Marie-Jeanne Verny, très impliquée sur la question des langues régionales (1), dont l’Occitan, a été partie prenante de la rédaction d’un texte argumentant l’importance de la langue régionale présenté aux députés, à l’origine d’une quarantaine de questions écrites à l’Assemblée nationale. Le tout récent vote par le Parlement européen du Rapport sur les langues européennes menacées de disparition et la diversité linguistique au sein de l’Union européenne (2) présenté par François Alfonsi, (eurodéputé du groupe Verts-ALE), constituant un événement important pour l’avenir de ces langues, état des lieux avec elle.Peut-on dire que vous êtes l’incarnation d’une schizophrénie française dans le sens où vos parents, natifs du Cantal, étaient bilingues, mais n’ont pas voulu apprendre l’occitan à leurs enfants pour qu’ils réussissent dans la vie. Et qu’ils sont morts avec l’incompréhension que leur fille soit devenue professeur d’occitan ?
Marie-Jeanne Verny Certes, c’est très douloureux d’avoir vu partir les siens sans parvenir à les réconcilier avec cette part d’eux-mêmes… de revenir dans son village où les locuteurs de la langue ne la parlent plus faute d’interlocuteurs et s’excusent s’il leur échappe un mot de « patois » en votre présence, malgré vos tentatives pour les rassurer… Un savoir, une réserve langagière s’en va peu à peu… Nous recréons autre chose, bien sûr, mais le fil s’est cassé, la chaîne du langage s’est interrompue. Il y a une perte langagière et culturelle irrémédiable que je ne pardonne pas à cette France orgueilleuse de « SA » langue. Et je le lui pardonne encore moins comme communiste : avec parfois de bonnes intentions, elle a tué les langues des humbles, elle leur a imposé une intégration - laminage. Certes, on ne savait pas, au début du XXe siècle, qu’on pouvait apprendre la langue commune en gardant sa langue (régionale ou d’immigration) ; on ne concevait pas que l’on puisse être tranquillement bi ou plurilingue. Maintenant, on le sait et je suis féroce avec ceux qui veulent me donner des leçons de « républicanisme » du haut de leur ignorance crasse des richesses culturelles d’une République qui est autant la mienne que la leur, du haut de leur conception mystique et irrationnelle d’une nation monolingue et monoculturelle, du haut de leur culte d’une littérature française qui serait supérieure à toutes les autres – et que j’aime d’ailleurs, moi aussi, passionnément.
Vous êtes la coordinatrice d’un livre sur l’école française et les langues régionales XIXe-XXe siècles. Entre la célébration de l’école publique qui fit de nos aïeux des citoyens et la dénonciation d’un enseignement nationaliste négateur de la diversité constructive de la société française depuis des siècles, où placer aujourd’hui le curseur ?
Ce livre réunit des contributions sur les diverses langues de France. La lecture de celles-ci montre que la réalité était plus complexe que le veulent les clichés : certes l’école, globalement, réprimait l’usage du « patois » mais il y avait aussi des maîtres qui, sans toujours enseigner les langues régionales pour elles-mêmes, en faisaient objets d’étude et de comparaison dans leurs cours. Aujourd’hui, je suis viscéralement attachée au service public de l’Education Nationale. Sans elle, la fille de paysans « schizophrène » dont il a été question n’aurait pas appris que le « patois » était une langue et n’aurait jamais eu l’idée de l’enseigner. Cette école publique, c’est là que sont les enfants qui vivent en pays d’oc, qui, dans leur immense majorité, ne demandent rien, parce qu’ils ne savent pas. C’est donc à eux que l’école publique doit s’adresser en leur proposant un enseignement d’occitan ou, au moins, une information sur l’occitan. D’ailleurs, la FELCO demande que les programmes français informent tous les enfants de France de la réalité plurilingue et pluriculturelle de leur pays. Exact contrepied des enfermements communautaristes ou des écoles arcadiques réservées aux enfants dont les parents ont les moyens culturels de demander une autre école.
Quel état des lieux de l’enseignement de la langue d’oc peut-on établir ?
En terme de public touché, la situation est grave, pour des raisons complexes, qui ne tiennent pas seulement à l’image de la langue mais aussi à la dégradation générale des conditions d’enseignement et des recrutements des maîtres : entre 70 000 et 80 000 enfants touchés à l’échelle du pays d’oc, c’est dérisoire. C’est pour cela que la FELCO compte à la fois sur les acquis de la nouvelle loi école et sur l’engagement (en fort progrès) des collectivités locales.
