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Billet de blog 14 février 2014

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Marseille-Provence 2013, l'opération marketing

Alèssi Dell’Umbria n’est ni universitaire, ni historien officiel. Son Histoire universelle de Marseille, une somme de 700 pages, a pourtant été saluée comme l’un des travaux les plus ambitieux jamais effectué sur la cité phocéenne. Marseillais revendiqué, Alèssi a le goût du peuple et sa gouaille. Son analyse de Marseille Capitale est radicale et décoiffante !

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Alèssi Dell’Umbria n’est ni universitaire, ni historien officiel. Son Histoire universelle de Marseille, une somme de 700 pages, a pourtant été saluée comme l’un des travaux les plus ambitieux jamais effectué sur la cité phocéenne. Marseillais revendiqué, Alèssi a le goût du peuple et sa gouaille. Son analyse de Marseille Capitale est radicale et décoiffante !

Selon vous, de quoi l’opération Marseille Provence 2013, capitale européenne de la culture a-t-elle été emblématique ?
Alèssi Dell’Umbria – D’une volonté de transformer les centres villes de toute l’Europe en autant de Dysneylands culturels. C’est encore plus flagrant dans le cas précis de Marseille, vu que MP2013 est un accélérateur de Euromed. La logique de tout ça, c’est que la ville soit pensée comme une valeur marchande : non la ville réelle, qu’on ne veut plus voir, mais le spectacle de la ville ; non la ville habitée, dont on ne veut plus, mais la ville visitée. MP2013 est une opération de marketing visant, à travers diverses animations, à vendre un produit culturel global qui s’appelle « Marseille ».

La ville de Marseille et la Provence avaient-elles besoin de cette aventure pour se développer, comme l’affirmentles organisateurs ?
Oui, dans la mesure où ce terme volontairement confus de « développement » couvre une stratégie de valorisation marchande. Depuis 2600 ans, cette ville vivait du négoce maritime ; à présent, c’est la ville elle-même qui est devenue l’objet du négoce. Autant dire que les petites gens qui vivent encore dans les murs de la ville, et qui y vivent avec peu d’argent, n’y ont plus leur place et la municipalité et la Chambre de Commerce l’ont clairement signifié. Je sentais venir tout cela quand j’achevais L’Histoire universelle de Marseille, mais je ne pensais pas que ça irait si vite. Nous sous-estimons toujours la puissance des dominants et leur capacité de nuisance toujours plus rapide. Ceci-dit, ce business dont Marseille est à présent l’objet échappe en grande partie aux élites locales : ils ne font que servir la soupe à de plus puissants qu’eux et ramasser les miettes qui tombent.

Qu’est-ce que la culture marseillaise selon vous ?
Ce que j’aime à Marseille, c’est précisément qu’on y a la liberté de parler pour ne rien dire, pour le pur plaisir du jeu qui entre dans la parole. C’est ce que tant de Français nous reprochent aigrement... Mais si Marseille est une ville où l’on parle volontiers, c’est aussi une ville où il est difficile de discuter. Cela vient du fait que les gens de Marseille ont pris l’habitude, au fil des générations, de se regarder dans un miroir. De là un sens salutaire de la dérision, mais qui dissimule aussi une indifférence à son propre sort. De la lucidité au cynisme, il n’y a souvent qu’un pas à Marseille. Qu’en sort-il sur le plan de la création, poétique, littéraire, musicale, cinématographique ? Des fulgurances, mais aussi beaucoup de démagogie, surtout à partir du moment où Marseille est devenue à la mode et où le miroir nous est désormais tendu par la France entière : prenez l’exemple calamiteux du « polar marseillais ». Mais même des expressions plus authentiques, venues de la rue, n’échappent pas à cette logique. Prenez Fonky Family, ce sont des rappeurs originaux et talentueux, mais ça finit fatalement sur la B.O d’un navet comme Taxi qui exploite Marseille comme décor.

