 000 morts sur un terrain boueux d’étangs et de prairies, totalement exposé où l’on n’aurait jamais dû les faire manœuvrer (1). Peu après ils sont pourtant accusés d’être les responsables de la défaite. La rumeur se répand via la presse parisienne et notamment un article du sénateur Gervais dans Le Matin (1,6 millions d’exemplaire par jour) intitulé « La vérité sur l’affaire du 15e corps » que relaient nombre de leader d’opinion comme Clémenceau, alors député du Var.
Peu de voix s’insurgeant contre les affirmations du ministre, hormis la presse du Midi qui affirme d’emblée son hostilité aux propos de Gervais, à l’instar du Petit Marseillais qui le traitera de « honte du Sénat et fumier de la presse ». Ou encore celles de députés du sud qui, en haut lieu, font savoir leur désaccord avec des « allégations incontrôlables sinon mensongères dont leurs compatriotes ont été les victimes ». Dans la réalité, cette intoxication de l’opinion publique est manipulée par le généralissime Joseph Joffre et le ministre de la Guerre Adolphe Messimy.
La vérité est que l’Etat-major est dans l’erreur, lui qui a préparé la guerre de 14-18 avec le point de vue de celle de 1870. La vérité est que l’armée française promise à gagner Berlin en quatre semaines, recule alors sur tous les fronts. L’impréparation vis-à-vis d’une armée allemande qui a choisi son terrain d’affrontement et s’est embusquée, couplée à la doctrine de l’offensive allemande avec « Rosalie » (la baïonnette), accouche d’une hécatombe. Il faut donc des lampistes et Joffre fait accréditer la légende que ce sont les soldats de « l’aimable Provence » qui auraient lâché pied devant l’ennemi et causé l’échec de l’offensive de l’Est.
Ce mensonge gagnera toute la France. Et les soldats méridionaux seront désormais diffamés par la propagande officielle. Or, si les historiens ont depuis reconnu que le XVe corps, en août 14, se battit comme les autres corps, voire aussi bien que les unités dites d’élite, cet affront ne fut jamais lavé. Les auteurs de cette manipulation, les militaires de l’Etat-major et leurs complices de la droite nationaliste, n’ayant jamais eu à rendre des comptes de cette ignominie. — Frank Tenaille
- 1 Le quartier général faisant la sourde oreille aux mises en garde de terrain. « La région de Morhange avait été signalée par les habitants comme fortement organisée et occupée. Les reconnaissance de cavalerie signalèrent que le terrain avait été soigneusement truqué, des pylônes de bois de toutes dimensions y servaient de repères pour ajuster les tirs d’artillerie » (Général Weygand). « J’apercevais une artillerie nombreuse en attente derrière des épaulements, des lignes de tranchées, des abattis dans les bois, des réserves dissimulées ; le tout donnant l’impression d’un piège tendu à notre armée et à la gauche de l’armée voisine. » (Capitaine Armengaud).

Charriots de ravitaillement
Exposition La faute au Midi
Cette exposition de 100 m2 revient sur cette blessure longtemps à vif. Partant de la mobilisation, elle évoque la violence des premières batailles lorsque les soldats français découvrent la guerre industrielle. L’accusation de lâcheté des Méridionaux révèle ensuite un racisme intérieur qui ne date pas de 1914. A l’heure de la construction de l’identité nationale, au XIXe siècle, le Méridional est apparu comme le contretype du bon Français, un individu souvent grossier, parfois imbécile, toujours ridicule, vantard et outré.
Bref, un Tartarin ! Cette exposition aborde également le thème des fusillés qui ont également hanté la mémoire de la Grande Guerre en suivant la tragédie de deux soldats du XVe corps, Auguste Odde et Joseph Tomasini. L’exposition est articulée en 5 thématiques visuelles et didactiques qui reprennent les planches d’une bande dessinée imaginée par l’historien Jean-Yves le Naour (1), le commissaire de l’exposition, et le dessinateur A.Dan, en s’inspirant de documents divers (affiches, photographies, objets pour la plupart prêtés par les descendants des soldats du XVe corps d’armée) retenus pour illustrer l’histoire des soldats du XVe corps et de leur légende noire. — FT
13 | Aix, Centre aixois des Archives départementales
des Bouches-du-Rhône, exposition « La faute au midi »,
> 05/07, tous les jours, sauf mardi matin, 9 h > 18 h, entrée libre et gratuite
14-18 : Le Pays d’Apt dans la Grande Guerre
Comment vivait-on la guerre ? Le musée d’Apt et des collections particulières proposent d’apporter un éclairage local de la vie à l’arrière durant 14-18. À travers des documents d’archives et des objets du quotidien, cette exposition aborde les grandes étapes du conflit mondial et insiste sur ses conséquences économiques, sociales et politiques en pays d’Apt.