Lors du projet de loi de Refondation de l’école de la République, nullement n’était évoquée la place des langues régionales (LR). Ce qui a conduit 17 associations dont la FELCO à engager un énorme travail de propositions d’amendements. Qu’est-ce que cela a donné ?
Une avancée, car le texte antérieur était muet et nous avons gagné des articles de loi nouveaux qui réaffirment l’importance des LR dans l’école. Articles que les collègues, sur le terrain, pourront opposer à tel ou tel responsable administratif réticent. Car l’on pourra gagner tous les textes qu’on voudra, s’il n’y a pas de pression du terrain, leur portée sera forcément limitée. Nous avons aussi fait progresser la qualité du débat : nous avons suivi de près toutes les séances à l’Assemblée et au Sénat, nous n’y avons pas entendu les âneries antérieures, et la FELCO a maintenant des contacts de confiance avec un grand nombre d’élus qui ont apprécié le sérieux de nos dossiers.
Dans nos colonnes, lors de sa venue à l’Estivada de Rodez, Jean-Pierre Bel 3, « président occitan du Sénat » (lui dixit) a dit qu’on avait besoin d’un cadre législatif qui favorise l’apprentissage des langues régionales et valorise ces cultures qui sont un grand atout pour notre pays. Où en est-on ?
Cela reste un projet. Avec d’autres, nous allons travailler à ce qu’il avance.
Pourquoi la bataille pour la ratification de la Charte européenne des langues et cultures régionales est-elle stratégiquement cruciale ?
Je vais vous étonner, mais elle nous paraît plus symbolique que cruciale. Ceux qui se focalisent dessus ne semblent pas savoir que les articles que la France a signés (et non ratifiés) n’apportent rien de plus que la situation actuelle et sont même en-deçà des acquis de certaines langues, comme le montrent les travaux de notre collègue corse Romanu Colonna. Le plus important, dans tout cela, ce sont les débats que cela permet, un peu comme le rapport de François Alfonsi, récemment voté.
En Corse, au pays Basque, en Bretagne, sinon en Catalogne, on a compris que le bilinguisme est un atout. Qu’apporte-t-il ?
Je vais laisser s’exprimer le poète Roland Pécout, sur lequel j’ai beaucoup travaillé (4) : « Deux langues, c’est deux clés pour ouvrir le monde ». Je le vérifie tous les jours, et je plains beaucoup les monolingues chroniques.
Les conventions de l’Unesco ont reconnu les enjeux du PCI (Patrimoine culture Immatériel). En tant que spécialiste de linguistique, littérature, poésie, que pensez-vous qu’apporte l’Occitanie et ses imaginaires dans ce passionnant débat de la mondialité ?
Je suis très réticente face aux nationalismes quels qu’ils soient. Et je me réjouis – c’est paradoxal, n’est-ce pas ? – qu’il n’y ait pas d’autre Occitanie qu’un espace de langue, de culture, d’imaginaire. Je lis avec émotion les écrivains d’oc, quels que soient leur région d’origine et leur graphie, avec une prédilection pour les contemporains. Mon bonheur est de faire partager ces découvertes dans mon travail d’enseignante-chercheuse, mais aussi dans des événements publics comme l’Estivada de Rodez. C’est aussi de voir des musiciens se remettre à l’interprétation de textes littéraires, un retour après des années où les recherches musicales mettaient le texte en position subalterne, ou s’en désintéressaient, tout simplement. Mais j’ai besoin d’air, de rencontres, avec d’autres cultures, d’autres langues, minorisées notamment.
Frank Tenaille
1- Maître de conférences au département d’occitan de l’Université Paul Valéry à Montpellier, elle est aussi secrétaire de la FELCO (Fédération des enseignants de Langue et Culture d’Oc-enseignement public) et membre du réseau Langues et cultures de France. FELCO : 04 67 66 33 31, www.felco-creo.org
2- Ce vote a été acquis par 645 députés sur les 765 du Parlement. Parmi les votes contre : les trois Front national (Le Pen père et fille et Bruno Gollnich), Philippe de Villiers, huit UMP, un PPE (dont Brice Hortefeux), ainsi qu’un seul élu de gauche, Jean-Luc Melenchon.
3- Lire sur www.cesar.fr les ITW de J.P. Bel et R. Pécout
4- La liste des travaux de M-J Verny sur le site : www.univ-montp3.fr/llacs/membres/marie-jeanne-verny/. Elle a aussi consacré un site à Roland Pécout : www.univ-montp3.fr/uoh/pecout
A lire
Hervé Lieutard et Marie-Jeanne Verny, « L’école française et les langues régionales,
XIXe-XXe siècles », Montpellier PULM