Comment, selon vous, pourraient se développer  Marseille et sa (ou ses) culture(s) ?
Il faudrait d’abord se débarasser de ces élites moisies qui ne laissent pas la ville réelle s’exprimer. Voyez donc cette année : s’il est bien une forme d’expression de la jeunesse prolétaire à Marseille, c’est le hip-hop, pour le meilleur comme pour le pire. N’est-il pas symptômatique que MP2013 l’ait méthodiquement ignoré dans ses programmations ? Mais je pense que, au lieu de pleurnicher sur ce mépris des élites –qui n’est certes pas nouveau– il faudrait en tirer les conclusions et s’organiser en conséquence. Je ne sais pas si le hip-hop marseillais en a vraiment la volonté et l’énergie – comme l’avaient eu les organisateurs de free parties à la grande époque de la techno indépendante...

Le festival littéraire L’invention du réel proposé par les organisateurs de MP2013, est parti du constat que Marseille, je cite, « n’était pas une ville écrite », que pensez-vous de ce postulat ?
Marseille a pourtant fait couler beaucoup d’encre, non ? Et tous n’étaient pas des reporters en quête de sensantionnel. Qu’on lise Blaise Cendrars et André Suarés, par exemple. Et même la poésie de Victor Gelu, destinée au chant, circulait sous forme écrite. Et les rappeurs marseillais écrivent leurs textes... Qu’y pouvons-nous si les organisateurs de MP2013 ignorent tout cela ? Ce ne sont que des technocrates de la culture, parachutés de la capitale.

Votre ouvrage, L’Histoire universelle de Marseille est adapté à la scène par Jérémie Beschon, avec une seule comédienne en scène (!). Comment s’est passé ce travail ? Êtes vous intervenu ?
Je ne connaissais pas les gens de la compagnie Manifeste Rien, mais je n’ai eu qu’à me féliciter de leur avoir fait confiance. Je ne suis intervenu à aucun moment dans leur travail, qu’ils ont d’ailleurs remanié en cours de route. Je suis très heureux de cette initiative, il est réjouissant que l’oralité vienne relayer l’écriture pour donner une forme autre au contenu du livre. Et en plus ils sont d’un commerce très agréable... — MHB

Pour les curieux  http://www.cesar.fr/alessi-dell-umbria-324
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Repères

Alèssi Dell’Umbria a grandi a Marseille, où il vit, tout en partageant son quotidien avec d’autres villes de la Méditerranée. Impliqué dans la vie de son quartier de la Plaine, il multiplie conférences et interventions pratiques sur les questions d’histoire et de politique urbaines. Il a collaboré à différentes revues de critique sociale et a notamment publié « Histoire universelle de Marseille. De l’an mil à l’an deux mille » (Agone, 2006), « La Rage et la Révolte » (Agone, 2010) et « Échos du Mexique indien et rebelle » (Rue des Cascades, 2010).

 Théâtre

Histoire universelle de Marseille

Virginie Aimone, seule en scène, raconte mille ans d’histoire marseillaise. Avec une belle énergie et beaucoup de talent, la comédienne incarne les personnages qui ont fait l’Histoire combattante de la Cité. Pas forcément celle qu’on apprend dans les livres, mais celle que raconte Alèssi Dell’ Umbria dans son Histoire Universelle de Marseille, dont le spectacle est une adaptation. Un voyage dans le temps qui nous conduit du Moyen-âge à aujourd’hui, depuis la République de Marseille, la bête noire des Rois de France, jusqu’à la période contemporaine, bien éloignée des luttes passées.

Un théâtre éminemment populaire, en adresse directe au public, qui a le mérite de faire passer un texte savant en toute simplicité : une spécialité de la compagnie Manifeste Rien, dirigée par Jérémy Beschon (1) qui « adapte des œuvres de sciences humaines pour atteindre un large public ». Mission accomplie !

  1. Jérémy Beschon vient de publier sa dernière pièce Baraque de foire (L’atineur, 2013), un texte grinçant élaboré à partir d’événements historiques contemporains qui se donne pour objectif « d’éclairer la lutte que nous devons mener dans les sociétés modernes »

VU A MARSEILLE, théâtre de Lenche, le 29/10/13

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