L’exposition évoque l’Union sacrée qui abolit un temps les clivages ; les mesures d’exception (mise en place d’un régime de censure et de propagande, surveillance des étrangers) ; l’ombre que fait peser la guerre sur la vie de tous (arrivée des réfugiés, relations des familles avec les soldats sur le front, installation d’hôpitaux pour accueillir les blessés) et la mobilisation de l’arrière pour assurer la victoire (emprunts, industries, ravitaillement, œuvres de guerre).
84 | Musée d’Apt, > 31/5, entrée libre, tel. , Deux conférences de Serge Truphémus à signaler : le 18/04, « 1914, l’affaire du Xe corps de Marseille : la faute aux midis ? » et le 16/05 : « 1914-1919 : le Vaucluse, un département de l’arrière durant la grande guerre »
La Guerre de 14-18 vue du Languedoc
On doit à Rémy Pech, professeur d’histoire contemporaine à Toulouse-Le Mirail, de passionnants écrits sur les économies et sociétés viticoles, l’histoire politique du Midi occitan, ou Jean Jaurès. Et bien sûr des réflexions sur 14-18 ou des mises à jour comme la publication en 1978 des fameux Carnets de guerre de Louis Barthas, tonnelier (1914-1918) réédités à La Découverte.

Après avoir évoqués « Les poilus de 14-18 » au mois de mars, à travers leurs lettres ou carnets, cela dans la foulée d’un ouvrage collectif, 500 Témoins de la Grande Guerre (Editions Midi-pyrénéennes / EDHISTO), il évoquera le conflit vue du Languedoc. Façon pour lui de remettre en cause le « consentement patriotique » de la société française au moment de la Première Guerre mondiale.
34 | Béziers, Sortie-Ouest, Domaine de Bayssan,
le 08/04 à 18 h 30, entrée libre, tel. 04 67 28 37 32,
www.sortieouest.fr
Pour aller plus loin...
« Je voudrais simplement montrer des hommes ordinaires, du peuple, issus de milieux variés et d’une région diversifiée mais à forte personnalité, aux prises avec un problème global et national de défense » écrit Jules Maurin, né en 1940, qui fut professeur émérite à l’Université Paul-Valéry de Montpellier.

Des hommes appréhendés en tant qu’ « êtres multidimensionnels », selon une approche anthropologique, qui en fait un travail d’une grande contemporanéité dans sa méthodologie socio-historique, croisant la statistique (bien avant les usages de l’informatique), le témoignage, l’enquête orale réalisée avant la disparition des derniers poilus languedociens.
Ce livre unique, publié pour la première fois en 1982, est avant tout fondé sur un impressionnant travail d’archives, permettant d’établir la biographie collective de milliers de soldats languedociens.Un jalon incontournable dans l’historiographie de la Première Guerre mondiale pourtant injustement oublié et marginalisé, presque trente ans durant, par la vogue de l’histoire culturelle et qui vient d’être réédité.
Jules Maurin, « Armée, guerre, société, Soldats languedociens 1889-1919 », Publications de la Sorbonne
lire nos entretiens avec Nicolas Offenstadt http://www.cesar.fr/Nicolas-Offenstadt-322-DEC-13 et Jean-Yves le Naour http://www.cesar.fr/memoires-vives-322-2013
La faute au midi http://www.cesar.fr/heroiques-diffames-14-18-326