Journal_dEcole (avatar)

Journal_dEcole

Professeure des écoles

Abonné·e de Mediapart

4 Billets

0 Édition

Billet de blog 10 avril 2024

Journal_dEcole (avatar)

Journal_dEcole

Professeure des écoles

Abonné·e de Mediapart

« Et toi maîtresse, tu es de quelle origine ? »

A l'heure où des discours xénophobes ont le vent en poupe, il est rassurant de constater que les enfants considèrent la multiculturalité comme une richesse et qu'ils ont envie (et besoin !) d'explorer tous les sillons du vaste champ de leur identité.

Journal_dEcole (avatar)

Journal_dEcole

Professeure des écoles

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’est une question qui revient souvent chez mes élèves, l’envie de savoir quelles sont mes racines, mes origines. Et, face à ma réponse : « parents bordelais », je sens toujours poindre un étonnement face à une telle simplicité. « Tu as une seule origine ? » Alors bien sûr, comme tout le monde, si on remonte les générations, on voit très vite les frontières s’évaporer. Mais pour ce qui est des parents, oui, une seule origine. Une élève m’a même dit une fois avec profond regard de compassion : « Oh, tu n’as pas de chance. »

Car pour eux, les origines se collectionnent un peu comme les cartes Pokémon, plus tu en as, mieux c’est, et c’est assez « stylé » d’en avoir une rare. Je reconnais bien là la vie multiculturelle parisienne si typique de ce 20ème arrondissement. Le mélange, c’est quelque chose de tout à fait naturel pour eux et, véritablement perçu comme une richesse. Pourtant, même si ces enfants d’un arrondissement cosmopolite sont habitués au métissage, cela ne veut pas dire que la question de l’identité est résolue pour eux ou qu'elle est toujours facile à gérer. Les enfants ont parfois envie de catégoriser, ranger, étiqueter le monde qui les entoure pour mieux le comprendre. Alors, ils peuvent avoir cette tendance à chercher les origines de tout un chacun avec insistance.

Mais, en écoutant deux élèves pendant une visite au musée des égouts, j’ai eu un déclic qui m’a montré qu’il s’agissait de quelque chose de bien plus important qu’un simple besoin de catégorisation. Notre guide était en train de nous expliquer les bouleversements de l’architecture de la ville grâce au Baron Haussmann au 19ème siècle. Je vois alors deux élèves se frapper la poitrine fièrement avec le poing et sauter de joie : « C’est un frérot lui ! Représente ! ». Je ne comprends pas de quoi il s’agit, je m’étonne : « Mais vous connaissez le travail du baron Haussmann ? ». Et là ils me répondent : « Bah oui, Ousseman, j’en connais plein des Ousseman, il doit être africain comme nous ! ». Je n’ai pas fini de rire quand je repense à leurs mines déconfites quand j’ai corrigé l’erreur de compréhension : « Ah désolée, les garçons c’est Haussmann, et pas Ousseman ». « Alors, il n’est pas africain maîtresse ? », quelle déception ! Au-delà du caractère comique de l’anecdote, elle révèle un besoin d’identification, de représentation. Ils rêvaient que celui qui a remodelé Paris ait les mêmes origines qu’eux, qu’il partage la même histoire, à la fois profondément parisienne et africaine.

Mes élèves sont souvent contaminés par ma passion pour l’Histoire, ils adorent ça et m’en réclament à cor et à cri. J’ai longtemps pensé naïvement que c’était mon engouement qui devait être assez communicatif pour expliquer cette fascination. Mais je pense maintenant que c’est surtout parce que l’Histoire donne du sens à ce que nous sommes aujourd’hui. Ils sont toujours animés par ce besoin de comprendre, de chercher le sens. Et forcément, ils ont besoin de sentir qu’ils appartiennent à la fresque parisienne que nous étions en train de tracer. Puisqu’ils appartiennent à celle d’aujourd’hui, ils cherchent des traces d’eux-mêmes dans celle d’hier afin de raccorder ces deux pans.

Que l’on soit métissé, immigré, ou ancré dans un même village depuis des générations, nous pouvons tous être traversés par les grandes questions : la question de son identité, de qui on est, et la question du groupe, de la communauté à laquelle on appartient. Ces enfants veulent faire partie du groupe, d’un grand ensemble. Alors, il faut essayer de trouver des réponses à leurs questions, de les accompagner dans leur quête d'eux-mêmes. Mais à l’école publique, il faut déjà leur montrer que pour composer un tableau commun il n’y a pas besoin d’homogénéiser les identités et les caractères, c’est évidemment une chose impossible et non souhaitable. Il s’agit plutôt de leur montrer, comment avec les différences nous arriverons à composer un tableau commun. Et ça, il ne faut pas seulement le dire, il faut passer les barrières théoriques, je suis convaincue qu'il faut leur faire vivre des aventures collectives. À échelle d’enfant il n’y a pas besoin de les emmener à l’autre bout du monde, entre les 4 murs d’une classe, on peut déjà aller très loin tous ensemble !

C’est pour cela que je suis devenue férue de pédagogie de projet, car je sens bien toute la force que ça donne à un groupe classe, toute la fonction d’enrôlement d’une telle méthode. Une année je les ai embarqués explorer l’espace, nous nous cramponnions à nos tables pour mimer les secousses du voyage en fusée jusqu’à notre exoplanète. Cette année nous explorons les fonds marins et vibrons en écoutant les récits de navigateurs ou navigatrices. L’année passée nous étions des voyageurs du temps qui embarquions dans notre machine imaginaire pour explorer les différentes périodes de l’ Histoire. Le thème choisi devient la colonne vertébrale de tous les apprentissages, je refais chaque année mes banques d’exercices, mes supports pédagogiques, pour les accorder à notre « mission » du moment. Bien que cela puisse sembler très ludique, le but est toujours de les faire grandir et apprendre ensemble. Je veux les faire monter tous à bord du même navire, qu’ils se sentent appartenir au même équipage.

Et, si la question de l’origine, du « qui suis-je » est essentielle car elle alimente la pulsion naturelle du savoir chez l’enfant, n’oublions pas que nous, enseignants, avons pour mission d’outiller ces élèves en vue du « qui serai-je ». Et c’est là tout le sel de ce métier, outiller, préparer, en gardant toujours comme cap l’avenir de ces enfants.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.